FRANCOFOLIES SUISSES 2000

Nendaz, le 18 avril 2000 - Ski la journée et musique le soir pour la seconde édition des Francofolies de Nendaz, dans le canton du Valais. Du 10 au 15 avril dernier, les Suisses ont pu s’étourdir du rock teigneux de Dolly et écouter danser Patricia Kaas.

Le feu sous la glace

Nendaz, le 18 avril 2000 - Ski la journée et musique le soir pour la seconde édition des Francofolies de Nendaz, dans le canton du Valais. Du 10 au 15 avril dernier, les Suisses ont pu s’étourdir du rock teigneux de Dolly et écouter danser Patricia Kaas.

Si les prestations scéniques des trois têtes d'affiches, Gilbert Bécaud, David Hallyday et Patricia Kaas furent plus que correctes mais somme toute sans réelle surprise. On préfèrera s'attarder sur les outsiders de ce festival à la montagne et qui souvent créent la bonne surprise. L'occasion aussi de pointer le bout de son nez au-delà des frontières de l'hexagone et de rendre compte d'une autre réalité musicale. A commencer par Pierre Rapsat, grande star en Belgique, méconnu en France, à qui incombe la lourde tâche d'ouvrir la première de ces trois soirées au cœur du pays valaisien. Il y réussit fort bien. Il faut dire que le chanteur qui a commencé sa carrière en 1973, a déjà 15 albums derrière lui et reste à ce jour le seul Belge à avoir rempli la salle mythique de Forrest National de Bruxelles. Seul à la guitare ou accompagné de ses cinq musiciens, le chanteur qui fait partie du cercle restreint des artistes majeurs francophones belges (avec Maurane et Arno) interprète les chansons de son dernier album Volte-face, dont ce Si les femmes, single en forte rotation au plat pays. Puis enchaîne avec Passager de la nuit, un titre qui lui valu d'être disque d'or, il y a de cela quelques années. “Elle avait ce talent de savoir, à l'aube de la mort, faire rire ses enfants” en hommage à sa grand-mère, venue des Asturies, en Espagne, et à qui il dédie Aurore très applaudie par un public connaisseur, certainement belge. Ultime chanson, Pierre Rapsat revient avec L'enfant du 92ème, un succès qu'il offrira à Jeanne-Marie Sens et qu'il ré-enrégistrera dans son troisième album Je suis moi.

Le Québécois Richard Desjardins aura, quant à lui, du mal à trouver ses marques sous un chapiteau déambulatoire très bruyant... Seul sur scène au piano, il faut tendre l'oreille pour s'imprégner de la prose de l'écologiste Desjardins (élu Homme de l'année au Québec pour son combat contre la déforestation abusive) qui tente de nous emmener au pays des chercheurs d'or ou bien "chez moi, dans mon bled à 600 km de Montréal, ou soit qu'on travaille à l'usine, soit qu'on s'applique à fumer en écoutant pousser les sapins..." Brouhaha...

Les années passent mais Bécaud a toujours le même costume. Et la désormais classique cravate à pois. Micro dans la poche, Monsieur 100.000 volts est venu ce soir en voisin, de son chalet de Montana, à deux montagnes à vol de planeur de Nendaz. On sent chez Gilbert Bécaud ce même plaisir d'être sur scène, réclamant à 74 ans "plus, plus" d'applaudissements. L'interprète de L'important, c'est la rose, sans cesse en mouvement, va et vient vers l'un ou l'autre de ses musiciens, chante un duo avec Emily, sa fille. Mais Valaisiens ou vacanciers, on est tous venus pour l'entendre chanter Nathalie, L'indifférence (Tu es l'agneau, elle est le Loup...), Et maintenant ou Quand il est mort le poète" repris en chœur par les enfants du canton, tous de blanc vêtus. Première étape au Trappeur.

La plus belle affiche de ces Francofolies suisses est assurément la seconde soirée, drainée par David Hallyday, quoique Dolly ait méchamment secoué le chapiteau ce soir-là. Avant eux, les bonnets verts, rouges et jaunes, tricotés (ou crochetés ?) des huit rastas de Djama, basés à Nantes ont aussi démarré très fort avec leur version reggae du Boléro de Ravel... "No discrimination, no segregation" hurle Riva, le chanteur comorien du groupe, qui use de ses dread-locks comme d'une hélice. Prêt à décoller, car pour ce qui est de planer... Avant de chanter a capella un chant de l'île d'Anjouan, et d'agiter son bâton de sorcier, "celui qui protège la vie".

Dans la famille : on monte un groupe de nanas, comment on va s'appeler ? Je demande Skirt. Quatre Suissesses de dix-sept ans, originaires de Bulle, qui passent leur bac cette année, adolescentes à la mine renfrognée, sorties tout droit d'un sketch de Valérie Lemercier. Sauf que lorsqu'elles quittent leur loge d'un pas décidé pour entrer en scène, c'est pour cracher des riffs salés. Façon rock de garage avec les défauts et les qualités de ces premiers groupes qui savent à peine plaquer leurs accords. Pourtant, la chanteuse et guitariste Claire Huguenin, piercing sur le sourcil, petit gabarit de rockeuse ne s'en laisse pas conter, énergique dans la voix (tendance Björk), et le geste sur la guitare. A peine tombées du nid, les filles de Skirt revendiquent déjà deux blessés (par pogo) à l'inauguration du Skate Park de Bulle. Très frais.

C'est nous qui l'étions moins après le concert échevelé de Dolly qui aura, à l'unanimité, offert la prestation la plus électrique, la plus sensitive, la plus explosive, en un mot la plus dense. En seulement deux albums, le groupe issu de la scène-laboratoire nantaise, s'est affirmé comme LA révélation de la scène rock française. Si le premier opus était en anglais, Manu la chanteuse et ses trois comparses ont abandonné la langue de P.J. Harvey pour ce Un jour de rêves des plus léchés chanté en français. Qui, sur scène, insuffle un rock métallique à décorner un troupeau de vaches laitières. Que Manu continue encore longtemps à secouer ses tresses blondes. A ce stade de la soirée, on est prié de remettre ses boules Quiès (ou d'en rajouter). Car les Suisses ont cette intelligence de distribuer à l'entrée de chaque concert ces magnifiques petites choses qui nous préservent les tympans.

Mais pourquoi David Hallyday s'obstine-t-il à jouer si fort ? En maillot jaune, le rocker blond a présenté sensiblement le même concert que celui de l'Olympia si ce n'est qu'à Nendaz, nous avons eu droit à une reprise de Eteins la lumière d'Axel Bauer. Et la même constance ici comme ailleurs, celle du public qui réagit toujours très fort à la chanson Sang pour sang qu'il a écrite pour Johnny Hallyday et ne déteste pas interpréter sur scène. Chaque fois mieux que la précédente. Seconde étape au Trappeur.

Très attendue, de ce côté-ci des alpages, Mademoiselle Kaas a présenté son nouvel et cinquième album Le mot de passe composé par Pascal Obispo. Décor japonisant, pantalon et bustier noir, la chanteuse, une baguette à la main, s’improvise chef d’orchestre devant un quatuor à cordes. “Les studios, c’est bien mais c’est sur scène que je vis mes chansons” , alors ce sera Ma liberté contre la tienne ou cette chanson qui lui ressemble tant, La fille de l’Est signée Jean-Jacques Goldman. Parfaite quand elle s’en tient à son répertoire et à son style, Patricia Kaas est sur le fil lorsqu’elle veut élargir son champ de compétences. Comme celui de vouloir danser. Mais n’est pas Madonna qui veut. Ou celui de vouloir à interpréter à tout prix (elle n’est pas la seule) du Barbara (lors de sa dernière tournée) ou Léo Ferré. Non, décidément on préfère Patricia Kaas lorsqu’elle chante Les hommes qui passent, Je voudrais la connaître ou Il me dit que je suis belle.

A noter la qualité du festival off, en plein air, devant un verre de vin chaud (pas loin du Trappeur) qui réunissait Saïan Supa Crew, Bosco, Zorg, Elegia, Saez ou Aldebert, et dont certains auraient mérité de se produire sous le grand chapiteau.

Pascale Hamon

Pierre Rapsat : “Volte-Face” (Nationale 4)
Richard Desjardins : “Boum Boum” (Inca/Sony)
Gilbert Bécaud “Faut faire avec...” (Disques Odéon)
Djama : Indian Oceanic Reggae
Skirt - CD 4 titres (Zucca Music)
Dolly : “Une vie de rêves” (East West)
David Hallyday : “Un paradis, un enfer” (Mercury/Universal)
Patricia Kaas : “Le mot de passe” (Columbia/Sony)