EN QUÊTE D'AUTEURS (2)
Le premier texte de Boris Bergman gravé sur un vinyle s'appelait "Nocturne" et était interprété alors par une jeune chanteuse, Eva. C'était en 1967. Personne ne s'en souvient maintenant. Pourtant l'homme a fait son chemin. Regard malicieux, débit rapide et citations non stop, la rencontre avec un des auteurs français les plus talentueux et prolixes fut instructive.
Boris BERGMAN : l'Orfèvre des mots
Le premier texte de Boris Bergman gravé sur un vinyle s'appelait "Nocturne" et était interprété alors par une jeune chanteuse, Eva. C'était en 1967. Personne ne s'en souvient maintenant. Pourtant l'homme a fait son chemin. Regard malicieux, débit rapide et citations non stop, la rencontre avec un des auteurs français les plus talentueux et prolixes fut instructive.
Il faudrait compter le nombre d'interprètes pour qui il a travaillé, le nombre de chansons connues ou inconnues qu'il a écrites. Cela serait sans doute réducteur car au-delà des chiffres, Boris Bergman est le parolier que la chanson française s'arrache.
Ses "clients" se nomment Nana Mouskouri ou Mireille Mathieu aussi bien qu'Alain Bashung ou Paul Personne. Devant cet éclectisme, on peut se demander si sa carrière ne ressemble pas à un joli fourre-tout. Pas du tout. "En fait, ça correspond à des périodes différentes de ma vie. J'ai commencé en 67. Je me suis vu confier l'écriture d'un texte par un directeur artistique qui fut le premier à croire en moi et qui savait que j'étais bilingue (j'ai grandi en Angleterre, élevé là-bas, de parents russes). Il s'agissait d'un groupe grec qui n'avait pas encore son visa pour l'Angleterre et attendait à Paris. C'était "Rain and Tears" des Aphrodite Child". Premier carton.
C'est donc par un titre en anglais, un tube planétaire que Bergman commença sa carrière en France."J'ai commencé ainsi. Par un tour de passe-passe que je ne me suis pas encore bien expliqué, six mois après, on m'a demandé de faire des textes français. A l'époque on faisait beaucoup d'adaptations. Les gens regardaient le Billboard ou autre journal professionnel puis disaient "numéro 1", "numéro 2". Il y a eu des malentendus extraordinaires. J'ai arrêté de travailler pour Nana Mouskouri le jour ou elle m'a demandé de faire une adaptation de "Hard Rain" de Bob Dylan. J'adorais cette chanson. Il était hors de question de ne pas traduire littéralement ce qu'il avait écrit. Je parlais donc de "la pluie noire", de la "pluie atomique". Ça ne passait pas…Finalement, j'ai eu la chance de pouvoir choisir dans les adaptations. A l'époque, je travaillais avec David Essex. J'ai fait des adaptations de certains morceaux des Beatles, des artistes du folk et de la "protest song" américaine." Cette période qui va de 67 à 72/73 lui permit de faire ses premières armes dans un domaine où l'expérience semble être un atout majeur.
Christophe avant Bashung
Bergman fait ensuite un séjour d'un an sur l'Ile Maurice où il se ressource et "change de peau". Il prend conscience que travailler dans deux langues différentes, n'est pas très satisfaisant, voire un peu schizophrénique : "Le problème c'est que j'écrivais en anglais et en français, j'étais deux personnes différentes. Je savais qu'en anglais j'arrivais à glisser beaucoup plus de "lézards", puisque peu de gens avaient l'humilité ou l'honnêteté de me dire "tu ne peux pas me dire, je n'ai pas compris". Cela m'ennuyait parce que je trouvais qu'il y avait beaucoup de choses drôles. En français, on me censurait." A son retour, c'est pour Christophe alors en pleine gloire, qu'on lui demande d'écrire "C'était bien parce que l'album "Samouraï" qui n'a pas été un succès mais que j'aime bien, a été pour moi au sens le plus noble du terme un brouillon de ce que j'ai fait plus tard avec Bashung. A partir de 75/76, j'ai commencé à avoir une nouvelle, une deuxième vie. C'est l'époque Bashung."
Mais les choses ne vont pas se passer facilement. Le duo Bashung/Bergman va écrire plusieurs albums avant de voir le succès arriver. Effectivement, l'auteur est en parfait décalage avec ce qui se fait dans la chanson française de ces années-là. "Je me disais que j'allais écrire "en version originale sous-titrée". Je courais après un autre langage, après d'autres raccourcis, après une manière d'écrire du rock en français. A partir du moment où on se permet des libertés avec la langue, tout va bien. C'est en 80 que "Gaby" est sorti après deux albums que nous avions déjà faits ensemble ("Romans photos" et "Roulette russe"). Le titre a mis 10 mois à devenir un succès populaire. C'est pour cela que ça me fait beaucoup rire quand certains hebdomadaires branchés disent à Alain Bashung : "Vous ne regrettez pas d'avoir fait des chansons aussi commerciales que "Gaby" ou "Vertige de l'amour" ? J'ai envie de prendre la plume et de leur dire que sans certaines personnes dans certaines radios, on ne serait jamais passé. A l'époque, cela n'était pas évident." Après une séparation, une réconciliation puis une autre séparation d'avec Bashung, des rencontres importantes apportèrent leur lot de succès : Mitchell avec "Lèche botte blues" qui eut un joli succès ainsi que "Rio Grande", puis Le Forestier pour "Chienne d'idée" et évidemment Paul Personne. "Ce sont des gens qui écrivent très bien eux-mêmes. Si ces gens-là ont eu envie qu'on travaille ensemble c'est parce qu'ils savaient que ce serait différent."
Quand il évoque le chanteur de blues le plus connu en France, le visage de Boris s'éclaire : "Je suis récemment parti en Normandie avec Paul, on a écrit quelques chansons pour un nouvel album. D'habitude, il me fait venir au studio au dernier moment, ce qui est magique parce que j'entends le texte tout de suite au micro. Ça a un côté "lampe d'Aladin". Quelques fois, un mois après, on se dit qu'on aurait dû inverser deux lignes. Cette fois-ci, on avait 12 jours avant d'entrer en studio. Avec lui, ça se passe très bien. C'est un type humainement exceptionnel. En plus, j'adore le blues. Maintenant, il va vers la musique country, mais aussi cajun. Il est en train de sortir un peu du blues delta. Il y a une véritable honnêteté artistique chez Paul Personne." Pas de doute donc, l'auteur et le chanteur se sont bien trouvés.
Inspiration
Devant chaque créateur que nous rencontrons, nous avons toujours envie de savoir d'où lui vient son inspiration et décortiquer ce qui fait le principe de la création. "Quand je m'assois et que j'écoute une musique…Au départ, j'ai des tas de sons qui m'arrivent et l'histoire se dessine d'elle-même. Mon plaisir, c'est quand je commence à écrire une chanson et que je ne sais pas du tout où je vais aller. Le panard, c'est d'avoir une musique et de me dire que je peux aller où je veux. Libre au chanteur de me dire que ça ne va pas du tout. J'ai toujours travaillé comme ça. Je vide sans pudeur tout ce qui me passe par la tête. Après je taille. Je peaufine mais en ayant pris du recul. Les jours où je suis inspiré, je travaille beaucoup à ça. Je crois que sur la longueur, c'est la chanson "inspirée" qui gagne. C'est rassurant." A la question concernant l'angoisse de la page blanche, Bergman répond avec malice qu'il écrit sur du papier de couleur ! "Je note tous les jours des trucs" finit-il par répondre.
En fait, il pourra toujours nous donner des éléments pour comprendre, le talent lui, est inexplicable. Heureusement.
Mais au fil du temps, la technologie a quelque peu changé sa manière de faire. Bergman s'adapte. "Avant les gens arrivaient avec une guitare et une rythmique, maintenant ils ont tous un home studio et arrivent avec une cassette DAT. Plus le playback est terminé, plus la musique raconte une histoire que je dois trouver. A l'inverse, on peut faire évoluer l'orchestration par rapport à ce que le chanteur raconte, et la manière dont il la raconte. En français en tout cas, l'arrangement, le rythme, ça change le sens du texte. On peut faire passer une chanson du deuxième degré au premier par l'arrangement."
Un métier qui n'en est pas un
Difficile pour l'éclectique Boris de donner un nom précis à son activité professionnelle. "Pour moi, ce n'est pas un métier. Je dis toujours parolier, ce qui énerve toujours Roda-Gil (NDLR : auteur de chansons pour Julien Clerc, entre autres). Auteur, c'est un terme conventionnel. J'aimais bien le nom que l'on donnait aux gens qui écrivaient pour les opérettes. Lyricistes. C'est à dire quelqu'un qui écrit des lyriques. Je fais des textes destinés à être chanté. Dans ce cas, le texte et la musique sont indivisibles. Toutes les écoles où on apprend à faire des chansons constituent un leurre. Le maître va forcément marquer l'élève. On fait croire qu'on va pouvoir accéder à certains secrets. Comme s'il y avait des secrets de fabrication ! Il n'y en a pas". Pourtant Boris Bergman ressemble à un artisan d'art qui serait l'orfèvre des mots. Il est évidemment fier de ses textes mais "le but c'est que la chanson ait une vie après le chanteur, même si maintenant les gens les reprennent moins".
Propos recueillis par Valérie Passelègue