Alain Souchon
Six ans après C'est déjà ça, qui avait été un énorme succès, Alain Souchon sort un nouvel album, Au ras des pâquerettes : dix chansons douces-amères qui explorent les peines de coeur, les blessures de la terre et les mensonges des hommes, mais toujours sur le mode de la plaisanterie, du sourire et de la caresse. Grand frère, vieux pote ou oncle de générations de Français, Souchon pose, à 55 ans, un regard mélancolique sur les choses de la vie, à commencer par la lointaine Rive gauche dont le souvenir fait la matière du premier single extrait de l'album.
Fidèle en mélancolie
Six ans après C'est déjà ça, qui avait été un énorme succès, Alain Souchon sort un nouvel album, Au ras des pâquerettes : dix chansons douces-amères qui explorent les peines de coeur, les blessures de la terre et les mensonges des hommes, mais toujours sur le mode de la plaisanterie, du sourire et de la caresse. Grand frère, vieux pote ou oncle de générations de Français, Souchon pose, à 55 ans, un regard mélancolique sur les choses de la vie, à commencer par la lointaine Rive gauche dont le souvenir fait la matière du premier single extrait de l'album.
Vous voici encore une fois nostalgique...
Alain SOUCHON : Les souvenirs, c'est une bonne partie de la vie. On est impressionné et marqué pour toujours par tout ce qui s'est passé entre la petite enfance et ses dix-sept ans... Je dis des choses définitives, là... Il faut bien dire des choses définitives, non?
Vous avez connu le vieux Saint-Germain que vous décrivez dans Rive gauche?
J'ai commencé dans la chanson par passer des auditions dans tous les cabarets de la Rive Gauche. C'était un quartier sympa, un quartier de gens qui trainaient, de poètes, de chanteurs. Je voyais souvent Romain Bouteille sur son Solex, Coluche qui débutait avec toute sa bande au Cheval d'Or... L'Échelle de Jacob, l'Écluse, ça me faisait rêver, et puis l'endroit mythique m'a toujours plu – Juliette Gréco, Sartre, tout ça. J'adorais Elvis Presley, les Beatles, mais j'aimais aussi les chansons de ce vivier qu'était la Rive Gauche. Toute la chanson actuelle est venue de là, de Léo Ferré, de Guy Béart, de Jean Ferrat, de tous ces gens qui ont écrit dans les années 50-60 des chansons qui restent. La chanson française, c'est des musiques du monde bien assimilées et une tradition littéraire: en France, on aime bien que les gens disent des choses dans les chansons. On aime bien que MC Solaar soit malicieux avec ses textes, et tout ça vient de la Rive Gauche.
Solaar et vous êtes des héritiers de cette Rive Gauche, mais pas Lara Fabian, par exemple.
Il y a toujours eu deux sortes de chansons. De mon temps, il y avait d'un côté Claude Nougaro, Serge Gainsbourg, Georges Brassens, et de l'autre Claude François, Dalida et toute une bande de gens qui faisaient des choses plus légères. C'est toujours ça: Dominique A d'un côté, Lara Fabian de l'autre.
Quand vous débutiez, que le succès tardait à venir, vous n'avez jamais eu la tentation de passer dans ce camp-là?
J'ai l'impression d'être à cheval, de faire des choses très populaires. Ce qui est bien, c'est le mouvement perpétuel: à une certaine époque, par exemple, réunir les chansons yéyé et la tradition des trucs un peu plus drôles, ce qu'a fait Dutronc – des chansons qu'aurait pu chanter Claude François, mais avec des textes malicieux. Notre génération a assimilé le rock de notre jeunesse, mais avec des textes pas trop baclés.
Six ans pour faire ce disque, vous n'êtes pas un peu feignant?
Si, je suis feignant. Mais tout le monde, tout le monde... Je ne peux pas dire que je suis très travailleur mais je travaille normalement. Et j'ai l'impression que je ne pourrais pas aller plus vite.
Il vous arrive de passer de longues périodes sans travailler?
Non, je cherche tout le temps. Parfois, je reste deux mois sans rien trouver.
Vous avez toujours été comme ça?
J'ai l'impression que j'ai toujours été comme ça, mais quand je regarde les dates, je me rends compte que je faisais des albums plus fréquemment que maintenant. Je suis devenu plus difficile, mais peut-être aussi plus vieux, plus lent.
Vous participez au choix des singles extraits de votre album?
Oui, toujours. Sur les autres disques, il y avait une chanson qui se détachait, mais pas sur celui-ci. Elles doivent être toutes aussi ternes les unes que les autres, ou toutes très bien, des tubes d'un bout à l'autre.
Il n'y avait pas de choix évident?
Au dernier disque, il y avait avec Foule sentimentale un truc absolument évident. Là, je ne sais pas. C'est peut-être pas bon signe? Enfin, ils sortent Rive gauche. On a hésité avec Pardon et Tailler la zone...
Vous n'avez pas pensé à la chanson Au ras des pâquerettes?
Les chansons lentes, je ne sais pas si ça ne rase pas tout le monde... Et puis des gens du commercial chez Virgin disaient qu'il fallait prendre Caterpillar. Moi, je trouve que c'est une chanson un peu tristoune.
Dans la chanson, vous écoutez vos cadets?
J'écoute, je guette tout ce qu'il y a dans ce bouillonnement des jeunes qui essaient de faire quelque chose d'original, comme Thomas Fersen, Dominique A, Mathieu Boogaerts, M, Axelle Renoir, tous ces gens qui ont du mal, qui sont obligés de passer par des circuits parallèles. Je suis content quand il y a des nouveaux un peu pas mal qui arrivent, comme Pierpoljak ou Louise Attaque.
Vous trouvez que les programmateurs des radios et des télévisions ne les soutiennent pas assez?
La frilosité liée à l'audience et à l'argent est effrayante. Ils se disent que s'ils ont l'audace de prendre un jeune homme dont ils aiment bien les chansons, les gens vont zapper. Mais c'est vrai qu'entre une chanson de Claude François qui rappelle de bons souvenirs, et une chanson de Dominique A que personne ne connait, les gens vont d'instinct écouter Claude François. Mais il faut simplement que ça se renouvelle, il faut passer des choses nouvelles, et même un peu difficiles. Je crois que France Inter le fait un peu, mais l'argent est tellement fort... On le voit bien à la télé: ils sont accrochés à nous comme aux arbres. Pour ma part, ce système ne m'a jamais pénalisé: depuis vingt-cinq ans, mes chansons sont toujours passées à la radio, elles ont toujours plu aux gens, j'ai toujours pu faire ce que je voulais. J'ai beaucoup de chance, mais je connais des gens pour qui les perspectives d'avenir sont très dures.
Alain souchon Au ras des paquerettes (Virgin ref CD 8486222) 1999