Reggae à la française (2)

Tryo, né dans la banlieue sud de Paris, semble bien parti pour être le troisième étage de la fusée "groupes de scène", qui a déjà propulsé Louise Attaque et Matmatah. Une nouvelle fois, est prouvée l'importance de la qualité, de l'intransigeance, du bouche-à-oreille, de l'auto-production (et des tournées en Bretagne), pour engendrer un énorme succès que ne prévoient pas les professionnels du show-business. Cette fois, le créneau occupé est résolument chanson, porté par des rythmes dits "reggae akoustik".

Tryo

Tryo, né dans la banlieue sud de Paris, semble bien parti pour être le troisième étage de la fusée "groupes de scène", qui a déjà propulsé Louise Attaque et Matmatah. Une nouvelle fois, est prouvée l'importance de la qualité, de l'intransigeance, du bouche-à-oreille, de l'auto-production (et des tournées en Bretagne), pour engendrer un énorme succès que ne prévoient pas les professionnels du show-business. Cette fois, le créneau occupé est résolument chanson, porté par des rythmes dits "reggae akoustik".

C'est fou ce qu'on peut faire avec trois voix exceptionnelles et trois guitares pas manchotes... Avec, également, de l'inspiration. Grâce à des réussites aussi diverses que "C'est du roots", "la Misère d'en face" ou "Yakamonéyé", Tryo se promène du raggamuffin à la Mano Negra et de l'échange inégal, au désespoir civilisé en souriant de tout. Son secret réside à la fois dans la légèreté du traitement vocal, dans son harmonie avec les guitares, et dans l'humour qui imprègne les chants les plus désespérés ("Babylone"). Mali, Manu, Guizmo, Bibou, Daniel: les deux premières lettres des surnoms de chacun des acteurs de Tryo (les trois chanteurs-guitaristes, l'ingénieur du son, le percussionniste), ont servi à composer le titre de ce premier album, Mamagubida... Une œuvre résolument communautaire.

Au début de l'histoire se dresse la Maison des Jeunes et de la Culture de Fresnes, en banlieue sud de Paris. C'est là que se retrouvent régulièrement, à partir de 1992, les musiciens du groupe M'Panada, parmi lesquels Manu Eveno et Cyril Célestin, dit Guizmo. Aux manettes se trouve, déjà Sébastien Pujol, dit Bibou... Vers la fin 94, deux nouveaux les rejoignent: le musicien-comédien, Christophe Mali et le percussionniste chilien, Daniel Bravo.

La légende naissante de Tryo veut que ce soit au cours d'une longue balade dans les Pyrénées, pendant l'été 95, que le groupe se soit formé: dix-neuf copains, feu de camp, guitares. Il faut une première partie pour un concert à la MJC : Manu, Guizmo et Mali sont nommés d'office. Tryo est né. La suite ressemble à ce que racontent tous les jeunes groupes nés des concerts: la scène, la scène, la scène. En banlieue parisienne et surtout en Bretagne, très accueillante avec son réseau de bars à musique et ses Transmusicales de Rennes...

Bibou pousse ses copains vers l'avant: fin 97, ils autoproduisent Mamagubida, enregistré en public à Fresnes et en Bretagne. Coût très raisonnable: 80 000 francs français. En un an, de concert en concert, le groupe distribue l'album à 15 000 exemplaires. Signature en décembre 98 chez un petit label lié à la multinationale Sony (Yelen) et 120 000 albums de mieux, sans "single" ni soutien des radios dites "jeunes". Mystères du bouche-à-oreille et de la qualité...

Tryo remet au goût du jour le plaisir de l'écoute et des harmonies Avec eux, la contestation n'est pas moins radicale parce qu'elle est souriante ("Salut ô !", "Regardez-les"): quand le libertaire averti part siffler sur la colline, ce n'est pas seulement pour faire joli... En prise directe avec le nouvel espace conquis en France par les Verts, l'art de Tryo en assume toutes les contradictions: néo-baba, utopiste. Et franchement enthousiasmant.

Jean-Claude Demari

Tryo: Mamagubida (Yelen/ Sony, 493029).
Site de Tryo