Les baguettes magiques d'Anne Paceo
A seulement vingt-quatre ans, la batteuse Anne Paceo, nouvelle étoile montante de la batterie, a déjà partagé la scène avec les plus grands noms du jazz hexagonal. De son coup de foudre pour le rythme à ses projets actuels, en passant par ses rencontres, sa formation et ses envies, Anne, spontanée et généreuse, raconte son aventure.
Le jazz au bout des doigts
A seulement vingt-quatre ans, la batteuse Anne Paceo, nouvelle étoile montante de la batterie, a déjà partagé la scène avec les plus grands noms du jazz hexagonal. De son coup de foudre pour le rythme à ses projets actuels, en passant par ses rencontres, sa formation et ses envies, Anne, spontanée et généreuse, raconte son aventure.
Une bouille mutine et hallucinée, un regard malin sous d’emblématiques cerclages, des mimiques, gymnastique en échos aux gimmicks, et des formules magiques, défi à la rythmique : enfant aux sortilèges, Anne Paceo expérimente, délivre un swing virtuose et funambule, pied de nez à la gravité, et un sourire qui partage l’innocent bonheur de jouer des baguettes. Son talent, les grands noms l’attestent. Elle a vingt-quatre ans et son art s’est déjà frotté, entre autres, à ceux de Stéphane Belmondo, Laurent De Wilde, Giovanni Mirabassi, Marcel Azzola, Mederic Collignon, Rémi Vignolo, Henri Texier, Alain Jean-Marie, Andy Emler, Rhoda Scott, Christian Escoudé ou encore Rick Margitza. Une litanie de noms qu’accompagnent une ribambelle de dates et un agenda digne d’une femme d’affaires.
Selon la légende familiale, tout commence en Côte d’Ivoire, où Anne passe ses trois premières années. Dans la maison mitoyenne, des djembés résonnent. Sa mère explique ainsi cette obsession précoce du rythme. Pour Anne, très peu de souvenirs, mais cette certitude : "Au professeur du conservatoire de région qui m’enseignait les percussions classiques, j’ai lancé cet ultimatum : soit j’apprends la batterie, soit je me barre". Comme tout ado qui se respecte, Anne joue, dès dix ans, avec un pote guitariste, les succès de Nirvana, Rage Against The Machine ou encore Oasis. "On se produisait lors des fêtes de la musique. Je garde des bandes de cette époque, vestiges de séances d’enregistrement sur mon magnétophone Bontempi", se remémore-t-elle, amusée.
Boulimie de blue note
Déménagement à Paris, à douze ans. A l’Ecole de Musique où sa mère l’inscrit, son professeur Stéphane Kochoyan lui ouvre les oreilles au jazz, et lui enseigne son premier "chabada", B.A. BA initiatique qui subjugue la jeune fille. S’il décelait en elle des dispositions étonnantes, "il percevait surtout une envie, et la passion. Je considérais la musique comme un jeu, indissociable de la notion de plaisir. A douze ans, je trippais de travailler ma technique! " Ce n’est que vers seize, toutefois, que la révélation éclot, lors d'un stage dans le sud de la France aux Enfants du jazz de Barcelonnette. Une concentration de quatre-vingt mômes en extase, devant un concert de Kenny Garrett : "A cet instant, j’ai su que je ferai du jazz dans ma vie". Débute alors une intense boulimie de blue note. Autre rencontre déterminante, au lycée, en option musique : celle avec Annick Chartreux, professeur et pédagogue remarquable, qui l’incite à diriger le groupe de jazz du lycée. La vie suit son cours ; Anne intègre le prestigieux Conservatoire national supérieur de musique (CNSM).
Rencontré au Festival de Pinarello, le guitariste Christian Escoudé reste le premier "géant" à lui accorder sa confiance. "On s’est tout de suite bien entendus. Curieuse, j’avais envie d’écouter sa vie. Lorsqu’il m’a proposé de collaborer avec lui, j’ai halluciné, à la fois heureuse et fière de jouer avec un artiste qui avait autant de musique à donner !" D’Alain Jean-Marie à Rhoda Scott, avec lesquels elle entretient des affinités particulières, Anne enrichit ainsi un impressionnant curriculum vitae de "side woman" ("la femme d'à côté" littéralement, ndlr) . "Je me nourris de ces expériences et absorbe les connaissances du passé. Si un artiste n’appréhende pas ce qui lui est antérieur, il n’avance pas. J’apprends énormément au contact de ces maîtres. Si mon jeu ne fonctionne pas, je l’entends plus que d’habitude. L’exercice requiert une profonde rigueur."
Carte blanche
Autre défi : depuis deux ans, le programmateur de la salle de jazz parisienne le Duc des Lombards, Jean-Michel Proust, lui confie une carte blanche mensuelle, un espace d’expression et de liberté rien qu’à elle. "J’essaie de créer des groupes de musiciens, qui peuvent s’éclater ensemble, comme Rhoda Scott et Rick Margitza. Je profite aussi de l’endroit, de son espace et de sa notoriété, pour convier des personnalités qui n’auraient pas joué dans d’autres salles, tel Henri Texier, qui fait partie de mes premières amours !" Pour autant, Anne ne néglige pas ses projets personnels : ainsi du trio Triphase, avec le pianiste Leonardo Montana et le contrebassiste Joan Eche-Puig, dont l’album devrait sortir à l’automne. Dans la formation, la musique se construit à trois, un courant qui passe, entre intimité et complicité : "Quand je joue avec eux, je me dis juste que c’est beau, ça me lave de mes angoisses".
Au fil des apprentissages, la petite Anne grandit et poursuit son bonhomme de chemin, tout naturellement et à sa juste place, douée d’une sincérité et d’une envie contagieuse, bien dans ses basques, volubile, consciente de son talent autant que de sa chance. Mais le rêve devenu trop tôt réalité n’entraîne-t-il pas le risque de devenir blasée ? "Je ne suis pas de cette trempe là ! Dans le jazz, plus tu apprends, plus tu repousses les limites des territoires inexplorés. Et puis, je joue de la musique que j’aime, entourée de personnes que j’estime. Il me reste encore longtemps à tripper ! "