Youssou N’Dour et le <em>Retour à Gorée Jazz Project</em>

Sur les routes du jazz

Le 6 juillet dernier, Youssou N’Dour faisait l’ouverture du festival de Jazz de Montreux avec la création Retour à Gorée Jazz Project. Un concert, mais aussi un documentaire et plus largement une aventure qui a mené Youssou N’dour et le pianiste suisse Moucef Genoud aux Etats-Unis, avant de revenir sur l’île de Gorée, symbole de la Traite au Sénégal. Sur scène, entouré de jazzmen américains, il reconnecte l’âme du jazz et du blues à l’Afrique.

Le brouillard majestueusement accroché aux sommets entourant le Lac Léman a fini par se dissiper. Le soleil, se met finalement à briller sur Montreux pour saluer la marche de mobilisation contre le Darfour décidée par Youssou N’Dour deux jours auparavant. Le public, qui se promène dans les allées du marché en attendant l’ouverture officielle du festival, observe avec curiosité le cortège s’avancer. En tête, une armada de caméras, photographes, puis une rangée soudée : Youssou Ndour et les responsables du festival, vêtus d’un tee-shirt, "Darfour : silence = complicité", avec dans le O de Darfour, une photo de "You", l’icône polymorphe de la musique sénégalaise. Ensuite, une foule hétéroclite, curieuse et estivale se gonflant pourtant à mesure que résonnent les "Darfour, ça suffit !". Youssou N'Dour ambassadeur de plusieurs grandes causes humanitaires, de l’UNICEF, au HCR, en passant par la lutte contre le sida, se mobilise aujourd’hui pour le Darfour.

Voyage initiatique

Il ouvrira ce soir la 41e édition du festival de jazz de Montreux, l’un des prestigieux d’Europe. Une exclusivité, car le prodige de la Médina de Dakar ne se produit pas avec son Super Etoile habituel, mais avec un band très jazz constitué pour les besoins du Retour à Gorée Jazz project. Ce voyage musical et initiatique parti de Gorée, île-symbole de la Traite Négrière au large de Dakar, part à la rencontre de jazzmen américains à New York, Atlanta, en passant par la Nouvelle Orléans, pour ensuite revenir à Gorée, avec les différents musiciens rencontrés en route. Au-delà de toutes les joies, les découvertes et les larmes issues de ces rencontres, un répertoire : des compositions de Youssou N’Dour réarrangées jazz, des reprises de grands musiciens qui ont marqué l’histoire de cette musique, et un documentaire de Pierre-Yves Borgeaud, qui sortira sur les écrans à l’automne.

L’histoire de ce projet avait débuté dans la Confédération, dès 1999 au Cully Jazz festival où Emmanuel Gettaz, producteur et co-fondateur du festival et Moncef Genoud, pianiste suisse avaient suggéré à Youssou de donner à certains de ses morceaux une couleur jazz . Entre temps, il aura fallu que le projet mûrisse. Pour Youssou N’dour, si on parle de jazz, il faudra alors partir de Gorée et y revenir, avec les musiciens de jazz.. "Le jazz est un fruit de l’esclavage", dit il. C’est ainsi, qu’avant de les ramener à Gorée, il part les rencontrer et jouer avec eux.

Accompagné du pianiste Moncef Genoud, il répète avec le batteur Idris Muhammad dans une Nouvelle Orléans post-Katrina traumatisée et vide, se fait accueillir "à l’africaine" au cœur du New Jersey par Amiri Baraka, musicien et écrivain américain, aussi connu sous le nom de Leroi Jones, et auteur notamment du passionnant ouvrage Le Peuple du blues, qui raconte l’influence africaine dans l’émergence des musiques noires.

A Atlanta, autre choc mémorable : "je n’étais jamais rentré dans une église où on pratique. On a répété. A un moment, j’ai chanté cette chanson : My hope is in you, dans laquelle je parle des enfants. Et là, le chœur de gospel reprend et parle de Jésus. Bon, moi j’ai rien contre Jésus, mais je suis musulman, alors je leur précise que je parle des enfants…Ce fut un clash, mais symbole magnifique, de différence des cultures…Et quand on s’est retrouvé à Gorée avec ce chœur américain, tous ont pleuré dans la Maison des Esclaves." A Gorée, Youssou N’dour donne avec les musiciens du Retour à Gorée un concert emprunt d’une pure émotion. Ce soir, c’est la deuxième représentation. En coulisses, les musiciens retrouvent certains membres de l’équipe rencontrés aux Etats-Unis ou ailleurs.

"Pas accro"

Dans le Miles Davis Hall de Montreux, des chaises ont été installées. Après le très dansant concert d’Ismaël Lô, l’ambiance se veut plus posée. Au piano, le guide de cette aventure, Moncef Genoud, présente un band d’exception. Sur la scène : à la batterie Idris Muhammad, à l’harmonica, Grégoire Maret, Pyeng Threadgill vocaliste de Brooklyn, James Cammack à la contrebasse. Répertoire très jazz, et compositions de Youssou N’dour, ou des différents musiciens.

Au fond de la salle, les Sénégalais venus nombreux pour cette soirée typiquement dakaroise s’attendent à une deuxième partie de soirée plus chaude encore. Mais foin de mbalax ! "You" jouera du jazz ce soir. Ambiance tendue. Les Sénégalais scandent "You !!" leur idole du mbalax, tandis que le public typiquement jazz, leur demande de sortir ou se taire. Un tel épisode s’était déjà produit, au festival des Musiques Sacrées de Fès en 2004, alors que Youssou N'Dour jouait son album Egypte. Pourtant, dans les loges à peine une heure avant le début du concert de Montreux, il avait prévenu, "Je ne suis pas un accro de jazz au vrai sens du mot. Le free jazz reste très difficile pour moi, mais la liberté et l’espace que le jazz donnent m’ont toujours intéressé. Ça peut dérouter mais j’ai toujours refusé de rester bloqué sur un style, j’aime cette liberté de voyager dans la musique, si on me retire ça, alors j’arrête !".

Retour à Gorée, un film de Pierre-Yves Borgeaud, 35mm
Prix Suissimage/ SSA du Meilleur Documentaire Suisse – Visions du réél 2007
Plus d’infos : retouragoree.com