Gnawa Diffusion
Les Gnawa Diffusion continuent leur périple. Ces Algériens de Grenoble , avec à leur tête le chanteur Amazigh Kateb, font parler le chaâbi à grand coup de renfort ragga jamaïcain. Sens de la fête, mais aussi conscience politique à vif, tous les éléments concourent à faire de ce combo un jeune groupe plein d'avenir.
Rencontre avec son leader Amazigh Kateb.
Raggnawachaâbirock
Les Gnawa Diffusion continuent leur périple. Ces Algériens de Grenoble , avec à leur tête le chanteur Amazigh Kateb, font parler le chaâbi à grand coup de renfort ragga jamaïcain. Sens de la fête, mais aussi conscience politique à vif, tous les éléments concourent à faire de ce combo un jeune groupe plein d'avenir.
Rencontre avec son leader Amazigh Kateb.
Pourriez-vous nous dire qui est le gamin qui illustre votre pochette ?
C'est un gamin adossé contre un mur en Algérie et qui vend des cigarettes algériennes, américaines. C'est pour souligner le contraste qui existe avec les Anglais, les Français, les Japonais ou les Portugais qui viennent acheter notre gaz naturel ou notre pétrole pendant qu'on vend leurs cigarettes. C'est une sorte de métaphore pour montrer l'écart existant entre ceux qui achètent du gaz mélangé à de l'hémoglobine, tout en parlant du terrorisme. Un terrorisme qu'ils alimentent puisqu'ils continuent d'acheter les ressources de ce pays. Et pendant ce temps-là, le peuple qui ne touche pas un denier de l'argent du gaz, se démerde en vendant des cigarettes au marché noir.
Qu'est-ce qui permet à ce peuple de garder espoir ?
Pour moi, ce qui me laisse une note otpimiste, c'est le courage et la volonté acharnés de ne pas se laisser aller. Ceux qui font marcher la vie en Algérie, font des aller-retour Alger-Marseille pour acheter des cigarettes ou des soutiens-gorges et les revendre ici en Algérie. C'est puissant, c'est une économie parallèle qui date de l'époque où le pays était en blocus économique. L'économie de contrebande représentait deux à trois fois les résultats que faisaient les instances du Ministère de l'Economie.
Malgré cela, il y a une chape de plomb, ce qu'on appelle le "dégoutage". Le "dégoutage" c'est plus que le dégoût... C'est vraiment un truc algérien, un truc qui pousse au suicide les plus désespérés.
Est-ce que les récentes élections présidentielles vont redonner espoir aux algériens ?
C'était des élections fantômes. Ce n'était pas une élection, c'était une sélection. Pour moi, ce président que nous avons élu est quelqu'un dont l'arrogance et la vulgarité m'exaspèrent profondément. Mais personne n'est dupe en Algérie. Malheureusement, il y a une conscience politique chez les Algériens qui est complètement absorbée par les problèmes quotidiens qui interfèrent avec le reste. Entre la théorie politique d'une vraie démocratie et la pratique quotidienne de trouver de quoi subsister, les Algériens sont obligés de choisir. Les ouvriers du bâtiment par exemple, n'ont pas été payés pendant deux ans, l'an passé il y a eu deux cent mille licenciements, que peut-on faire ? Malgré cela, il y a des gens qui se mobilisent, il y a une flopée d'associations qui se montent et sillonnent l'Algérie. Qui vont dans les campagnes pour tenter d'alphabétiser les paysans, de faire de l'initiation à l'hygiène, etc... Il y a encore un an, il y avait entre 4.000 et 4.500 associations qui se mobilisaient et travaillaient d'arrache-pied pour faire progresser chacun.
Parlons de votre album, comment s'est passé l'enregistrement ?
On a enregistré dans le Bordelais et on a mixé dans le Beaujolais. Le but, c'est d'aller jouer cet album en Jamaïque et d'en enregistrer un autre sur place. A l'origine, nous voulions enregistrer à Essaouira au Maroc. C'est de là que transitaient les esclaves avant de partir en Amérique. Les Gnawa partaient pour le Brésil. C'est de là qu'est né le "pandero", un instrument dérivé du bendir nord-africain qui est un grand tambour, un peu comme un tamis. Je pense qu'ils l'ont pris parce que c'était moins encombrant qu'un tam-tam ou qu'un djembé dans les soutes d'un navire négrier. Maintenant, c'est devenu un instrument traditionnel de la "capoeira". J'espère qu'un jour on refera le trajet qu'ont fait nos ancêtres, au nom du souvenir et du mélange des cultures. Mais on fera ça quand nous serons un peu plus mûrs, on est encore des merdeux, là ! (rires).
Sur l'album figure un poème d'Aragon, pourquoi avoir choisi Gazel au fond de la nuit ?
C'est parti d'une commande pour la Fête de l'Humanité (ndlr : fête annuelle du Parti Communiste français), l'an passé. Il y avait un plateau de chanteurs qui devaient choisir parmi une sélection de textes. Moi je suis arrivé le dernier et ils m'ont laissé celui-là. J'ai eu dix-huit jours pour le mettre en musique alors, je l'ai mis en musique dans le train, en partant voir un cousin à Marseille. Au début, je croyais qu'il s'agissait d'un texte plutôt sensuel et finalement j'ai réalisé qu'il s'agissait d'un texte de deuil, dans lequel Aragon perdait Elsa. Cela m'a permis de mieux connaître Aragon que j'avais abordé d'une façon un peu scolaire, en l'ayant seulement étudié au lycée.
Les paroles de la chanson Bab El Oued Kingston ce sont celles d'un air de stade, que disent-elles ?
"On ira en Jamaïque pour ramener du haschich / Pour la bonne marque on dormira dehors/Quoiqu'il arrive j'attendrai la cargaison". C'est typique du langage des mecs qui trafiquent dans la contrebande, ceux qui ramènent des jeans et des Nike au pays pour les revendre... C'est caractéristique de l'Algérien qui ne connaît pas de limite dans ce qu'il entreprend. Quoiqu'il arrive, il ira jusqu'au bout pour obtenir ce qu'il veut. Il n'y a pas de marche arrière.
Le stade c'est l'exutoire. Chez nous il n'y a plus de concert, c'est très dur pour le peuple de s'éclater, de rencontrer une femme, de jouer de la musique, de trouver du travail, de réussir à l'école... Alors ce qui reste aux Algériens, ce sont les matchs de foot. Le foot dans le pays, c'est vraiment la seconde religion après l'islam...
Que pensez-vous de l'engouement actuel pour les musiques d'Afrique du Nord ?
Je trouve cela très bien. C'est super que notre musique puisse s'exporter ainsi. Géographiquement et socialement, on est déjà très mélangé. On chante et on danse ensemble, les Algériens sur la musique française, les Français sur la musique algérienne. Maintenant, il y a un côté assez pervers. C'est cette espèce d'exotisme à tout crin ; on nous prend pour une pointe de piment qui va relever la fadeur ambiante, le "banga" qui va mettre des bulles dans la musique pour la faire pétiller. La musique algérienne rentre dans un phénomène de mode, un phénomène vestimentaire et maintenant on se met à nous faire aimer la musique arabe. A l'époque où on a monté Gnawa Diffusion en France, il y avait Khaled qui faisait un carton avec "Didi" et puis c'est tout. Il y a toujours un risque de récupération. On sait très bien que les gens qui produisent cette musique en ce moment ne le font pas pour la musique mais pour le fric. Comme on manque de soleil en France, on leur vend du soleil. Si on était en Afrique, ils leur vendraient de la pluie. Il ne faut pas être à la merci des vendeurs de produits exotiques, on connaît très bien leur démarche. Ceux qui ont les poches pleines, ce n'est pas nous. Nous on a les poches pleines... mais de caillasses (rires).
Gnawa Diffusion Bab El Oued Kingston Musisoft (1999)