La nuit Sanseverino
Depuis la sortie de son album Le Tango des Gens en septembre 2001, Sanseverino a flambé plus de 180 concerts pour une tournée qui consume ses dernières dates. A la veille de la nuit Sanseverino* au Trianon à Paris, revenons sur celui qui, avec décors et personnages bien plantés, réhabilite une certaine tradition réaliste aux accents tziganes. L’antidote manouche au blues ambiant.
Le Voleur de poules est devenu tête d'affiche.
Depuis la sortie de son album Le Tango des Gens en septembre 2001, Sanseverino a flambé plus de 180 concerts pour une tournée qui consume ses dernières dates. A la veille de la nuit Sanseverino* au Trianon à Paris, revenons sur celui qui, avec décors et personnages bien plantés, réhabilite une certaine tradition réaliste aux accents tziganes. L’antidote manouche au blues ambiant.
Le voyage
L’homme est à l’image de la pochette de son disque. Cet air sympa, roublard et goguenard, la lèvre lippue. Une lèvre en forme de muscle à vrai dire. Car l’homme est bavard. Affable d’histoires, d’anecdotes, de réflexions sur le tas, le tout dans un paquet d’humour bien ficelé. Un goût pour l’échange et la parlotte comme peuvent l’avoir les gens du voyage. Ceux comme lui qui, avant de quadriller les routes de France, ont commencé par courir celles du globe. De Nouvelle-Zélande au Mexique, d’Europe du Sud en Europe de l’Est, quand la famille navigue au gré des obligations professionnelles du père papetier. Curieusement, sa passion pour la chanson manouche n’est pas aussi immédiate que son énergie à la gratter le laisse penser : "Musicalement, j’ai découvert que j’avais été influencé par l’Europe de l’Est à trente ans, alors que je n’avais vécu en Bulgarie et en Tchécoslovaquie que deux fois un an entre six et quatorze ans. Je suis revenu en France vers l’âge de dix-huit ans mais je ne me suis seulement lancé dans la musique que dix ans plus tard. Les sonorités tziganes sont remontées rapidement et m’ont tout de suite rappelé l’enfance."
Entre son aspiration à la comédie, ses premières troupes de théâtre et son portrait placardé en solo sur les murs de France, il y a toujours ce sens de l’observation ironique. Ce verbe qui bondit d’histoires en victoires au quotidien, nos travers et nos galères pincés au second degré d’un accord à cent à l’heure : "J’ai rapidement compris que lorsque tu choisis une musique marquée dans un style, pour la rendre personnelle il ne faut surtout pas reprendre les clichés qu’elle véhicule." Exit les histoires de roulottes, mais de ses influences on retiendra des gens comme Ferré, Vian, mais surtout Bruant et Béranger. Lui, François Béranger, mordant depuis 30 ans avec colère et tendresse les mollets des conventions et de l’ordre établi, est invité sur scène à l’occasion. Ces gens dont il se sent moralement responsable, seul détenteur alors aux droits à la succession.
Le groupe
De ses tentatives à pérenniser leur bonne parole, c’est avec les Voleurs de Poules en 1992, qu’il pose valises et partitions : "L’idée au départ, c’était de créer un petit trio sympathique et acoustique pour jouer dans les maisons de personnes âgées, et faire 4-5 concerts par semaine. Et on s’est très vite retrouvés dans le circuit officiel des concerts." Sept années de bons et loyaux services, au service d’une chanson française des années 40 réarrangée tzigane dont l’écriture de Sanseverino laisse quelques perles comme "Oui je t’aime/ Oui je t’aime car/ Tu sens les poivrons." Unique groupe français à pratiquer un rock de l’Est se durcissant avec le temps, les avis comme à chaque fois divergent quant à la marche à suivre. Et convergent vers la rupture : "Ce que je voulais faire, et c’est une des raisons de mon départ, c’est que les Voleurs de Poules soient le No-Smoking Orchestra (groupe de rock dans lequel joue Emir Kusturica, ndlr). Une rythmique rock et des cuivres tziganes. Artistiquement, on était partis dans cette direction, c’était tout à fait logique. Personne n’a vraiment manifesté d’enthousiasme, donc je me suis cassé et suis revenu au swing." De plus, l’intérêt croissant des médias et la promesse d’une reconnaissance, ne suffiront pas à supporter les compromis : "Pour finir, ce que je n’aimais plus dans le fait d’être un groupe, c’était toutes les prises de décision à quatre. Je ressentais vraiment ce besoin d’être seul, ne plus s’abstenir de quelque chose parce que la majorité était contre."
Le solo
L’indépendance à la trentaine passée, ça ne se reproche pas. A la composition de son album solo, Sanseverino envisage jazz-manouche et modernisme électronique. Une sorte de passage à l’Ouest organisé par un sombre informaticien. C’est vrai que les perspectives de "faire intervenir d’un coup un ensemble de cordes arabes avec cinquante musiciens" sans en avoir les moyens, sont incontestablement réjouissantes. Mais deux nuits passées sur une boucle et c’est la spontanéité qui prend la porte. Triturer, bidouiller, customiser, c’est bon pour le régime de l’écriture, rien d’autre. Rester conforme à son style, presque une philosophie de l’authentique : "Cette technologie s’apparente aujourd’hui pour moi à du loisir. Ce que j’aime faire, c’est du swing à textes. Sur ma première maquette, les deux titres m’ont permis vite d’avoir les signatures que je voulais. Moralité, sois naturel, détends-toi et fais ce que tu veux!" Et le succès tu remporteras.
Le succès
Déjà Disque d’argent (50.000 exemplaires en un an), c’est un plébiscite qui réchauffe les doigts. Mais comment aborde-t-on ses 40 ans, dont 20 de bourlingue et une signature sur une major? Comme une continuité, un soulagement ou encore un compromis? : "D’abord, c’est le moyen d’arrêter les boulots alimentaires et l’immense satisfaction d’avoir, après 20 ans d’espérance, enfin un métier. Entre comédien, technicien et musicien, je ne savais plus trop où j’étais." Quitte à faire quelques concessions sur une promo à la truelle : "Je suis très fier de voir tous ces gens à mes spectacles. Ce dont je suis un peu moins, c’est ma gueule partout dans le métro, sur les affiches ou à la télé. C’est pour ça que je veux être le plus naturel possible à tous les niveaux, sur la pochette notamment, et ne pas être assimilé aux phénomènes de gavage labellés Star Academy. La télé, ça me fout plutôt la honte, mais pour mon label, c’est important et on essaie de travailler en bonne intelligence."
La scène
La tournée aura duré deux ans soit 180 dates, hors show-cases, concerts promos et autres. Sanseverino en ressort aujourd’hui comme l’homme de toutes les scènes. Hier, expert en salles confinées, dorénavant chantre des foules : "Je suis un peu moins mal avec ce type d’audience qu’avant où je n’aimais que les salles de 200 places. Maintenant, ça ne me gêne plus d’en avoir 2000. Mais il y a certaines choses que je ne fais plus. Comme les grands blabla où je sens que l’attention flotte rapidement. Mes histoires habituellement entre 2 et 10 minutes, je les réduis de moitié devant 10.000 personnes." Un public réceptif à ce second degré qui permet de tout avaler, Un chanteur s’attachant à ne pas oublier la gravité des choses : "La musique est avant tout un loisir pour ceux qui écoutent et c’est trop dur de rentrer au premier degré dans un sujet difficile. Avec le second degré, j’ai trouvé ma façon de travailler." Pour peu, on lui proposerait presque une réécriture du credo d’un certain Béranger: "Profiter du temps sans s’aveugler sur certaines réalités du monde."
* La nuit Sanseverino au Trianon, Paris 18, le 14 décembre à 20h30, avec Bernard Lavilliers, Tété, La Grande Sophie.
Sanseverino / Le Tango des gens (San Paolo/Sony) 2001