CHRONIQUES ALGERIENNES

En deux CD, RFI Musique se penche sur la très vivante scène musicale algérienne.

Double affiche raï et kabyle

En deux CD, RFI Musique se penche sur la très vivante scène musicale algérienne.

Sahraoui : Un Homme Libre (Gafaïti/NextMusic/Sono)

Cette liberté que revendique dans son intitulé Sahraoui, serait-elle celle d'un mari qui après des années de lit conjugal redécouvre l'ivresse du célibat ou plus simplement celle d'un homme mûr qui peut aujourd'hui croiser son art (le raï) avec d'autres univers musicaux ? En ouverture de ce premier opus solo, Je suis naïf ou Galbi donnent un embryon de réponse en métissant le raï de sonorités cubaines ou en revenant sur les aventures et déboires amoureux de ce beau parleur.

Sahraoui, encore cheb à l'époque, avait au côté de Chabba Fadela sa légitime épouse, contribué à imposer le pop-raï. En 83, le couple (aujourd'hui divorcé) enregistra dans le studio tlemcénite du regretté producteur Rachid Baba Ahmed, N'Sel Filk, le premier tube raï trans-méditerranéen. C'est cette modernisation du rythme des Bédouins de l'Ouest Algérien qui a ouvert quelques années plus tard la voie à des wagons de cheb, dont Khaled ou Mami sont aujourd'hui les plus connus à travers le monde. De cette époque, les spécialistes du genre ont encore en mémoire le nom d'un des plus illustres compositeurs, arrangeurs et programmateurs oranais Mohammed Maghni ou celui de Gafaïti Productions (du nom du producteur Nourredine Gafaïti), que l'on pouvait entendre claironné en intro des cassettes du bled. Les deux hommes sont toujours là sur ce premier album post-séparation.

Libre mais fidèle au raï d'antan, Sahraoui écrit une nouvelle page qui n'oublie rien de ces années héroïques où au clavier, instrument qu'il semble avoir abandonné sur cet album, et accompagné par Fadela et une paire de derboukas, il faisait vibrer les cabarets oranais. Sur Aini, Chico, l'ex-leader des Gypsy Kings est à la guitare. Sidi H'bibi le dernier titre de cet album est un vibrant hommage à son pays, l'Algérie. Sahraoui y crie sa foi en un renouveau futur. Certaines plages ont été travaillées sous la férule de Norbert Habib, Les penchants pour la variété orientalisante (Alabina) de ce dernier, plombe légèrement l'envol de cet album. Fort heureusement, sa protégée, la blonde chanteuse n'est pas conviée à jouer les doublures de Fadela, dont le premier opus solo à plusieurs reprises annoncé, devrait paraître avant la fin de l'année 2001. Inch'Allah !

La Kabylie au Cœur (Virgin)

Premiers habitants du Maghreb, les Kabyles incarnent aujourd'hui un renouveau démocratique possible pour l'Algérie. Fer de lance de la contestation au pouvoir politique en place et aux mouvements religieux intégristes, ces berbérophones en lutte contre le politique d'arabisation à la hussarde initiée par Boumedienne et entretenue par ses successeurs, ont à cœur de faire valoir leur identité à travers leur poésie et leur musique.

La Kabylie au Cœur, récente compilation éditée par Virgin, propose un éventail large (18 plages) révélateur de la richesse de cette dernière. Au track-listing de ce CD figurent quelques anciens : Lounis Aït-Menguellet, Abdel Kader Chaou, Idir, Djamel Allam, Ferhat, le regretté Lounès Matoub, une poignée de plus jeunes talents tels Takfarinas, Boudjema Agraw, Akli D et une pincée d'avant-gardistes dont les Espagnols de Radio Tarifa, l'Orchestre National de Barbès, Mugar ou Amira. En ouverture Tontons du Bled, le succès des rappers du 113 en 1999 nous rappellent que ces artistes ne sont pas si éloignés que ça de nous.

Au fil des plages se tissent des liens qui prouvent la modernité de ce peuple qui ne craint à aucun moment la rencontre. Idir est ici accompagné par le chanteur de raï Cheb Mami, qui entretient depuis toujours une relation forte avec la communauté berbère, ne serait-ce que pour le nombre important de succès du raï piochés dans le répertoire berbère. Sur Dellali, son dernier album, Mami s'offre un duo avec Djamel Allam. Mugar ici présent avec son Scottish Mezwed est l'apôtre de la rencontre berbèro-bretonne. Amira, la seule femme de ce panel (notre regret) use naturellement des rythmes technos, tout comme Boudjema Agraw ou son ex-collègue Takfarinas. Étroitement liée à l'histoire de l'Algérie, celle de la Kabylie s'écrit au quotidien. Que cette compilation où chaque artiste est rapidement présenté par le journaliste Rabah Mezzouane, nous rappelle les enjeux de cette lutte.

Squaaly