‘VIVE LA WORLD’ DE MIAMI À QUÉBEC

Québec, le 11 juillet 2002 – Le mercredi 10, un petit festival itinérant, Vive la World, a investi le grand Festival d’Eté de Québec après, entre autres, Miami le 4 juillet. Une triple affiche : le Malien électronique Issa Bagayogo, les Franco-cubains de P18 et surtout l’Algérienne Cheikha Rimitti qui ces jours-ci fascine le public nord-américain autant que l’Amérique la fascine. Etonnante rencontre.

Un festival dans le festival.

Québec, le 11 juillet 2002 – Le mercredi 10, un petit festival itinérant, Vive la World, a investi le grand Festival d’Eté de Québec après, entre autres, Miami le 4 juillet. Une triple affiche : le Malien électronique Issa Bagayogo, les Franco-cubains de P18 et surtout l’Algérienne Cheikha Rimitti qui ces jours-ci fascine le public nord-américain autant que l’Amérique la fascine. Etonnante rencontre.

Depuis quelques jours, Québec baigne dans une brume provenant des incendies géants qui embrasent le Nord de la province. Le ciel est incertain et c’est après une belle averse que démarre le premier concert des trois plateaux de la tournée Vive La World. Ce projet ambitieux est né en 1997 de l’imagination de deux Français, Hélène Gherman et Jean-Christophe Bauzin, alors résidents new-yorkais. La première édition, avec entre autres Cheb Mami, était intégrée au Summerstage festival de Central Park et avait été conçue pour faire découvrir aux Américains la scène des musiques du monde produite en France.
Au bout de cinq éditions, et en dépit des aléas financiers et logistiques, les deux producteurs ont réussi à créer une vraie demande à travers l’Amérique du Nord et d’une date en 1997, autour du 14 juillet, Vive la World est devenu une tournée reconnue de neuf dates cette année. Après un départ de Miami le 4, elle terminera à Los Angeles le 14. Ce sera la rencontre des deux fêtes nationales pour un projet qui se veut fédérateur.

De la même façon, le Festival d’été de Québec est sensible depuis quelques années à Vive la World. «Ici, l’accueil est impeccable, reconnaît Jean-Christophe Bauzin, même si la tournée Vive la World disparaît pour un soir derrière le FEQ.» Effectivement, aucune visibilité pour la tournée qui est pourtant une manifestation en soi. Mais l’important est l’impact des concerts qui hier soir, ne sont pas passés inaperçus au milieu d’une, pourtant, vaste programmation.

D’abord, le Malien Issa Bagayogo a créé la surprise avec son mariage réussi entre la tradition de son luth à 6 cordes, le kamlele n’goni, et l’électronique. Ce qui lui vaut depuis quelques années le surnom de «Electro Isso». Entouré d’un guitariste, d’un bassiste et de deux choristes, cet ancien chauffeur de bus de 40 ans apporte une touche électro à son répertoire qui renouvelle le genre sans le déposséder. La vague des expériences du genre ont été pléthore ces derniers temps entre le Mali et la France, mais la sienne est notable. Les co-responsables français avec Isso sont le Lyonnais Philippe Berthier, installé au Mali depuis les années 80, et le Nancéen, ex-Double Nelson, Yves Wernert. Le résultat est à la fois lascif et énergique, exploitable sur les dancefloors ou affalé dans son salon.

En fin de soirée, peu de chances de s’endormir avec le melting pop franco-cubain de P18. Là, similitudes avec Bagayogo : l’électro d’abord, intégrée à leur dernier CD, Electropica (Virgin). Mais surtout, l’expérience P18 est née de la même façon d’une rencontre entre la France et Cuba, entre l’ex-Mano Negra, Thomas "Tom" Darnal, et le trompettiste Barbaro Teuntor, en 95. Mais Darnal, qui réfute l’image de leader, réfute aussi de surfer sur la vague cubaine de ces dernières années. Non, il n’a pas copié sur Dany Brillant en travaillant avec des Cubains, il n’a pas été là-bas juste pour poser sur la photo. Le Français a privilégié les rencontres humaines et musicales, a étudié la musique cubaine, les instruments. P18 se veut une exploration des cultures. Et une explosion scénique. De ce côté-là, la bande à Darnal – ils sont une dizaine sur scène - réussit son coup, même s’il manque quelques titres forts pour consolider l’ensemble. D’abord emmitouflés sous quelques laines, le public a terminé en dansant, ignorant la fraîcheur humide.

Mais la perle de l’affiche Vive la World 2002 a près de 80 ans et de nombreux surnoms : "la mère du raï moderne", "la Billie Holiday algérienne"… Cheikha Rimitti, malicieuse vieille dame, un rien cabotine, est fière de chanter en Amérique, «le pays du show business» lance l’Algérienne à la presse venue la rencontrer lors de son étape québécoise. Dans ses propos, des constantes : la misère, la seconde Guerre mondiale, les Américains venus soulager les Algériens de leurs peines, le travail, la foi en Dieu. «J’ai grandi orpheline. Dès 5 ans, j’ai été obligée de travailler un peu partout. J’ai connu la colonisation, j’ai été domestique chez un officier.» raconte t’elle via son producteur qui traduit ses propos. «La misère est une école où il ne faut pas redoubler.»

Cheikha Rimitti, diva au nom inconnu puisque «Rimitti» aurait des origines diverses mais en aucun cas l’état civil, a un parcours romanesque et mystérieux, celui d’une femme algérienne que les choix de vie ont souvent marginalisée. «Très jeune, j’ai animé des fêtes des circoncisions, des mariages, des séances de marabout. C’est ainsi que j’ai appris mon métier. Je ne sais ni lire ni écrire mais j’ai appris beaucoup.» Toutes ses réponses sont rattachées à son passé, à ses épreuves. Et aux Américains. Au milieu de ses paroles en arabe, surgissent tout le temps les mots «américain, américain». Elle leur attribue une large part de sa réussite : «La deuxième Guerre mondiale, c’était une période très pauvre. Les Américains sont arrivés avec des vêtements et de la nourriture pour soulager les souffrances. J’ai profité de cette période de liberté pour me lancer dans la musique. C’était une période de relaxation mentale. Mon premier 45 tours était sorti chez Pathé Marconi en 1936 et ça a coïncidé plus ou moins avec le débarquement américain en 1945. Depuis, je rêve de tourner en Amérique et ça s’est réalisé.» Quand un journaliste cherche à l’entraîner sur la route de la «diabolisation de l’Amérique par l’Islam», son producteur Nourredine Gafaïti prévient qu’elle ne le suivra pas sur ce chemin.

En revanche, elle fonce quand il s’agit d’évoquer les vedettes raï actuels. «J’ai pétri la musique raï. A leur naissance, ils ont trouvé un plat bien servi et ont tout ramassé. Ils volent sans déclarer la source. Un garçon comme Khaled a déclaré sous son nom des chansons que je chantais quand il n’était pas encore né. Depuis que je suis installée en France, les gens ont pu vérifier que c’était mes chansons. Ils m’ont dilapidée. Quand je les croise, ils ne me remercient pas, ils rigolent, ils ne sont pas reconnaissants. J’ai fait ces deux disques pour prouver que je peux être aussi in qu’eux .» Sa diatribe est virulente, Cheikha Rimitti fait un show de diva avec sa dose d’humour, de propos spectaculaires et de séduction. Mais sa beauté et son énergie forcent le respect. «Si ça marche encore pour moi, c’est parce que j’ai bossé dur et avec respect et honnêteté pour ne pas reculer vers la misère. Je ne fais pas de politique, je ne fume pas, ne bois pas, je ne fais que mon métier et pour cette raison, j’avance.»

Celle qui a enregistré son premier disque en France avec Robert Fripp et Flea des Red Hot Chili Peppers (Sidi Mansour, 1994) a plus d’un tour dans son sac pour étonner son auditoire. «Eux, [la jeune génération] sont incapables de moderniser comme moi. Ils desservent la musique raï. Moi je garde mes racines et je peux moderniser comme bon me semble, eux ne peuvent pas chanter le traditionnel.» Même sévérité quand on lui demande pourquoi les femmes ne sont pas plus nombreuses dans le raï : «C’est normal, peut-être que les femmes aujourd’hui sont à l’aise et riches et ne veulent pas un métier aussi dur pour percer.» Beaucoup d’intransigeance chez l’artiste, éternelle nomade, qui aujourd’hui fait des allers et venues avec Oran où elle retrouve sa famille nombreuse. L’été dernier, le président Bouteflikha l’a conviée pour un grand concert à Alger.

Aujourd’hui, sur scène, la reine Rimitti, est toute d’or vêtue, de la robe traditionnelle aux bijoux qui ornent son front, ses bras ou sa poitrine. Ses cheveux teints de henné sont lâchés, seulement tenus par des fleurs. Une vraie jeune fille qui minaude et va jusqu’à sauter aux côtés de la danseuse du ventre qui tourne autour d’elle, telle une réincarnation du passé. Elle n’est pas accompagnée de Sahraoui comme annoncé, l’ambassade des Etats-Unis en France ayant refusé son visa au chanteur et claviériste. Mais, ce court spectacle est incroyablement groovy et énergique, supporté par une rythmique solide. La Rimitti joue avec virtuosité de son instrument fétiche, son «capital» le gallal, sorte de derbouka en argile. Le public est conquis et se lève pour l’acclamer.

Texte et photos de Catherine Pouplain

Vive La World en ligne
Le Festival d’été en ligne

Vous pouvez aussi retrouver le Festival d’été, puis trois autres festivals francophones, dans les émissions d’Alain Pilot, la Bande Passante, du lundi au vendredi à 13h40 TU et dans nos pages, rubrique ‘La musique en direct’.

A Miami Beach, la Rhythm Foundation dit Vive la World française

Dans un amphithéâtre à ciel ouvert près de la mer la chaleur de juillet est supportable, la brise, et des sonorités et voix d’ailleurs, remuent les cocotiers. D’abord les gens sont un peu éberlués. Evitant toute convention racoleuse, le Malien Issa Bagayogo et son groupe répandent un funk profond et sensuel, dit afro-electro, dans la nuit des tropiques, pour leur premier concert aux Etats-Unis. Les Maliens de Paris gagnent l’enthousiasme des Miamiens venus pour cette première étape du Vive la World Tour 2002.

Dans une jolie fête/concert, les enfants sautillent et dansent free style, les Mojitos et le buffet criollo sont abordables et faits maison, le public semble enchanté par les deux majestueuses choristes. Parfois elles se baissent, touchent la terre et battent les genoux, rappellent les gestes afro-cubains du guaguancó. Mais ce Vive la World, créé pour fêter Bastille Day (le 14 juillet), c’est du jamais vu/entendu, par ici.

Si la Vive la World a entamé sa tournée américaine à Miami Beach, avant de passer par des grandes villes "sérieuses" comme et Québec, c’est grâce à la minuscule Rhythm Foundation, organisation à but non lucratif, qui fonctionne avec un staff réduit : “Voyons, il y a moi, et peut-être une assistante l’année prochaine…” dit Laura Quinlan. Sa Rhythm Foundation a quand même fait venir Cesaria Evora, Virginia Rodrigues, Gilberto Gil ou Philip Glass, entre autres. “Ça fait des années qu’on essayait d’attirer le Vive la World Tour, mais payer tous ces billets d’avion, pour toute la bande de Bagayogo, de P18, puis l’entourage de Cheika, c’était impossible.” Laura a contacté les services culturels français à Miami, qui ont gentiment endossé certains frais de voyage. "Ils font beaucoup pour la musique classique, le jazz, mais madame l’attachée culturelle a compris l’importance de montrer une nouvelle image, les artistes du monde vivant en France. Une partie du public apprendra que la musique française ce n’est pas que Maurice Chevalier !

J’estime que Paris est le centre mondial de la world music. Présenter ces artistes c’est en quelque sorte la continuation d’Africa Fête que nous avons pu montrer ici. Pour moi, Paris, comme Miami, comme toutes les villes qui “vibrent”, sont des villes transformées et rajeunies par la culture et la musique des immigrés. C’est bien de le rappeler, que ce soit pour notre fête de l’Indépendance ou pour le 14 juillet.

En mai, la Rhythm Foundation a invité Youssou n’Dour en concert (son concert d’octobre 2001 avait dû être annulé, comme tant d’autres, après le 9 septembre). “Mon rêve c’est de lier Miami Beach à un festival transatlantique avec la France, autour d’artistes jouant une musique nouvelle, électronique, avec un fort enracinement dans leurs traditions. Il y a beaucoup de création en France, un tel festival liant les gens de là-bas et d’ici, c’est mon but.

Clotide Luce à Miami.

Site de la Rhythm Foundation