CHRONIQUES ATYPIQUES

Ils sont tous trois décalés : La Position du tireur couché, Jérôme Minière et Manuel Bienvenu ont fait le choix délibéré de s’aventurer sur des territoires peu fréquentés par le reste de la scène française, quitte à être parfois mal compris. Passage en revue de trois albums peu conventionnels.

La chanson au second degré

Ils sont tous trois décalés : La Position du tireur couché, Jérôme Minière et Manuel Bienvenu ont fait le choix délibéré de s’aventurer sur des territoires peu fréquentés par le reste de la scène française, quitte à être parfois mal compris. Passage en revue de trois albums peu conventionnels.

La magie des sixties

 

 Le duo Bardot-Gainsbourg est de retour ! Avec son premier album Acapulco, le groupe clermontois La Position du Tireur Couché ressuscite la désinvolture nunuche et l’insouciance sexy des sixties. Un duo de charme et de choc, honteusement doué : une fausse potiche qui joue les poupées écervelées, Gaëlle Le Cozannet, qui avec sa voix traînante et séduisante, clone à merveille la BB des sixties et son partenaire Frédéric Pradelle (chanteur-compositeur), un playboy timide, nonchalant et espiègle, l’air blasé.      Dès le premier morceau, le ton est donné : des petites ritournelles pop naïves bien ciselées, rétro et yé-yé, mais élégantes et distinguées qui donnent envie de boire des cocktails en charmante compagnie et de partir en virée à Ramatuelle. Portés par des rythmes sautillants, entre folk et easy listening sans prétention, les textes érudits et décalés fleurent bon l’autodérision et l’humour badin et primesautier, sous une plume corrosive truffée de sous-entendus provocateurs. On parle de sexe, de flirts, de vacances sous le soleil d’Acapulco, de Steve Austin. Et on fustige tour à tour la ravissante pin-up sexy mais “bête à manger du foin” qui “aimerait se présenter aux élections”, ou encore Le James Bond du quartier, sûr de son sex appeal : “Que diriez-vous d’une croisière dans mon bain, imaginez le soleil de Juan Les Pins, oubliez votre maillot de bain.”                                          
Dans cette production inventive, l’instrumentation minimale laisse toute la place à des textes de qualité et à des arrangements ingénieux : une batterie mécanique et minimaliste, une guitare acoustique qui se contente d’une poignée d’accords, une guitare électrique intervenant par échos béotiens, une basse empilant motifs en boucle et des claviers kitsch et rétro.
Malgré un tempo un peu trop "andante" et des mélodies pas toujours à la hauteur, ce premier album autoproduit regorge d’efficacité et de sobriété.

La Position du tireur couché Acapulco (Naïve) 2005

 

Le retour d’Herri Kopter

 

 “Bienvenue chez Herri Kopter, ceci est un avertissement, la supervision des parents est recommandée, marketing explicite.” D’entrée de jeu, l’album Chez Herri Kopter s’annonce conceptuel : un disque audio estampillé "produit culturel", sorti de l’imagination de Jérôme Minière, auteur-compositeur-interprète qui s’inscrit dans la même mouvance que Dominique A et Diabologum.
Cet Orléanais exilé depuis une décennie à Montréal signe, entre électronique et culture pop, des chansons intimes, amères et poétiques, ponctuées d’associations déroutantes de mots plus parlés que chantés et de collages sonores mixés qui pourraient illustrer des courts-métrages. Sa voix lo-fi rock, au timbre doux, s’accompagne de boîtes à rythmes fragiles, d’orgues subversifs et de synthétiseurs planants, à la croisée de l’expérimental et du dub, entre douceur et pesanteur.
Poursuivant son projet poético-politique, déjà exposé en 2001 dans Jérôme Minière présente Herri Kopter, le chanteur livre des chroniques rebelles et inquiétantes sur notre existence. Poétique et contestataire, il a le sens de la réplique cinglante, une ironie sèche – souvent désenchantée – de trentenaire fragile qui s’élève contre la société de consommation et les lois du marketing. Pour faire réagir, il balance des paroles assassines et redondantes qui rappellent Antenna de Jay-Jay Johanson, dans un chant robotique qui fait état d’un monde où absolument tout est à vendre car If You Don’t Buy You Die. “Certains jours, on ne sait plus du tout pourquoi on existe (...) c’est pourquoi on achète quelque chose, un objet qui nous reflète.”

Jérôme Minière Chez Herri Kopter (La Tribu) 2005

 

La maison de l’éléphant

 

 Voilà déjà quelques années qu’il sévit aux côtés de Bed ou au sein du duo Elm qu’il a créé avec Elodie Ozanne. Désormais exilé au Japon, le jeune musicien français Manuel Bienvenu présente son premier album solo Elephant Home.
Multi-instrumentiste, arrangeur, ingénieur du son ou chanteur, il joue avec les pistes et laisse libre cours à ses fantasmes musicaux : piano acoustique épuré, clavier synthétique bontempi des années 80...Le tout accompagné par une bande d’amis : Frédéric Cortial à la guitare, Jean-Michel Pirès à la batterie, Dominique Renard à la trompette, Guillaume Pain à la scie musicale ou encore Salvatore Spada qui improvise avec son accent italien triste et loufoque un discours militant, limite absurde (La musique il faut qu’elle s’arrête).
Doué d’une sensibilité littéraire, il utilise la composition sonore comme une véritable écriture dont la dimension visuelle met en mouvement des moments de poésie sincères et fragiles, contemplatifs et intemporels. Naviguant sur des eaux calmes et intimistes, la voix neutre et grave de Manuel Bienvenu cherche plutôt la quiétude et le refuge dans l’imaginaire. Avec une certaine nonchalance, il avance à pas feutrés vers un univers onirique où les gémissements hallucinés (Tango On The Sidewalks) tiennent plus du cauchemar éveillé. Cette musique instrumentale, peuplée de personnages hors du temps, inquiète à l’image du sombre How We forgot To Steal the Queer’s Crown. La voix douce et impassible, qui murmure entre les notes (Dynamo), est souvent étouffée par d’audacieux instrumentaux. Malgré quelques longueurs parfois ennuyeuses, Elephant Home est l’oeuvre d’un rêveur solitaire et audacieux qui voit dans la pop une manière alambiquée mais réellement novatrice d’envisager la chanson française.

Manuel Bienvenu Elephant Home (Asphalt Duchess/ Popcornlab) 2005