Lara au bord de l'Aral
On la sent un tantinet tendue la dame Lara. Anxieuse des questions qu’on va lui poser, des critiques qu’on aura à faire sur son album. Mais elle ne laisse rien paraître, la rockeuse de diams en a connu d’autres et même si cet album joue volontairement le décalage (uniquement instrumental), elle ne craint pas d’imposer son point de vue : elle avait envie de se faire plaisir. Qui l’aime, l’écoute…
Un nouvel album sans mots
On la sent un tantinet tendue la dame Lara. Anxieuse des questions qu’on va lui poser, des critiques qu’on aura à faire sur son album. Mais elle ne laisse rien paraître, la rockeuse de diams en a connu d’autres et même si cet album joue volontairement le décalage (uniquement instrumental), elle ne craint pas d’imposer son point de vue : elle avait envie de se faire plaisir. Qui l’aime, l’écoute…
RFI Musique : Beaucoup de fans attendent votre nouvel album. Est-ce que vous ne craignez pas que le côté exclusivement instrumental de "Aral" ne les déçoive ?
Catherine Lara : Je ne crois pas qu’il faille aborder cela comme une déception. Parce que j’ai quand même eu un an de boulot dessus. J’espère que mes fans ne seront pas déçus. C’est un bien grand mot (maux ?) pour un an et demi de boulot. Je ne vois pas la différence entre les cordes vocales et les cordes d’un violon. On peut être aussi émouvant en chantant qu’en jouant du violon. Je pense que Yehudi Menuhin n’a jamais déçu en jouant du violon. On peut percevoir les choses différemment en jouant du violon. Jacques Dutronc est un merveilleux comédien et il ne déçoit pas quand il ne chante pas. On a un petit peu tendance dans ce pays a être conservateur et à mettre les gens dans un tiroir, à vouloir les y enfermer. Moi je suis claustrophobe de nature, je n’ai qu’une envie, c’est de sortir de mon tiroir. J’ai 25 ans de chanson derrière moi, c’est pas mal et j’avais envie d’en profiter. De toute façon, mon public m’a toujours demandé des nouvelles de mon violon. On m’a très souvent dit : “ Pourquoi ne jouez-vous pas plus souvent du violon ? ”. J’avais envie d’en faire profiter les autres comme j’en profite moi-même. Et puis, il n’y a pas que du violon. C’est un album chanté, pensé, réfléchi. C’est plein de symbole et plein d’amour.
Le symbole de la mer d’Aral ?
J’ai vu un reportage sur cette mer qui est abîmée par la main de l’homme. Je ne sais pas si on ne pourra jamais la reconstituer. Je l’espère, on a bien été capable de la vider alors… C’est une sensation triste de voir ces bateaux échoués sur le flanc en plein désert. C’est une sensation triste. Très nostalgique qui évidemment s’associe bien avec le violon tzigane. Ça me touche dans la mesure où Aral est près d’Oural et où cet album s’inspire de l’atmosphère, de la musique des pays de l’Est. J’ai voulu quelque chose de très world où l’on retrouve aussi bien de la musique arabe que tzigane, turque et où tout se mélange merveilleusement bien. J’ai puisé cette richesse de toutes ces ethnies. Si j’avais été sur une île déserte, je n’aurais pas pu écrire toute cette musique.
Pour cela Eric Mouquet (Deep Forest) a dû vous être d’une grande aide?…
Eric est un coloriste merveilleux. Il est dans un bain de musique, il m’a porté vers la world avec beaucoup de talent. Même si on mélange la musique électronique avec un violon acoustique. On s’est cherché une identité propre.
Le violon, celui avec lequel vous jouez, c’est un Gagliano. Quelle différence avec un Stradivarius ?
J’avais deux violons. L’un fabriqué par un luthier contemporain en bois d’érable centenaire. Un très beau violon. Le second est un violon que m’a prêté Etienne Vatelot c’est son propre violon. Une pièce magnifique qui est un Gagliano. Un instrument du 17ème siècle. J’ai eu un plaisir immense à jouer dessus. Le Gagliano, c’est un violon de la même époque que les Strad’. Ce sont des violons qui valent des millions. Mais quand on les a au bout des bras ce n’est pas la valeur mais l’histoire et le travail qui a été fait dessus qui vous pèsent.
Est-ce qu’on est pas un peu inhibé dans son jeu par la valeur d’un tel instrument ?
Au départ, il y a eu un petit moment d’appréhension parce que j’avais peur de l’abîmer, parce que quand je joue, je ne fais pas semblant. Au départ, j’avais peur de l’accrocher avec mon archet. Et puis, il s’avère que la technique permet de se familiariser et on se l’approprie. Le son est si merveilleux qu’on ne peut que se laisser aller. Le son est sublime.
C'est une autre violoniste plus connue pour ses talents de chanteuse qui signe le texte de votre livret. A quand remonte votre amitié ?
Zazie, on s’est aimé quand on faisait “ Sol en Si ” ensemble. J’aime beaucoup ses textes, son travail. Elle a beaucoup d’humour. Elle écrit vachement bien. Et elle est violoniste. Ça nous fait beaucoup de cordes en commun.
S
ur votre album, le fait de ne pas écrire de textes de ne pas chanter… Cela a t il été plus facile pour vous ?
C’est beaucoup plus facile parce qu’il y a beaucoup plus de liberté, pas de mots. Pouvoir aller où on veut musicalement parce qu’on n'est pas limité par un mot, un pied, une syllabe, un refrain, c’est merveilleux. Je n’avais pas de limites de jeu comme je peux avoir des limites vocales. Je me suis amusée, j’ai joué sans limite et c’est très agréable. Je ne suis pas un perfomer du jeu. Mais, quand on maîtrise l’instrument, on a davantage envie de faire jouer l’émotion. Je ne serai jamais autant authentique que dans cet album.
Il y a plus de vingt ans vous avez fait des arrangements et composé pour Barbara. Aujourd’hui, on vend ses biens aux enchères. Qu’en pensez vous ?
Je trouve cela lamentable. Si seulement c’était pour une bonne action… Mais c’est uniquement pour que la famille se fasse un peu d’argent. Aller vendre une écharpe en plumes, des boucles d’oreille... J’ai la haine ! Je la connais bien et je crois qu’elle rougirait. Elle aurait honte de voir une chose pareille.
J’ai écrit des chansons pour elle. Oh! C’était un moment formidable. Parce que elle, c’est un "engin" !!! Oh la la ! Terrible ! A l’époque en 73/75, je travaillais avec Moustaki. A partir du moment où elle m’a appelée pour travailler avec elle, ce fût l’emprise totale. Barbara, elle n’aime pas un peu. Elle aime tout de suite beaucoup. Et elle aime fort, il faut être disponible, ne rien faire d’autre. J’ai passé un moment d’amour carcéral absolument génial. C’est quelqu’un qu’on ne peut qu’aimer. On en sort grandi. Si toutes les maladies laissaient des séquelles comme celle-la, ce serait génial.
Catherine Lara Aral (Une Musique/Sony) 2000