Karim Kacel le parigot
Cela fait près de 20 ans que Karim Kacel est ancré dans le paysage musical français. Et s'il faut parfois deviner sa présence, il est là, bien là, sur scène et dans les bacs en dépit d'un silence médiatique trompeur. Justement, cet homme a des choses à dire. Son huitième album, Rien que pour toi, est donc l'excellente occasion d'éclaircir quelques malentendus tenaces sur sa musique, ses débuts, le rôle des médias…
"Je suis un chanteur inexploité"
Cela fait près de 20 ans que Karim Kacel est ancré dans le paysage musical français. Et s'il faut parfois deviner sa présence, il est là, bien là, sur scène et dans les bacs en dépit d'un silence médiatique trompeur. Justement, cet homme a des choses à dire. Son huitième album, Rien que pour toi, est donc l'excellente occasion d'éclaircir quelques malentendus tenaces sur sa musique, ses débuts, le rôle des médias…
Karim Kacel est las des amalgames. A commencer par celui de ses origines. Le fait qu'un Français arabe ait construit sa carrière sur un répertoire plus proche d'un Jonasz que d'un Taha semble encore en perturber certains. Pourtant, depuis 1984, Karim Kacel a un parcours constant. On n'entend pas beaucoup parler de lui mais il sort là son huitième album dont comme d'habitude, il est entièrement l'auteur et le compositeur. Loin du cynisme ambiant, le chanteur maintes fois récompensé (Prix Charles-Cros, Prix Georges Brassens, Piaf du meilleur spectacle, Prix Petit-Robert du meilleur parolier remis par Léo Ferré…) cultive toujours une certaine poésie angélique qu'on lui a parfois reprochée : "Regarde ta maison et les gens que tu aimes / On n'a jamais raison de faire de la peine" (Tu ne peux rien). C'est vrai, aucune violence dans la forme, ce qui n'empêche pas certaines douleurs entre les lignes pour qui veut les entrevoir.
A 43 ans, fort de cette voix si singulière, Karim Kacel est plus que jamais un militant de la chanson française. C'est d'ailleurs dans les locaux de l'Adami¹ (Association des Droits des Artistes Musiciens Interprètes) au sein de laquelle il est vice-président du Collège Variétés, qu'il nous reçoit.
Karim Kacel, vous sortez un huitième album. L'écriture ne semble pas difficile pour vous ?
Non. L'écriture n'est pas difficile. J'écris vite, Moustaki m'a surnommé Lucky Luke.
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent une certaine candeur ?
J'essaie de mettre des mots simples et d'être compris par tous. J'essaie de faire une poésie de cœur qu'un enfant de cinq ans puisse comprendre ainsi que quelqu'un de soixante dix ans. Moi, les textes obscurs, ça me gêne. On peut faire de jolies choses sans faire du Baudelaire ni sans tomber dans le vulgaire, "Ta gueule, etc. !". Souvent on me reproche de me servir de lieux communs. Je m'en défends en disant que les lieux communs n'existent que dans la tête de l'intelligentsia et sont reconnaissables par des gens qui ont l'habitude de ça. Mais moi, je ne m'adresse pas à ces gens-là. A aucun moment. Je n'ai jamais voulu être Ronsard ou Baudelaire. Ce que je veux, c'est être compris tout de suite.
Je pense que ce qui a agacé certains, c'est plutôt mon propos, mon côté "tout le monde il est gentil, tout le monde il est beau", le rêve qui revient en permanence dans mes albums comme un espèce de fond de commerce. Mais je suis désolé, si on ressortait Banlieue écrit en 82, il n'y aurait rien à changer, pas une phrase, pas un mot. Pour certains, je suis précurseur, pour d'autres non. Donc, tout ça est très subjectif.
Pourtant vous avez eu un prix pour vos textes?
Oui, en 1989 aux Francofolies de Montréal, le prix Petit Robert du meilleur parolier lors des Francofolies de Montréal remis par Léo Ferré. Mais certains journalistes présents ce jour-là critiquent mes textes aujourd'hui. Je ne comprends pas.
Dès vos débuts, la presse vous a présenté comme le produit d'une époque mitterrandienne qui privilégiait l'anti-racisme, les générations issues de l'immigration, etc.
En fait, j'ai démarré un peu avant ça avec mon premier album (Gens qui rient, gens qui pleurent, ndlr)qui n'arrivait pas à s'imposer. Puis quand ça a commencé à marcher, vers 1984, l'immigration était très présente dans le débat socioculturel. Donc, il y a eu un amalgame qu'on fait encore : "le chanteur de la gauche".
Et c'est une légende ?
Ceux que la gauche et Jack Lang ont fabriqués, c'est Indochine par exemple. Ils étaient encartés au PS, ils représentaient quelque chose dans la jeunesse et quand on voulait des invitations pour les voir en concert, il fallait appeler rue de Solférino². Je ne suis pas ce produit-là.
Dernièrement, un célèbre animateur de radio me disait encore "oui, mais toi… sans les socialistes…". J'ai explosé ! Je lui ai donc raconté tout ça et il n'en revenait pas.
Votre nom est pourtant très lié à SOS Racisme³ ?
Mais, je n'ai fait qu'un seul concert pour SOS Racisme, le premier en 1985. Et ce qui est incroyable, c'est que chaque année, tout le monde me voyait, des journaux écrivaient mon nom alors que je n'y étais pas. Pour les gens, c'était implicite. Ils pensaient réellement que j'étais un mec de banlieue qui arrivait avec sa mobylette, qui parlait une espèce de sabir, qui alignait trois mots de français. Ils n'ont pas fait attention, n'ont pas écouté mon disque. Et il a fallu attendre le deuxième album P'tite sœur en 1986 et le Prix Charles-Cros pour qu'on commence à me prendre un peu plus au sérieux.
Avez-vous le sentiment qu'on a toujours voulu vous ramener à vos origines arabes en vous empêchant de vous épanouir en tant que chanteur français ?
Oui, et c'est dur d'amener ma propre vision. Parce que moi, sur scène, je rencontrais des gens, des vrais gens, dans toute la France. Ils me connaissaient, on parlait. Et je n'avais pas du tout les mêmes retours que les journalistes renvoyaient. Quand je revenais de tournée, j'étais content, j'étais en phase avec ce que je faisais. Et dans cet espèce de parisianisme, ce microcosme, c'était incroyable. Les branchés ne voulaient pas de moi, parce que je n'étais pas branché. Les puristes arabes ne voulaient pas de moi parce que je chantais en français. Les puristes de la langue française disaient que je ne faisais pas partie de leur sérail. Et cette incompréhension a toujours été jugulée dès que je rencontrais les journalistes en tête à tête. Ils disaient tous : "Je croyais qu'il était comme ça mais il est comme ci."
On vous a toujours pris pour un autre en fait comme dans l'histoire avec la journaliste Catherine Nay ?
En 1987, j'ai fait l'Olympia. Et le lendemain, tout le monde m'appelle pour me dire de lire le Figaro. Elle avait écrit quelque chose comme "Non, je n'ai pas été invitée. Oui, je suis venue voir Karim Kacel parce que j'étais agacée par ce phénomène et je voulais voir ce qu'il avait dans le ventre." Et elle raconte qu'elle est venue d'elle même, qu'elle a été étonnée du public très familial, très varié. Qu'elle a vu un chanteur qui monte sur scène "à la Nougaro" avec des "accents de Julien Clerc", qui termine son spectacle par Au Clair de la lune. Et elle termine en disant quelque chose comme "Quelle jolie soirée. Si j'avais su, je vous aurais ouvert ma porte et mes bras depuis longtemps" ! La critique qui tue ! Le lendemain, je fais en direct Europe 1, France Inter. Libération titre "Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis" et publie intégralement l'article de Nay ! Vous vous rendez compte ? Et ma carrière, ça n'a été que ça, que des trucs insensés.
Cet amalgame s'est fait au dépend de votre travail ?
Oui. Les gens minimisent mon talent alors que tout ce que j'ai fait, je l'ai fait à la force du poignet avec 250 concerts par an, avec ma guitare, ma voix, etc. Mitterrand est venu me voir chanter en 92 à Bourges. Mais qu'est-ce que j'y peux ? Le lendemain, je faisais la une des journaux mais personne n'a parlé de mon concert ! Je faisais pour la première une salle de 12.000 personnes, j'avais la trouille, et personne ne m'a parlé de ça.
En voulez-vous à la presse ?
J'en ai un petit peu marre que les journaux écrivent "Karim Kacel, le chanteur à la jolie voix, mais qui n'a pas la place qu'il mérite". Mais j'ai la place que je mérite par rapport à la place que les médias me donnent ! Moi j'ai fait mon boulot. Si j'en suis où j'en suis c'est à cause d'eux. Aujourd'hui, ce qui m'importe le plus, c'est l'inculture de certains qui écrivent ou qui parlent et qui formatent tellement que tout le monde parle de la même chose.
Plus généralement, les médias font-ils du mal à la chanson ?
Tout à fait. Non seulement ils lui font du mal mais ils essaient de faire croire aux Français qu'il n'y a pas de relève, que le nouveau Brassens n'existe pas et qu'il n'y a pas autre chose que ce qu'ils montrent. Mais j'en connais des centaines de chanteurs méconnus qui tournent toutes les semaines, Jacques Vassal, Maurice Fanon, Louis Capart, Gilles Servat. Tous les samedis soirs, ils mouillent leur chemise et amènent une certaine poésie dans ce pays. C'est un peu dur de voir des gens qu'on aime bien, qui rament, se faire casser par la presse comme Xavier Lacouture. J'ai l'impression que la presse est blasée. Il y a les intouchables, Voulzy, Souchon, Cabrel, Sanson, qui en plus ne se renouvellent pas, ne font rien de plus extraordinaire. C'est facile d'encenser le dernier Souchon. Les journalistes vedette ne diront jamais "oui, l'écriture laisse à désirer" même s'ils le pensent. J'ai cette impression là. Par exemple Guidoni, il ne plait plus. Je ne sais pas pourquoi. Il a d'énormes difficultés à exercer son métier. Pourquoi ils l'ont laissé tomber ? C'est une espèce de désaveu de tous ces chanteurs qui font ce métier, qui ont des choses à dire. Moi, qui sait que j'ai écrit 25 musiques de pièces de théâtre et un spectacle musical ? Je suis un chanteur inexploité. Je suis auteur compositeur, je suis prêt à écrire pour qui veut. Je suis prêt à faire des concours. Une chanteuse cherche des textes ? On est deux cent cinquante sur le coup ? Très bien !
Vous êtes kabyle par votre père et vous avez écrit une chanson sur Tizi Ouzou. Comment vivez-vous les problèmes actuels de la Kabylie ?
J'ai vécu ces événements comme n'importe quel démocrate vit des événements graves dans des pays qui se débattent face aux phénomènes de terrorisme, de fous de dieux, de dingues. Ça me touche plus par mes origines et parfois j'entends des noms de villages où j'ai des cousins mais je serais menteur de dire que je suis "bérbérisant", militant, etc. Non. Moi je suis vraiment le Parigot né dans le 14e arrondissement de Paris. Et ça m'émeut autant que ce qui passe au Burkina ou au Japon. Mais je ne suis pas très "famille". Je ne suis pas sur Beur FM toute la journée.
En fait, cela vous irrite que l'on ait très souvent mis l'accent sur vos origines arabes avant tout le reste ?
Quand je lis "Karim Kacel revient à ses origines" parce que j'ai mis quelques mesures de violon arabe, ça me fait rire. Les gens semblent me dire "ça fait 20 ans que tu nous fais chier avec ta chanson française, mets du violon arabe et du oud !" J'ai même lu récemment que mon disque était "heureusement ouvert aux musiques du monde" ! Pourquoi "heureusement" ?! J'ai l'impression d'appartenir à des gens qui m'ont mis dans des cases.
Auriez-vous pu accompagner le collectif de chanteurs qui a interprété La Marseillaise en réaction au score important de l'extrême droite aux dernières élections présidentielles ?
Non. Je ne suis pas un résistant de la dernière heure. Ça fait 20 ans que je résiste rien qu'en m'appelant Karim Kacel et en chantant de la chanson française. Djamel Laroussi, il a dû s'appeler Au P'tit Bonheur et se faire passer pour un groupe pour pouvoir chanter des chansons françaises. Moi, j'ai dit non. Mais c'est bien qu'il y ait Obispo ou Bruel à ce genre de truc. Mais Bruel, il fait ça et il défile aussi pour la cause israélienne en disant, " Bravo l'armée israélienne !" Il est généreux mais il se trompe un peu, il fait des amalgames. Quand on met les doigts dans la politique, il faut faire attention. Et Dieu sait qu'on m'a emmerdé pour des questions politiques. A chaque album, c'est : "Alors Karim Kacel, le Front National, qu'en pensez-vous ?" C'est plus intéressant de demander ça à Sardou. Qu'on me parle de ma musique !
¹ http://www.adami.fr/
² Siège national du Parti socialiste.
³ Célèbre association anti-raciste créée par la gauche dans les années 80 et célèbre par son slogan "Touche pas à mon pote".
Karim Kacel Rien que pour toi (Créon Music/dist. Virgin)
Karim Kacel sera à l'Espace Kiron du 17 septembre au 5 octobre 2002.
¹ http://www.adami.fr/
² Siège national du Parti socialiste.
³ Célèbre association anti-raciste créée par la gauche dans les années 80 et célèbre par son slogan "Touche pas à mon pote".