LA FIESTA LATINA DE SÈTE
Sète, le 12 août 2002 - Signe des temps, Sète a perdu ses Journées Georges Brassens mais a gagné la Fiesta Latina. Sans doute le plus intéressant festival d'été consacré aux musiques sudistes.
Chauds Latins et Mare Nostrum
Sète, le 12 août 2002 - Signe des temps, Sète a perdu ses Journées Georges Brassens mais a gagné la Fiesta Latina. Sans doute le plus intéressant festival d'été consacré aux musiques sudistes.
A comme ambiance - Au bord de la Méditerranée, mais loin de la Côte d'Azur ravagée, Sète est un vrai port thonier et sardinier qui, même au cœur du mois d'août et en dépit des kilomètres de camping-cars alignés devant la plage, a su garder une personnalité authentique, où la gouaille des pêcheurs de palourdes s'exprime naturellement, sans avoir l'air d'être sponsorisée par le syndicat d'initiative.
Dans le superbe théâtre en plein air "Jean Vilar"* qui surplombe la mer, pendant une petite semaine, vacanciers de tout poil et autochtones avertis se retrouvent chaque soir, depuis six ans, pour venir déguster sous les étoiles l'un des plus jolis et subtils cocktails musicaux de l'été hexagonal. Une "latinité" qu'il faut prendre au sens très large, puisqu'elle réunit désormais aussi bien de purs latinos comme les Cubains de l'Orquesta Aragon, que des Français adeptes du rock métèque comme Général Alcazar, des Africains amateurs de kora électrique comme Ba Cissoko… jusqu'au Serbo-Croate (sa mère est l'un, son père est l'autre) Goran Bregovic et ses tubas barjots.
Bref, une latinité qui commence au sud de la Loire pour se terminer quelque part du côté des Kerguelen, ce qui laisse au programmateur une certaine marge de manœuvre.
B comme Bel - Le programmateur, c'est lui : José Bel. L'un des ces allumés géniaux (généralement d'anciens disquaires) qui, gavés un jour de devoir monter au New Morning pour pouvoir entendre leur musique préférée, décident soudain de faire venir dans leur tranquille port de pêche des bronzés bruyants issus de contrées improbables.
Il y a belle lurette déjà que Bel a commencé à animer cet endroit. Au cœur des chaudes années soixante-dix, il se souvient encore du collectif maoïste "Siège du Théâtre de la Mer" qui, au nom de la gratuité des arts, avait pris d'assaut les murs de l'amphithéâtre à coup de cocktails molotov. Ce soir-là, c'était Lavilliers qui chantait. Et, de mémoire de Bel, notre Nanard national, toujours grande gueule, s'en était bien sorti pour désamorcer la guérilla.
Mais les séquelles sont restées, et le mot d'ordre soixante-huitard préside toujours à la philosophie de la Fiesta Latina : faire les entrées pas cher, malgré une affiche de qualité. Ce qui n'est pas si évident lorsque - contrairement à d'autres qu'on ne citera pas - on compte plus sur la billetterie que sur les subventions pour atteindre l'équilibre financier. Et que le directeur du festival lui-même, comme tous les acteurs locaux de l'événement, reste bénévole… Il est fou, ce Bel !
C comme ciel - Dans ces conditions, la terreur de l'organisateur c'est la météo. Les yeux rivés vers le ciel dès huit heures du matin, chaque petit cumulus peut provoquer l'infarctus. Car on a beau vanter la grande bleue et ses cigales, on n'échappe pas pour autant à la couche d'ozone et autres saloperies véhiculées par les Parisiens (c'est bien connu, le Parisien est la cause de tous les malheurs du provincial).
Cette année comme les autres, une soirée devra payer son tribut aux Dieux du ciel : ce sera hélas celle qui devait réunir l'excellent pianiste Omar Sosa avec sa formation très internationale, et le salsero Jose Alberto, plus connu sous le surnom de "El Canario". On aurait préféré que les cieux se déchaînassent pour Fred Galliano et sa bouillie binaire dite "africaine" ; ou pour la lourdeur prétentieuse et laborieuse de P18. Mais les Dieux ont le droit d'avoir mauvais goût.
D comme diva - Aux pieds nus, bien sûr. La Cap-Verdienne est devenue la star obligée de tout festival world qui se respecte, et il y a bien longtemps que Sète souhaitait l'accrocher à son tableau de chasse. Ce sera chose faîte cette année. Moyenne d'âge en hausse ce soir-là ; mais salle comble et succès garanti. Arrivée la veille de Budapest, Cesaria Evora termine tranquillement cinq mois de tournée ininterrompue avant de rentrer chez elle, à Mindelo, pour son traditionnel et indispensable "ressourçage". La morna languissante coule tranquillement sur la rive nord de la Méditerranée, comme sous tous les cieux où elle est devenue l'emblème de la world triomphante, et le porte-drapeau de l'export… français.
E comme énergie - La palme, cette année, en reviendra à l'étonnant combo brésilien Funk N'Lata qui, comme son nom l'indique presque, mélange avec bonheur la batucada de Bahia et le funk de James Brown. Avec, en point d'orgue, une surprenante version de Sex Machine que le Soul Brother Number One ne devrait pas renier. On attend impatiemment un disque de cette troupe qui, le lendemain de son set, a enflammé les rues de Sète avec une batucada digne de Salvador. Et sans rancune pour le Mondial.
F comme fabuleux - Si l'on en croit les historiens du danzon et autres rythmes cubains (une soixantaine, qui dit mieux ?) la naissance de l'Orquesta Aragon remonte à … 1939. Même Batista était encore apprenti souteneur ! Quant à Fidel, il lisait Karl Marx en culottes courtes en attendant que trois poils lui poussent sous le menton. Bien sûr, ce sont aujourd'hui les enfants, voire les petits enfants de la formation d'origine, qui viennent perpétuer en Languedoc les vertus du cha cha cha. Et prouvent qu'il n'est pas absolument nécessaire d'introduire samples et boîtes à rythme pour séduire un public qui, ce soir-là, ne devait pas dépasser vingt-cinq ans de moyenne d'âge. La musique cubaine a certes été un peu galvaudée ces dernières années, mais on aurait pu choisir plus mal.
G comme Goran - En voilà un qui n'a pas raté son mariage entre tradition et modernité. Avec son Orchestre des Mariages et des Enterrements, cuivres éclatants et voix féminines bulgares, Bregovic réussit la synthèse idéale entre l'électronique et l'acoustique, la folie slave et la rigueur de composition, le rock et le trad. En marge de tout, à la pointe de tout. Et lorsque la pluie a commencé à se dessiner dans le feu des projecteurs, Goran a à peine levé les yeux de son ordinateur avant d'ignorer superbement les intempéries naissantes. Comme le disait un spectateur : "Quand on est Serbe, né à Sarajevo, et ex rock-star yougoslave, ce n'est pas quelques gouttes de flotte qui vont vous faire peur !"
H comme… - Pas trop de senteurs illicites dans les travées du Théâtre Jean Vilar. Il est vrai qu'on est ici au cœur d'un terroir vinicole bien fourni, et que la dope locale a plutôt pour nom "Pastis 51". Quant aux remontants importés, ils s'appellent Mojito ou Caipirinha, latinité oblige.
I comme incroyable - C'est ce qu'ont l'air de penser eux-même les membres du Trio Mocoto, ce groupe brésilien qui, trente ans plus tard, se retrouve sous le feu des projecteurs. A l'époque, ils jouaient avec un certain Jorge Ben, inventeur du samba-rock. Leur musique n'a quasiment pas changé, et c'est ce qui leur vaut justement aujourd'hui ce retour inattendu. Tant mieux, car ils sont très sympa. Et toute une génération peut ainsi découvrir Pais Tropical.
J comme joutes - Quand ils n'écoutent pas de musique latine, les Sétois adorent assister, sur le canal, à des joutes navales où de drôles de chevaliers, tout de blanc vêtu, s'amusent à se foutre à l'eau à grands coups de lances. Les championnats (nationaux, mais si !) ont lieu pendant la Fiesta, vous le saurez pour l'année prochaine.
K comme kora - C'est du côté de cet instrument qu'il faut aller chercher la révélation de cette année. En la personne d'un certain Sekou Kouyaté, un gamin d'à peine 17 ans qui, il y a quatre ans déjà, a eu l'idée d'aller coller une pédale wah-wah à sa kora, au grand dam de ses ancêtres griots. Ce ne pourrait être qu'un gadget à la Galliano ; mais le génie du gamin fait la différence. Il joue comme un Dieu, chante merveilleusement, et quand il empoigne une percu quelconque, c'est du même tonneau. Le groupe dans lequel il évolue s'appelle Ba Cissoko, et est originaire de Conakry. Pas de disque encore, mais à surveiller de très près.
L comme Lusafrica - C'est en quelque sorte le label roi de la fête. Avec Bonga, l'Orquesta Aragon, et bien sûr Cesaria, il a trusté les plus grands moments de ce festival. Ce qui fera plaisir à tous ceux qui pensent que l'avenir commercial d'une musique ne passe pas nécessairement par une major. Bravo, Monsieur Jose Da Silva. Boa continuação !
M comme Merci - Il y a désormais en France, chaque été, des milliers de festivals, de toutes les tailles, dans tous les genres. Il n'est plus guère de village, si petit soit-il, qui ne veuille se créer son événement, à la mesure de ses moyens.
Cette formidable émulation fait aujourd'hui de notre pays le lieu le plus riche de la planète, en matière de musique vivante. Il ne s'agit pas de faire cocorico - d'autant moins que bon nombre de ces musiques viennent d'ailleurs, et participent du formidable mouvement des "musiques du monde" dont Paris est devenu l'une des plaques tournantes les plus actives.
Chaque année, entre juin et septembre, il est difficile pour RFI / MUSIQUE de faire un choix entre les multiples scènes qui surgissent derrière le moindre bosquet. Comme vous l'aurez sans doute constaté, nous avons cette fois souhaité vous donner un panorama très complet de ces festivals, en ouvrant notamment une nouvelle rubrique, "Zoom sur les Festivals" que vous pourrez consulter facilement, longtemps après que les transats se soient repliés sur les plages.
Il nous serait précieux d'avoir votre sentiment sur la manière dont nous avons essayé de couvrir cette actualité de la scène estivale. Suffisamment ? Pas assez ? Trop ?… Ecrivez-nous pour que, l'année prochaine, nous puissions encore mieux répondre à vos attentes (RFI Musique).
Quant à la Fiesta Latina de Sète, on ne peut que lui souhaiter bon vent, car elle symbolise bien cet esprit de qualité et de création basé sur le bénévolat de toute une ville : au bénéfice, certes, de la notoriété d'une région ; mais aussi de musiques et de musiciens qui, sans ces initiatives, seraient cantonnés à la musique en boîte. Hasta luego, amigos !
Jean-Jacques Dufayet
* Jean Vilar, Paul Valery, et Georges Brassens sont les trois célébrités natives de Sète dont la ville peut s'enorgueillir… et ne s'en prive pas.