Moustaki

On lui demande parfois s'il chante encore. Etonnant pour un homme qui depuis ses débuts n'a jamais arrêté. Seulement Georges Moustaki est un infatigable voyageur, il est donc difficile de le localiser précisément. A la faveur de son passage à l'Olympia à Paris le 6 juin et surtout de la sortie d'un disque anthologie, nous avons rencontré l'auteur tant célébré du Métèque.

Absolue sérénité

On lui demande parfois s'il chante encore. Etonnant pour un homme qui depuis ses débuts n'a jamais arrêté. Seulement Georges Moustaki est un infatigable voyageur, il est donc difficile de le localiser précisément. A la faveur de son passage à l'Olympia à Paris le 6 juin et surtout de la sortie d'un disque anthologie, nous avons rencontré l'auteur tant célébré du Métèque.

Le regard direct, le gris bleu profond de ses yeux, sa barbe blanche qu'il arbore depuis tant d'années, Moustaki change peu. Sa voix est douce, posée. La sérénité plane comme une ombre bienfaisante sur une interview qui pourrait ressembler à une conversation tranquille dans son appartement de l'Ile Saint-Louis à Paris…

Votre actualité discographique, c'est la sortie d'une compilation…
Ils appellent cela une anthologie. C'est un choix non pas de ce qui se vend le plus, mais de ce qui est le plus représentatif de mon travail. La présentation de cette anthologie veut aussi souligner le respect du contenu par un contenant très esthétique avec des dessins, des photos, des textes, etc. Il n'y a pas que les chansons connues qui valent la peine d'être réunies, ce qui est le cas quand on sort une compilation, un best of en anglais… Le choix des chansons a été "dégrossi" par mon producteur délégué avec qui je travaille depuis dix ans. J'ai ajouté des chansons auxquelles il n'avait pas pensé.

Y avait-il une ou plusieurs chansons qui vous tenaient à cœur de voir sur cette anthologie ?
Il y a une chanson très datée car elle correspond à la période franquiste en Espagne. Elle s'appele Flamenco. Cette chanson n'a pas eu une grande carrière. Je ne voulais pas qu'elle se perde avec la disparition du vinyl. Elle a trouvé sa place sur ce disque.

Quel rapport peut-on entretenir avec le public quand on le côtoie depuis si longtemps ?
J'ai commencé à chanter tardivement. Les gens me connaissaient déjà par ce que j'avais fait pour les autres, puis par mes chansons comme le Métèque qui a été un succès important en quelques jours. Les gens savaient que j'avais écrit pour Piaf ou Reggiani, il y eut donc dès le départ, une connivence plus qu'un besoin de convaincre, de séduire ou d'étonner. Et c'est rester.

Après le succès de cette chanson, le Métèque qui figure au début de l'anthologie, avez-vous réussi à comprendre ce qui avait pu toucher les gens à ce point-là ?
Je n'en connais pas la raison exacte. Je peux en analyser quelques-unes mais je ne suis pas sûr qu'aucune soit la bonne. D'abord c'est une jolie chanson qui tranchait dans le paysage (en 69 : ndlr). Quelqu'un qui chantait moins fort, on l'écoutait plus attentivement que quelqu'un qui hurlait avec des guitares électriques. On me l'a dit. Et puis, on sortait de Mai-68 avec les slogans "On est tous des juifs allemands" ou "Black is beautiful". Il y avait cet esprit de contestation. Cette chanson n'était pas comme celles de Ferré, virulentes ou celles de Brassens, anarchistes, disons traditionnellement anarchistes (l'armée, les flics, l'église), c'était une autre contestation. C'était moins une contestation d'ailleurs, qu'une revendication de la différence comme on dit maintenant, qui tombait par coïncidence au bon moment. Pour toutes chansons qui ont un succès, je dis souvent que c'est la coïncidence de toutes les composantes : le moment, l'interprète, la sensibilité…le Métèque existait déjà depuis deux ou trois ans quand je l'ai chanté. C'était Pia Colombo qui l'interprétait. Mais à ce moment-là, elle n'a pas eu de succès. La chanson elle-même n'a pas suffie pour le succès. Il a fallu autre chose. En plus, ce qu'on écrit et ce que les gens entendent, ce n'est pas forcément la même chose.

Vous arrive t-il de faire des concerts sans l'interpréter ?
Non. Jamais. Du jour où elle a existé, ou bien je devance l'appel ou bien les gens me la demande. C'est peut-être le mot de passe entre moi et le public ou entre moi anonyme et moi chanteur connu. On entre dans l'histoire que j'ai avec le public avec ce mot de passe.

Vous êtes un grand voyageur, vous sentez-vous citoyen du monde ?
Je me sens plutôt citoyen de nulle part. Quand je pars en voyage, je suis chez moi dans le fait de voyager. Je rentre dans mes marques. Il est rare que je fasse un voyage qui me fasse perdre toutes mes habitudes.

C'est sans doute aussi parce que vous transportez avec vous votre univers artistique ?
C'est une belle et bonne manière de voyager. Vous avez quelque chose à donner. On ne va pas seulement pour prendre. On ne va pas seulement pour regarder mais aussi pour être regardé. Cela donne un côté équitable aux choses.

Vous n'êtes pas prêt de faire vos adieux à la scène ? D'autres le font…
C'est parce qu'ils pensent qu'il y a un début et une fin aux choses. Moi, je ne sais pas quand cela a débuté vraiment. Peut-être que le jour où je ne chanterai plus, je serais sur une île grecque en train de jouer de l'accordéon. Ce sera ma manière de continuer…La scène c'est un endroit où l'on se trouve bien. On a l'impression que les gens vous aiment. Les musiciens qui m'accompagnent sont là pour le plaisir. Je choisis d'être entouré de gens que je respecte et que j'admire. Je n'ai pas le trac. Je peux avoir de l'émotion, voire même être paralysé par l'émotion, mais je n'ai pas le trac.

La jeune chanson française vous inspire-t'elle ?
J'aime la chanson mais je trouve qu'en France elle est un peu en manque de personnalités. Il y en a quelques-uns mais ce sont souvent les moins connus qui ont à cœur de perpétuer ce qu'on appelle la chanson française. Ce que je déteste par-dessus tout, c'est qu'on s'aligne sur la musique des Etats-Unis, que je trouve fantastique, là-bas. Nous ne sommes pas des parents pauvres et la majorité des chanteurs actuels se comportent en serviteur du grand modèle américain.

Vous venez de publier un livre, un autre sort en poche, vous sentez-vous écrivain ?
Je dirais oui tout simplement, sauf que je n'écris pas beaucoup de prose. Mon éditeur m'a dit récemment : "Arrêtez de chanter, vous êtes un écrivain". C'est une chose que j'avais désiré faire, qui me semblait au-dessus de mes moyens et puis quand j'ai commencé à écrire, j'ai écrit très peu. Mais c'est passionnant d'écrire et c'est passionnant d'avoir écrit. Car quand j'ai relu, je l'ai fait avec appréhension mais finalement on sent que j'ai aimé écrire. Cela m'étonne car je ne pensais pas que j'écrivais de cette manière. On peut dire la même chose pour les chansons. Quand on fait un travail de création, il y a un dédoublement. On se demande comment on a fait ça, qui j'étais quand je l'ai fait.

CD Georges Moustaki Un métèque en liberté Polydor 2000
Livres : Georges Moustaki et Siegfried Meir Fils du brouillard/I> Ed. de Fallois 2000
Réédition Georges Moustaki Les filles de la mémoire Le livre de poche 2000