CD DE LA SEMAINE : EMMAÜS
Paris, le 24 décembre 1999 - Une quinzaine d’artistes réunis sur une compilation pour marquer le demi-siècle du mouvement caritatif Emmaüs. Un disque vendu 100 francs et dont les bénéfices seront reversés à l’association... Et un showcase organisé pour marquer ce lancement le mois dernier. Compte-rendu et beau cadeau de fin d’année.
Charité bien ordonnée et musiques bien composées
Paris, le 24 décembre 1999 - Une quinzaine d’artistes réunis sur une compilation pour marquer le demi-siècle du mouvement caritatif Emmaüs. Un disque vendu 100 francs et dont les bénéfices seront reversés à l’association... Et un showcase organisé pour marquer ce lancement le mois dernier. Compte-rendu et beau cadeau de fin d’année.
La scène est un peu surréaliste... Le 30 novembre dernier, tout le ban et l’arrière ban de la presse audiovisuelle musicale, les chaînes câblées, les journalistes glamours et les potiches porteuses de micro ainsi que quelques “m’as tu vu ?” mélomanes se retrouvaient dans l’espace-concert rapidement surchauffé de la Fnac/Champs-Elysées. Là, tout n’est que paillettes, frime et fébrilité. Au beau milieu de ce réduit confiné un petit bonhomme voûté fend la foule curieuse et vaguement admirative. Un sonotone à l’oreille et chuchotant d’un filet de voix que : “Finalement le rock ça a beau ne plus être de mon âge, c’est pas si mal si cela peu rapporter quelques dons...” L’Abbé Pierre est là au milieu d’un aréopage de prélats vaguement converti à la cause d’Emmaüs et de journaliste courants après trois minutes trente d’interviews.
L'Abbé Pierre (87 ans) n’est pas un ado en mal de décibels, encore moins un fan en furie. Il vient juste inaugurer avec Jean-Louis Aubert, Stephan Eicher et Linton Kwesi Johnson le lancement du disque “Emmaüs Mouvement” qui célèbre musicalement les cinquante ans de l’association. Pour cela, un disque avec une quinzaine d’artistes vient de paraître.
L'un des maîtres d’œuvre, c’est l’ex-Téléphone Jean-Louis Aubert qui se prête gentiment à toutes les demandes d’interviews. “Ce qui m’a plu dans cette démarche, c'est l'esprit d'Emmaüs et de la compilation d'abord parce que c'est une association qui est laïque contrairement à ce que beaucoup de gens pourraient croire” explique t-il en coulisse à quelques minutes du showcase. “Parfois, Emmaüs redonne la dignité à des gens qui l'ont perdue et qui ont besoin de la retrouver”.
Sentiments moins spontanés du côté d’Eicher qui, après sa balance, manie l’ironie... “Je ne fais pas trop de bonnes choses, de bonnes actions dans ma vie parce que je suis d'un naturel méfiant et que lorsque j'ai participé à des actions caritatives à la télé, on me disait “Vas-y ! Joue ton tube ça te fera de la pub à toi aussi. C'était assez troublant comme sentiment et même assez désagréable”, admet l’Helvète chantant.
Est-ce la première fois qu’il rencontre l’Abbé Pierre ? “En chair, en os et en robe de bure, oui”, répond Eicher avant de réviser les accords de son titre enregistré avec les tziganes de Bratsch, “Ceux à qui ça va bien”. “Les Bratsch, ce groupe “pot-au-feu”, allaient bien avec le patchwork des vêtements qu'on trouve chez Emmaüs quand on a froid. Bratsch, comme moi, on a déjà acheté une table ou des fringues chez l'abbé Pierre. Moi je trouve ça cool”, avoue Eicher.
On ne sait si les auditeurs trouveront la musique formica du groupe Air aussi chaleureuse qu’un pull en grosse laine, mais le titre “Remember” ne dépareille pas au milieu du fatras des genres. Un camaïeu musical qui réjouira vraiment les amateurs de nouveautés et de bons titres. On se réjouit par exemple de retrouver FFF en grande forme qui laisse son heavy-funk de côté pour une légère tournerie acoustico-moraliste : “Amnésie internationale / On trouve ça normal/ Toute la frénésie vide du monde/ Du travail et du fric/ Pour justifier la ronde de nos besoins pathétique/ Le refuge dans l’ignorance / C’est beau la France”. Si la bande de Marco Prince est en forme, les Anglais ne sont pas en reste. Marianne Faithfull lit un sonnet de Shakespeare avant que Joe Strummer n’exécute “Junco Partner” à la guitare sèche.
Autre rencontre extrêmement savoureuse et groovy, la passe d'armes entre toasters, l'Anglo-Jamaïcain LKJ et les Marseillais d'IAM, Shuriken et Imothep pour le titre “Tek Chance”. On découvre même au passage la tendance musicale du prochain Rita Mitsouko (sortie début 2000) avec "le Juste Prix" délicieuse petite diatribe à double sens contre l’émission la plus vulgaire de la télévision française et à la condition de ceux qui en France mendient : “Avec l’œil aiguisé / Comme à la chasse, les sens aux aguets qui va à la chasse au juste prix gagne la place économie”. La plume de “la Ringer” est toujours aussi corrosive.
Dans un coin au calme Aubert attend paisiblement le début du showcase en sirotant un thé bouillant. “J'aime bien la figure de l'Abbé Pierre. Je considère qu'à cette époque où on est en train de changer de siècle et de se retourner sur le millénaire passé qu'il y a un homme dont il faut retenir le nom, c'est lui. Pour moi, c’est l’homme qui a dit non, c'est vraiment lui. A 87 ans, je le trouve encore rebelle, et formidablement humble. Ma chanson “Veille sur moi”, je l'ai habillée avec cette image du partage que j'avais de l'association. Ce genre de personnage m'empêche de devenir froid, insensible et indifférent. Et en cela, je le remercie”. Un aveu qui ira droit au cœur des 4.000 compagnons et 5.000 bénévoles travaillant au sein des 110 communautés Emmaüs et qui chaque année accueillent des milliers de laissés-pour-compte et leur offre l’hospitalité, un repas et du travail.
Un repas... de maïs par exemple comme l’épi qui orne la pochette de l’album. Une symbolique que Jean-Louis Aubert explique : “Je crois que c'est pour faire référence à la banane d'Andy Warhol, en réponse aux années d'opulence correspondant à cette période. C'est une sorte de pied de nez à cette image. Et puis aussi ça symbolise l'une des nourritures de base sur terre et où les grains sont serrés les uns contre les autres comme nous... C’est l’Emmaïs mouvement”, conclut-il dans un grand éclat de rire.
Pendant ces bonnes paroles, un ex-mannequin reconverti en apprenti journaliste bâfre au buffet des musiciens en évitant de tacher son ensemble Saint Laurent. Le concert va commencer. Drôle d’ambiance vraiment en France. L’Emmaüs Mouvement s’ébranle. Lentement.
Frédéric Garat
Emmaüs Mouvement (Virgin)
Site d'Emmaüs France
Site d'Emmaüs International