Rokia Traore entre deux cultures
Six ans après avoir été lauréate du Prix Découvertes RFI, Rokia Traore revient avec Bowmboï, son troisième opus dans lequel elle recherche l’équilibre entre la musique traditionnelle et sa vision du monde, résolument moderne. Avec son nouveau look – crâne rasé – et l’assurance acquise au fil des tournées, Rokia Traoré occupe désormais une place à part dans la musique malienne.
Une artiste tellement normale.
Six ans après avoir été lauréate du Prix Découvertes RFI, Rokia Traore revient avec Bowmboï, son troisième opus dans lequel elle recherche l’équilibre entre la musique traditionnelle et sa vision du monde, résolument moderne. Avec son nouveau look – crâne rasé – et l’assurance acquise au fil des tournées, Rokia Traoré occupe désormais une place à part dans la musique malienne.
Pourquoi avoir produit vous-même cet album et ne pas être allée dans une major où l’on vous proposait un contrat ?
Ce qui m’intéresse dans ce métier, c’est de suivre un projet du début à la fin. Aussi, je tenais à le produire moi-même puis le donner à une major pour la distribution. Comme tout artiste, je rêve de gloire, de célébrité. Je me suis rendue compte qu’il m’arrivait ce qui était arrivé à d’autres artistes de la world, lorsqu’on rêve de faire connaître son travail à un nouveau public. Mais les négociations ont duré tellement longtemps que cela m’a permis de réfléchir et de revenir à l’essentiel. Au moment de signer, je n’en avais plus envie parce que ceux qui décident en dernier ressort sont des financiers qui calculent ce que tel ou tel artiste va rapporter. Je n’ai pas voulu tomber dans ce piège-là et je suis revenue avec un nouveau contrat chez Label Bleu pour l’Europe, me réservant de trouver d’autres distributeurs pour le reste du monde.
Dans Niènafîng , vous chantez les valeurs du Mali. C’est une fierté pour vous d’être malienne ?
Tout à fait, et c’est pour ça que je fais de la musique. Je suis fière de montrer une autre facette du Mali, peu connue. Je suis une enfant de la ville et j’ai envie de donner une image du pays qui est la mienne, celle de ma génération, d’un pays qui bouge, qui pense, qui change comme partout dans le monde. En fait, j’ai l’impression qu’en tant que chanteuse malienne, il est plus facile de se faire connaître en faisant une musique très "roots" ou en venant d’un milieu défavorisé. J’ai l’impression d’être trop normale, de ressembler aux habitants des pays développés. Je n’ai pas appris à chanter dans une famille de griots, je ne suis même pas du Wassoulou, il n’y a pas de chasseurs dans ma famille, je ne suis pas princesse, je suis normale et c’est ce côté-là que je veux montrer.
Vous enregistrez toujours à Bamako ?
Oui, les deux premiers albums avaient déjà été enregistrés au studio Bogolan et pour celui-ci, tous les instruments ont été réalisés là-bas, excepté les cordes du Kronos Quartet captées à San Francisco. Je veux faire profiter les gens de mon pays du travail que je fais. Je n’ai pas la prétention de créer des emplois, mais je tiens à collaborer avec des musiciens sur place. Plus qu’enregistrer un disque, j’ai voulu créer des contacts, ce qui permet d’amener plus de professionnalisme dans ce métier, car ici la musique est tellement naturelle. On a une telle richesse musicale et culturelle qu’on ne se rend pas compte que c’est également un métier qui nécessite du travail.
Sur la pochette de l’album, vous apparaissez avec un nouveau look. Comment cela a-t-il été perçu à Bamako ?
Très très très mal, mais disons que j’ai l’habitude. J’ai toujours eu l’impression d’être une sorte d’extra-terrestre dans ma jeunesse parce que finalement, on ne ressemble à personne à force de voyager (le père de Rokia était diplomate, NDLR). Quoi qu’en pensent les gens, je fais ce que je veux, que ce soit au Mali ou ailleurs. Donc, en me rasant le crâne, j’imaginais très bien que cela allait être mal perçu, mais ça faisait trois ans que j’avais envie de ça, que je ne voulais plus subir ces interminables séances de tresses où je devais prendre chaque mois le train pour venir à Paris toute une journée. Quand je suis allée en juin dernier à Bamako, les gens se sont lâchés, m’ont dit que je m’étais européanisée. Mon look a alimenté les conversations au pays pendant de longues semaines.
Le titre de votre album Bownboï évoque un thème qui vous est cher, celui de l’enfance.
Oui, c’est une berceuse que ma mère me chantait et qui disait que "Dieu bénisse l’enfant du pauvre". Ce qui m’a étonnée, c’est qu’ici dans les pays développés, ce sont les parents qui décident d’avoir un enfant. Selon moi, chez nous, c’est l’enfant qui décide de venir au monde, parce qu’il n’y a rien de précis pour l’accueillir, tout est tellement précaire. Si les gens étaient responsables comme en Europe et décidaient de mettre au monde un enfant lorsqu’ils en ont les moyens, ils n’en auraient jamais. A partir de là, c’est plus facile de penser qu’on ne décide rien et d’être croyant. Les gens croient en tout, à la magie noire, à un marabout, à la prière, mais pas en eux, parce qu’ils n’en ont pas les moyens.
M’Bifo , titre qui ouvre l’album, est-il votre Message personnel ?
Oui, c’est un "message très personnel" car l’enregistrement coïncidait avec l’anniversaire de mon mari. J’étais triste de ne pouvoir rien organiser pour ses 30 ans. Du coup, je me suis dit que j’allais lui écrire une chanson. Et ce cadeau est beaucoup plus fort qu’une fête.
Vous venez de perdre, avec d’autres artistes maliens, un procès en appel face à un pirate reconnu au Mali. La piraterie est toujours un réel problème ?
Cela fait vraiment mal au cœur, pas pour l’argent, mais parce que ces pirates ne se rendent pas compte du mal qu’ils font. La plupart d’entre eux vont à la mosquée tous les jours, ils prient, mais ils n’ont aucun respect pour le droit intellectuel ou le droit d’auteur. Une cassette marche, ils la dupliquent. C’est simple pour eux. Réunir des artistes, les convaincre d’intenter un procès à ces personnes qui importent des containers remplis de cassettes a été compliqué. Et apprendre un tel jugement, cela me révolte. Le gouvernement devrait avoir honte que cette histoire soit ébruitée.
Rokya Traoré Bowmboï (Tama Productions / Label Bleu) 2003
En tournée le 10/10 à Albi, le 11 à Sète, le 16 à Blois, les 17 et 18 à Paris, le 23 à Pau, le 24 à Marseille et le 6/11 à Londres.