Des labels branchés mais fragiles

Ils ne sont connus que de quelques initiés, mais remportent un beau succès à l’étranger. Ils s’appellent Kitsuné, Diamond Traxx ou Versatile. Ces labels français électro à taille humaine sont néanmoins économiquement précaires.

Un équilibre précaire

Ils ne sont connus que de quelques initiés, mais remportent un beau succès à l’étranger. Ils s’appellent Kitsuné, Diamond Traxx ou Versatile. Ces labels français électro à taille humaine sont néanmoins économiquement précaires.

Alors que les CDs se vendent de moins en moins, on pourrait croire que les premières maisons de disques touchées seraient les plus petites. Et ce sont pourtant les multinationales, aux reins plus solides, qui fusionnent ou licencient. En France, les petites structures sont nombreuses, particulièrement dans les musiques électroniques. Pourquoi ? Sans doute parce qu’elles ont surfé sur le phénomène de la French Touch, cette aura qui entourait chaque sortie d’un disque français à la fin des années 90.

Certains en ont directement profité, comme Diamond Traxx, créé par Benjamin Diamond. Tout le monde l’a entendu chanter Music Sounds Better With You, le tube planétaire de l’année 1998, signé Stardust. "Après le succès de Stardust, je me suis retrouvé un peu tout seul, raconte-t-il. Par passion et par nécessité, j’ai investi l’argent que j’avais gagné dans la création d’un label. C’est naturel que l’argent de la musique retourne à la musique."

La galaxie Daft Punk

Autre label issu de la French Touch, Versatile a été lancé par DJ Gilb’R, sur ses propres deniers. Le premier maxi publié en 1996, Disco Cubizm signé I:Cube, fut un succès, grâce au remix signé de deux jeunes producteurs prometteurs : les Daft Punk. Ces mêmes Daft Punk, grâce à leur succès sur une multinationale du disque, Virgin, ont créé chacun leur propre structure : Guy-Manuel de Homem-Christo avec Crydamoure, un label plutôt house (liquidé en 2006), et Thomas Bangalter, Roulé, plus orienté techno.

C’est sur ce dernier qu’était paru Music Sounds Better With You, qu’il avait cosigné sous le nom de Stardust. Le responsable de Roulé, Gildas Loaëc, a lui aussi bénéficié de ce tube sorti sur ce label, pour créer le sien en 2002, Kitsuné. Le manager du duo, Pedro Winter, a fait de même l’année suivante, avec Ed Banger. Le plus difficile dans la musique n’est pas de se lancer, mais bien de s’installer durablement. Paradoxalement, c’est d’abord par des compilations que Kitsuné s’est fait connaître. Gildas Loaëc : "Il s’agit d’un long travail de recherche et de sélection. Les gens n’ont pas tous le temps d’aller fouiller chez les disquaires spécialisés ou de consulter MySpace. Nous définissons de façon arbitraire ce qui est bien dans la production actuelle." Les compilations Kitsuné, à base d’ingrédients rock et electro, ont déniché Hot Chip, The Klaxons ou Digitalism. Ce dernier groupe est la première signature du label.

Une économie fragile

Autres compilations recherchées, les trois volumes de D.I.R.T.Y. Diamond, publiées par Diamond Traxx. Même si elles ont beaucoup fait pour la renommée du label, avec des titres rares piochés chez Nino Rota ou Grace Jones, les compilations n’ont pas été des succès commerciaux, avec 12000 ventes pour la première, et 6000 pour chacune des deux autres. Diamond Traxx s’est plutôt économiquement fait une santé grâce à des artistes comme les Hushpuppies (20000 ventes), qui ont permis de lancer le groupe pop Nelson. La maison de disques réalise les deux tiers de son chiffre d’affaires à l’étranger. Pour Ed Banger, il s’agit de 80% de ses ventes, grâce à des artistes comme DJ Mehdi ou Justice. Les aides, provenant par exemple du Bureau Export, sont primordiales.

"Nous ne perdons plus d’argent depuis seulement deux ans, confie Benjamin Diamond, qui n’est pas salarié de son propre label. Ce qui me fait vivre, ce sont les remixes que je réalise et les droits d’auteurs, puisque j’ai créé ma société d’édition musicale, Left Music." Ces labels, qui emploient souvent moins de cinq salariés, ont comme point fort leur réactivité. Un artiste peut être signé très rapidement, des disques pressés suivant la demande, des vinyls envoyés aux DJs qui comptent.

Chaque label a son identité musicale, qui lui permet de fidéliser des passionnés. Certaines structures ont été créées par des artistes, comme Record Makers par Air, ou Yellow par Bob Sinclar, d’autres par un magasin de disques, comme Karat. En musique, les phénomènes de mode vont et viennent, ces petites maisons de disques sont donc tributaires de l’(in)succès d’un artiste. Ainsi, The Eternals et les prometteurs Octet se sont séparés, après seulement un album publié par Diamond Traxx, mettant à mal toute la fragile économie du label. D’autres ont mis la clef sous la porte après plusieurs années d’existence, à l’instar de Prozak Trax en 2004, ou ont dû réduire leurs effectifs, comme F Communications en 2006.

D’où l’idée de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Benjamin Diamond développe les activités d’édition, tout comme Pedro Winter, et de musique à l’image. Kitsuné va encore plus loin dans la diversification, puisque dès sa création en 2002, la marque recouvrait l’activité discographique et la création d’une ligne de prêt-à-porter, conçue par Masaya Kuroki, l’associé de Gildas Loaëc. Si les disques se vendent surtout en Grande-Bretagne, les vêtements font un tabac au Japon. On peut écouter Kitsuné, s’habiller Kitsuné, et pourquoi pas bientôt acheter des cosmétiques ou une marque d’eau Kitsuné…