LE TRIANON D'HELENA
Paris, le 14 février 2002 - Après plusieurs coups d’essai, son deuxième album, Azul, a imposé Helena en chanteuse délicate de vraies-fausses bossa-novas épicées d’échos pop et de douceur jazzy. Le festival Les Jeux lui a offert dans l’écrin baroque du Trianon deux soirées entourées d’amis, mêlant revenants attachants (Lio, Marie-Paule Belle, Jacno) et idoles branchées.
Ils sont venus, ils sont tous là
Paris, le 14 février 2002 - Après plusieurs coups d’essai, son deuxième album, Azul, a imposé Helena en chanteuse délicate de vraies-fausses bossa-novas épicées d’échos pop et de douceur jazzy. Le festival Les Jeux lui a offert dans l’écrin baroque du Trianon deux soirées entourées d’amis, mêlant revenants attachants (Lio, Marie-Paule Belle, Jacno) et idoles branchées.
 Ils sont venus, ils sont tous là, les copains d’Helena. Elle en sautille de joie sur la scène du Trianon, impatiente de nous les présenter : «Alors on va dire qu’on est comme à la maison. Des copains passent, frappent à la porte et viennent interpréter une chanson avec moi». Trop sympa ton idée Helena. On peut se tutoyer, dis, ça ne te dérange pas puisqu’on passe deux soirées ensemble ? Pour nous recevoir chez toi, tu as donc revêtu une robe rouge de tissu léger (mardi), un fourreau dos nu ravageur (mercredi), tu as tendu de grands voiles blancs sur le fond de la scène, tu as installé un petit tapis moelleux sous ton micro pour pouvoir te mettre pieds nus et tu as refermé la porte sur les trottoirs humides du boulevard de Rochechouart. Dommage que tu nous aies laissés dehors, un peu solitaires, devant l’étalage de tes affinités électives.
Sans être de ceux qui se pâment à chacune de tes ondulations, applaudissent à tout rompre avant même que tu entres en scène, puis frémissent lorsque d’une caresse, tu remontes sur ton épaule ta robe baladeuse, on était pourtant prêts à te suivre dans tes voyages imaginaires, aller à la rencontre de ceux que tu avais choisis pour complices d’un soir. La recette proposée semblait alléchante : prendre quelques vieilles gloires attachantes de la chanson française bénéficiant d’un récent regain d’intérêt – Marie-Paule Belle grâce à Barbara, Lio grâce à Prévert, Chamfort coaché par Burgalat, Chédid réveillé par M -, les mêler à des figures incontournables de la pop française branchée, parées d’une aura un peu énigmatique – l’ineffable Bertrand Burgalat, responsable du label Tricatel et bidouilleur adulé de sons électroniques, Katerine, antistar absolu et star malgré lui, Jacno, dandy ultime et quasi-culte rescapé de la vague post-punk des années 70. Enfin pour le piquant, glisser deux, trois noms inconnus au bataillon de la chanson – Fifi Chachnil, Olivier Libeaux. La programmation obtenue éveille forcément la curiosité.
Car dans l’idéal, tout ce beau monde est en plus susceptible d’entretenir des complicités affectives et/ou artistiques plus ou moins poussées. Rappelons en toute discrétion que Katerine, pygmalion musical de la belle, partage également ses jours et ses nuits, que Lio est la grande sœur d’Helena tandis qu’Alain Chamfort fut un temps le compagnon de la grande sœur. Tout ça vous a des airs touchants de réunion de famille, spectacle sympathique et attendrissant mais musicalement un peu poussif, particulièrement lors de la première soirée. 
Rien à voir avec la grâce d’un disque, Azul, sorti en avril 2001 et qui a tourné sur les platines en boucles langoureuses durant un été idéalement coloré de ses ballades chantées en portugais, en anglais, en français. Les musiques composées par Katerine, également producteur du disque, et arrangées par ses trois compères des Recyclers – Benoît Delbecq, Steve Arguëlles, Cristophe Minck - savaient s’échapper des canons de la bossa pour s’offrir des détours par le jazz, aborder des rivages plus flous mais toujours agréablement mélancoliques et nonchalants. Et la voix chaude d’Helena, déjà interprète de plusieurs singles et d’un premier album, Projet Bikini (1999), y trouvait son équilibre, vaporeuse et caressante. Azul prenait à contre-pied l’image d’Helena Noguera, Lolita sexy sur papier glacé, sœur de, ex-mannequin, présentatrice déjantée de l’émission Plus vite que la musique sur la chaîne de télévision M6 et laissait place à une Helena revenue aux sources, celles d’un père fou de musique, d’un Portugal intime moins fado que latino, d’une personnalité plus nuancée, entre soleil et clair obscur.
L’Helena du Trianon soutenue par un trio basse, batterie, claviers, aurait dû se contenter de chanter, impeccablement, les chansons de cet album qui lui va à merveille. On écoute en apnée pour en préserver la grâce, des titres chuchotés comme Mon bel Andalou, Baby Butterfly, Vai meu amor ou Tout commence pour sa montée finale, lente mais implacable. Mais le charme est rompu dès lors que la demoiselle se met en tête de tenir son rôle d’hôtesse des lieux. Helena ne parle pas, elle minaude, avec une voix de petite fille, certains diront charmante, d’autres exaspérante, ponctuée d’infinis effets de cheveux. Elle force la légèreté et la superficialité au point de plomber son personnage du pire ennemi de ses textes aériens et érotisants : une attitude bébête, pas ridicule, mais nunuche. Elle surjoue le ton d’une convivialité factice où il suffirait de se balader pieds nus sur la scène, de faire bisous, bisous avec tous ses invités, d’hésiter sur l’enchaînement des morceaux ou de chanter les chansons de ses invités, paroles en main, pour faire croire qu’on serait comme à la maison autour d’un bœuf improvisé entre potes. Tout ce beau monde a l’air de filer le parfait amour, mais à trop, et mal, l’afficher, exclut le public de cette belle histoire qui lui donne l’impression de lorgner par le trou de la serrure des voisins. 
Les prestations des potes en question sont inégales, aimablement amateurs le premier soir, plus marquantes le lendemain. Passons rapidement sur l’apparition de Fifi Chachnil, petite poupée blonde cultivant de faux airs de France Gall des années 60, styliste de son état, venue pousser une chansonnette désuète de Mireille Darc et Pierre Delanoë d’une voix malheureusement inaudible. On aurait voulu s’attarder un peu plus sur le passage Lio, mais celui-ci fut tellement fugitif qu’on se demande encore si on n’a pas rêvé sa robe un peu folle de princesse Leila descendue sur terre pour reprendre avec un bel entrain La Parisienne de Marie-Paule Belle. Place à Olivier Libiaux et sa guitare, dont on saura juste qu’il est là en tant qu’« auteur d’un conte musical », dont Helena interprète quelques chansons gentiment érotiques.
Les performances du lendemain, un peu moins lourdement estampillées "Famille, je vous aime", ont réservé quelques beaux moments : un duo drôle et coquin avec Doriand, petit frère de pop gracile d’Etienne Daho, une Javanaise murmurée par Louis Chédid et surtout la nostalgie délicieuse de L’India song de Duras doublée de la voix d’Alain Chamfort. Une émotion, la silhouette maigre et maladroite de Jacno, sa dégaine d’ange déchu pour chanter quelques couplets avec Helena et un drôle de frisson qui parcourt la salle.
Restent les "cas" Katerine et Burgalat, présents les deux soirs, compositeurs surdoués de climats musicaux raffinés, de petits bijoux minimalistes, tellement inspirés qu’on leur pardonnerait leurs poses d’esthètes neo-sixties, la mèche impeccablement plaquée sur le front. Parfaits sur disque, les deux musiciens peinent à emporter l’adhésion sur scène, rivalisant de timidité et de regards fuyants. La présence répétée de Bertrand Burgalat au xylophone, tout aussi charmante soit-elle, ne peut déchaîner l’enthousiasme que des fans les plus accrocs. Et quand ils cherchent à donner de la voix, on tend l’oreille pour cueillir chaque mot, heureux finalement de les retrouver dans le timbre chaud de celle d’Helena.
Sophie Makris
Azul (Universal/Verve)
Helena en ligne sur le site Tricatel
            
            
            
            