LE FESTIVAL DU VENT 2002

Noir Désir, Kent, Tryo, Higelin, Zebda, Luke ou Néry viennent d’achever leur séjour à Calvi en Corse où se tenait, du 2 au 10 novembre, la onzième édition du Festival du Vent. Entre sport, conférences ou animations, cette manifestation polymorphe brille cette année par sa programmation musicale. L’échange des savoirs est ici le maître mot et chacun vient bénévolement, juste pour se rencontrer, fêter et réfléchir.

Plateau exceptionnel pour les dix ans du festival corse.

Noir Désir, Kent, Tryo, Higelin, Zebda, Luke ou Néry viennent d’achever leur séjour à Calvi en Corse où se tenait, du 2 au 10 novembre, la onzième édition du Festival du Vent. Entre sport, conférences ou animations, cette manifestation polymorphe brille cette année par sa programmation musicale. L’échange des savoirs est ici le maître mot et chacun vient bénévolement, juste pour se rencontrer, fêter et réfléchir.

Tous les artistes vous le diront. Le Festival du Vent n’est pas comme les autres. Bertrand Cantat, chanteur de Noir Désir commence par l’expliquer aux dizaines de journalistes qui s’amassent devant lui. Cela se passe chez Tao, bar mythique (grâce à Jacques Higelin) de la citadelle de Calvi : "On ne vient pas ici comme on va ailleurs, dans les autres festivals. D’abord on reste plusieurs jours, ce n’est pas juste le temps de faire une date de concert. Ensuite on sort des contextes normés, on essaie de faire avancer la pensée et notre connaissance. Il y a beaucoup de rencontres, d'échanges." Sous l’œil attentif et souriant de Serge Orru, grand instigateur et chef d’orchestre de la manifestation, Noir Désir est à l’aise, bavard. Les quatre garçons s’étalent même sur des sujets dont ils assurent être saturés : la politique, le système, le show-biz… : "Ce qui est bien avec le vent c’est que ça lave de tout, c’est libre, cela n’a pas besoin de papiers pour passer les frontières !".

Il faut dire que le contexte se prête autant à l’engagement qu’au festif. Le Festival du Vent a toujours mis en avant la citoyenneté, la défense de l’environnement, la paix. C’est ainsi que dans l’énorme réfectoire réquisitionné à l’heure des repas, on trouve autant de représentants de Greenpeace, de la FIDH (Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme), de chercheurs d’énergies renouvelables que de chanteurs. Kent sait déjà tout cela, c’est la troisième fois qu’il participe : "J’ai eu mon baptême de parapente il y a sept ans ici, hier j’ai fait de l’ULM, je me promène dans les stands, je vais assister aux spectacles, je vais faire de la voile, je fais tout ce qui m’attire… Ce que j’aime dans ce festival où l'on échange entre artistes, scientifiques, hommes de lettres, sportifs et le reste, c’est que ça réunit des gens qui partagent un même état d’esprit. C’est étonnant qu’il n’y ait qu’un endroit qui concrétise cela. Tous les autres festivals se cantonnent à un genre, on ne se mélange pas. Il n’y a pas l’union. Bravo à Serge Orru de faire exister cela et s’il pouvait faire tâche d’huile ce serait bien. C’est un pionnier."

Ici donc, personne n’a plus d’importance qu’un autre. Les rencontres se font naturellement au détour d’un hasard, d’un spectacle improvisé, d’un coin de bar. Toutes les envies sont possibles : si un musicien veut sortir sa guitare à quatre heures du matin pour pousser la chansonnette dans le hall de l’hôtel, sur la plage toute proche ou dans la pinède environnante, aucun souci à cela. Il trouvera toujours un public et deux ou trois confrères pour le rejoindre dans les quelques minutes.

"En temps normal on archi-protège les artistes pour les rendre mystérieux, poursuit Kent. Et lorsqu’ils montent sur scène, on les croit sortis de la cuisse de Jupiter. Or là on mange ensemble, parfois on boit un peu trop le soir ensemble, on fait des activités ensemble, et à un moment donné il faut monter sur scène et être crédible en tant qu’artiste. On se rend compte qu’il y a une personne dans la vie et puis il y a ce qu’il fait." Puis, interpellé par un bruit, le chanteur lève les yeux au ciel et désigne un point juste au-dessus de la terrasse, cœur de tous les rendez-vous du festival : "Et le mec qui est en train de passer au-dessus de nous là avec son parapente à moteur, il m’épate maintenant qu’il est dans les airs, puis tout à l’heure on sera à table ensemble… C’est la même chose. C’est ma conception de la vie depuis toujours. Peut-être que le seul mec important ici, c’est le cuisinier, celui qui fait ses 600 couverts tous les jours ! On lui doit beaucoup je trouve. Et chacun donne le meilleur de soi."

L’exercice n’est pourtant pas des plus faciles. Donner un concert au Festival du Vent c’est chanter non seulement pour le public corse mais également pour tous les autres festivaliers. Ceux-là même que l’on côtoie tous les jours. Assis devant un café, Stéphane le bassiste du groupe rock Luke s’inquiète : "J’ai déjà le trac qui monte, c’est dingue ! Jouer ici c’est comme jouer dans sa ville d’origine, devant les gens qu’on connaît bien. Le mieux cela aurait été d’être programmé en début de séjour. Mais on passe en plein milieu !"

Un peu plus loin, sous la tente montée sur un terrain de tennis, les membres de Tryo reprennent la conversation. La situation leur paraît en effet originale, mais visiblement cela les amuse : "C’est vrai c’est un public qui t’a vu dans tous les états possibles. C’est marrant je ne vois pas cela comme une difficulté, lance Daniel… Je trouve cela super intéressant, tu fais des rencontres, tu fais des choses ensemble ou pas, ça fait un peu colonie de vacances… En plus nous on passe en fin de semaine. On a déjà vécu des choses avec les festivaliers, on a papoté, refait le monde… Je trouve cela agréable au contraire de jouer pour les gens avec lesquels tu as passé dix jours en même temps que pour tous les autres." Manu réfléchit à son tour : "C’est vrai qu’on a peut-être envie d’être plus vrai que nature parce que ce sont des gens que l’on connaît maintenant. Dans ces cas-là, tu n’as pas envie de tricher du tout. Dans un spectacle, l’artiste a recours à des petits artifices, des subterfuges qui font que quand il est fatigué, il peut se raccrocher à cela, aux petits trucs du métier. Ici, après avoir mangé à la même table tous ensemble, on a envie de ne pas avoir recours à cela, et d’être le plus vrai et le meilleur possible. Peut-être que c’est cela la vraie difficulté. Surtout que l’on ne se repose pas franchement ici : les nuits sont très longues au Festival du Vent ! Et le fait que cela soit un festival un peu engagé, c’est encore plus énergisant ! Tu ne dors pas parce que tu es continuellement alimenté par des rencontres, des discussions, des énergies convergentes !"

Dimanche soir, le Festival du Vent s'est terminé. Noir Désir a électrisé le chapiteau sur le port de Calvi avec Les Têtes Raides comme invités surprise. Kent a joué la carte de l’intimisme en donnant un concert avec pour unique accompagnateur l’accordéoniste Arnaud Méthivier. Tryo a convié moult jongleurs et acrobates. Higelin a fini à l’aube par un bœuf inoubliable avec Taranta Babu. Zebda s’est fait discret. Les membres du groupe Luke ont été les plus fidèles spectateurs des conférences. Néry a organisé un énorme pique nique musical sur la plage avec plus de 600 convives et une table de 300 mètres de long spécialement conçue pour l’occasion. Et un charter spécial a ramené tout ce beau monde lundi 11 novembre à Paris. A bord, Daniel du groupe Tryo soufflait : "Je vais subir une intervention chirurgicale pour me faire transformer le visage et revenir sous une autre identité ! Comme cela je serais peut-être invité l’an prochain. On a forcément envie d’y retourner !"

Marjorie  Risacher