Ivan et Chloé nient l’évidence

Chloé et Ivan Smagghe, DJs reconnus de l’underground, publient The Dysfunctional Family. Un enchaînement de titres rares plus hypnotiques et sombres les uns que les autres. Rencontre.

Compilation The Dysfunctional Family

Chloé et Ivan Smagghe, DJs reconnus de l’underground, publient The Dysfunctional Family. Un enchaînement de titres rares plus hypnotiques et sombres les uns que les autres. Rencontre.

RFI Musique : Comment êtes-vous tombés dans les musiques électroniques ?
Chloé : Ado, je collectionnais les vinyles un peu dans tous les genres, et mon père aimait bien le Velvet Underground, Pink Floyd et compagnie. Il avait aussi les éditions originales de Kraftwerk. Je jouais de la guitare et j’aimais bien chanter, mais j’ai toujours abordé la musique de façon très intuitive. Au début des années 90, j’ai commencé à sortir sur Paris en clubs et en raves alors que j’étais étudiante en droit.
Ivan Smagghe : Pour moi, l’electro est une musique comme une autre. Avant l’arrivée de la house, j’écoutais Kraftwerk ou Depeche Mode, mes parents écoutaient Tangerine Dream.

Que répondez-vous lorsque l’on vous demande ce que vous passez comme genre ?
Ivan Smagghe : Je refuse de répondre à ce genre de question, ça m’énerve ! Que d’autres le fassent pour moi ne me gêne pas. Je passe les disques que j’aime, de la musique assez électronique, conçue par des machines.
Chloé
 : C’est difficile de répondre. Mettre des étiquettes, c’est très français. En Angleterre, il y a plein de sous-genres electro, mais il n’y en a pas quatre comme en France. C’est aussi l’idée de la compilation : c’est notre son, celui que nous aimons, différentes sonorités avec une même idée qui les traverse, mais que nous ne voulons pas définir. Tout comme la pochette, qui est une vision différente et dérangeante de la famille, une autre confusion des genres.

Ivan et toi, vous faîtes partie de la même famille musicale ?
Chloé : Musicalement, c’est vrai que nous nous retrouvons : sur le même label, dans le même club, le Pulp, et dans des soirées à l’étranger. La première fois que nous nous sommes rencontrés, c’était au Batofar, il y a sept ans, pour les afters Quality.

Après la Grande-Bretagne et la France, on a l’impression que l’Allemagne est depuis 5 ans la nouvelle Mecque de la techno…
Ivan Smagghe : Oui, mais je ne sais pas pourquoi. Il y a beaucoup de labels et de producteurs en Allemagne en ce moment, mais il y a tellement de disques et de styles différents… Le son allemand, je ne sais pas ce que c’est, de Berlin à Francfort en passant par Münich, le son est différent. Il y a des tendances en electro, mais je ne veux pas prendre la plus évidente. En ce moment, c’est la techno minimale, cela est devenu une formule, il n’y a plus de surprise, aucun risque, un disque sur cinquante est bien…
Chloé : La techno minimale allemande, il y a 6 ans, à Paris, le magasin de disques Katapult était le seul à la défendre, via des labels comme Kompakt ou Playhouse. J’ai sorti mon premier maxi avec les gens de Katapult, puis j’ai été régulièrement invitée en Allemagne. Ils étaient tous bloqués sur ce style minimal, hypnotique et très répétitif. C’est aussi une réaction aux grosses productions américaines du début des années 90 et des DJs stars venus des Etats-Unis pour jouer dans d’immenses clubs européens.

L’electro clash, qui mélange influences rock et electro, est aussi née en Allemagne…
Chloé
: L’electro clash ne m’a pas touchée. Au moins cela a fait découvrir les musiques électroniques à plein de gens. Cela a été une grosse claque pour les gens qui ne connaissaient pas la musique des années 80, mais c’est très pauvre musicalement.

The Dysfunctional Family est une compilation assez sombre…
Ivan Smagghe : Je ne comprends pas cette peur de l’aspect sombre dans la dance music. C’est de la musique électronique, composée avec des machines, ce n’est pas le Carnaval de Rio quand même ! Ce qui m’intéresse davantage, c’est le groove, et ce n’est pas antinomique avec une ambiance sombre ou froide. Ce côté sombre, ce n’était pas intentionnel, c’est ce qu’on est, musicalement.

Comment avez-vous conçu ce disque ?
Chloé
 :  Nous avons écouté beaucoup de disques et effectué une grosse sélection. Cela a été un important travail de recherche afin de trouver des titres pas trop entendus. Par exemple, ce titre de Jason Edwards, qui n’a encore pas sorti de disque.
Ivan Smagghe : On essaie de chercher plus loin, ailleurs, entre deux eaux. C’est ce que nous avons essayé de faire avec cette compilation, sans l’obsession du disque bizarre à tout prix. C’est un parti pris, nous voulions éviter l’évidence. Il y a une certaine facilité de l’underground, sans prise de risques. J’aime la découverte, et un DJ joue d’abord des disques pour lui-même. C’est pourquoi j’enlève régulièrement des disques que j’ai trop joués de ma caisse de DJ.

Ivan Smagghe & Chloé The Dysfunctional Family (Discograph) 2006