L’accordéon voyageur de Galliano
Interprété par l’excellent Tangaria Quartet, Luz Negra est teinté de sonorités latino-américaines. Rien d'étonnant à cela : Richard Galliano est allé enregistrer ce nouvel opus au Brésil. Conviant ainsi l’auditeur à un sacré périple musical.
Luz Negra
Interprété par l’excellent Tangaria Quartet, Luz Negra est teinté de sonorités latino-américaines. Rien d'étonnant à cela : Richard Galliano est allé enregistrer ce nouvel opus au Brésil. Conviant ainsi l’auditeur à un sacré périple musical.
La salle parisienne du New Morning retient son souffle pour s’accorder à celui de l’accordéon, à ses modulations qui modèlent une émotion palpable. Instrument contre le cœur, Richard Galliano livre ses mélodies - plaintes, rêves, aventures - et ses accords. Au corps à corps. Son dernier concert dans le club de jazz remonte aux années 1980, avec Claude Nougaro. Un souvenir évoqué lors des deux soirées - 22 et 23 janvier 2007 - consacrées au lancement de Luz Negra, premier album studio de l’artiste depuis Face to Face en 2001.
Après s’être séparé de sa maison de disque, Richard Galliano savoure et joue le goût d’une liberté retrouvée : "J’ai enregistré sans pression, ouvert à toute proposition, musicale et humaine." Surtout, lorsque se rendre en studio à Paris signifie "aller à l’usine", le besoin d’évasion presse : Richard Galliano enregistre Luz Negra à Sao Paulo. "Le déplacement géographique développe une énergie positive. C’est un disque qui me fait du bien." Et qui fait du bien.
Richesse harmonique
Luz Negra réjouit par l’harmonie de la formation : le Tangaria Quartet. Une délicieuse alchimie opère entre les musiciens, doués d’une faculté rare : l’écoute. Si chacun brille par sa virtuosité, la magie réside surtout dans cette entente, complicité et humour en partage. Un univers cohérent où chaque note fait sens, répondant à ses sœurs avec tendresse. Le violon du génial concertiste vénézuélien, Alexis Cardenas, élabore des contrepoints d’une élégante richesse harmonique, pour soutenir l’accordéon, dont le souffle porte, en retour, les crins. Tous deux s’enlacent dans des danses à la violence sauvage, animés par le goût du jeu et de l’improvisation.
Pièce rajoutée au quartet lors de l’enregistrement, le Brésilien Hamilton de Holanda enveloppe des mélismes de son bandolim, les deux instruments : un peu de piment dans le lyrisme, sans en détruire l’étreinte. Quant au percussionniste Raphaël Mejias, tout simplement hallucinant, il raconte, en un tournemain, l’histoire des maracas devenues "orchestre". Et confère à l’ensemble un groove afro, qui délie les hanches. Si évidente aujourd’hui, la formation tangua avant de trouver son équilibre. "Avec le groupe initial, doté d’un pianiste, la sauce ne prenait pas. J’étais sur le point d’abandonner. Lors d’un concert aux Canaries, le contrebassiste Philippe Aerts a remplacé le pianiste. Sans répétition, la prestation fut si fantastique que nous avons décidé de continuer l’aventure ainsi."
Pour Richard Galliano, Philippe Aerts n’est pas seulement " le liant" de la sauce, mais aussi "le mât du bateau". Si la contrebasse symbolise l’ossature du bâtiment, l’accordéon en représente les voiles, dans lesquelles s’engouffrent brises délicates et tempêtes impétueuses ; le violon, les cordes qui les hissent. Et les percussions, le roulis marin. Le voilier ainsi apprêté, architecture fine, quitte les rives des îles Canaries pour offrir à l’auditeur ce périple musical : du Brésil (Sertao) au Paris du siècle dernier (La Flambée montalbanaise de Gus Viseur). Du Vénézuéla à Naples (Guarda Che Luna). Une aventure qui retrace "les émotions et les couleurs d’une vie faite de rencontres, de passions partagées en découvrant de nouveaux pays aux climats, aux couleurs et aux rythmes différents".
Clair-obscur musical
Pourtant, réunir au sein d’un même album de la musique vénézuélienne, des compositions de Gus Viseur, de Nelson Cavaquinho et l’inspiration constante de Jean-Sébastien Bach (Tangaria est la contraction de Tango et d’Aria ), relevait de la gageure. Le ciment réside dans la "latinisation", sort jeté à tous les morceaux, sans pour autant les dénaturer. Richard Galliano mixe ainsi les valses musettes aux rythmes vénézuéliens, agrémente la Gnossienne d’Erik Satie (plutôt orientale), de couleurs sud-américaines, entre salsa, boléro et samba.
De cet album chatoyant, émanent la sensualité charnelle, les odeurs, le goût d’un ailleurs, au gré d’une matière sonore sculptée, dont la profondeur et le relief façonnent le film de nos propres voyages. Détenteur jaloux d’un accordéon offert par sa grand-mère à l’âge de douze ans, fétiche jamais délaissé, instrument au son "très rond", Richard Galliano se trouve toujours "un peu malheureux lorsque le preneur de son lui prend, mais ne lui rend pas". A Sao Paulo, dans "le meilleur studio du monde", il lui fut redonné intact. Surtout, les techniciens surent retranscrire cette "Luz Negra" : cette lumière noire, ce clair-obscur de Rembrandt, qui ne dissimule pas les imperfections, mais s’en sert et les sublime.
En première page du site de Galliano, s’inscrit cette citation d’Alfred de Vigny : "Une vie réussie est un rêve d’adolescent réalisé dans l’âge mûr." De sa voix baignée du soleil du midi, l’accordéoniste commente en toute humilité : "Ce que je fais maintenant, c’est ce que je rêvais de faire." A voir son authenticité et son émotion sur scène, son engagement au service de la musique, on ne saurait en douter.
Richard Galliano Luz Negra (Milan) 2007
En tournée jusqu'en juin.