Rocé, en rupture de rap
Après Identité en crescendo il y a trois ans, le rappeur algéro-argentin-français Rocé revient avec une nouvelle bombe artistico-politique, L’Être humain et le Réverbère, album aussi féroce qu’inventif.
Hors des sentiers battus
Après Identité en crescendo il y a trois ans, le rappeur algéro-argentin-français Rocé revient avec une nouvelle bombe artistico-politique, L’Être humain et le Réverbère, album aussi féroce qu’inventif.
RFI Musique : Votre album précédent, Identité en crescendo, a été salué par un concert de louanges de la critique. Était-ce intimidant au moment de vous mettre au travail pour ce disque-ci ?
Rocé : Ça bloque un peu pour la création. Au moment d’écrire, je ne savais pas trop quoi faire. Il a fallu un petit temps pour me décomplexer et pour que je me résolve à faire ce que je suis, sans trop me soucier de comment le disque allait être reçu.
Vous parlez de faire ce que vous êtes. Vous définissez-vous comme un artiste hip hop ?
Je me définis comme un artiste. Point. Ensuite, j’assume pleinement de faire du hip hop. Je rappe depuis l’âge de douze ans. Quelque soit ce que je fais, c’est du rap que je pars, et ensuite j’extrapole.
Vous extrapolez et c’est là que vos ennuis commencent avec un certain milieu rap...
C’est clair : dès qu’on essaye de défricher de nouveaux chemins, dès qu’on cherche l’aventure, dès que l’on est téméraire artistiquement, on court des risques. J’ai essayé de rassembler des mondes et évidemment je me suis heurté à des incompréhensions. Mais les retombées sont si riches que ça m’encourage à continuer. Sur mon album précédent, j’ai invité le guitariste manouche Potzi ou Archie Shepp qui est une légende du free jazz. Avec ce répertoire, j’ai fait des festivals de hip hop et des festivals de jazz – dont Montreux avec Archie Shepp. Ça compense tout ce qu’on a pu me balancer…
De même, cet album est mixé par Renaud Létang, qui est très marqué "chanson française"…
Il a travaillé avec la chanson française mais aussi avec Manu Chao. C’est la tête d’affiche des ingénieurs du son français mais, quand je lui ai apporté mon projet, il l’a compris. Il comprend le groove, ce mariage des basses et de la rythmique qui est la base du hip hop. Il le connaît et le maitrise aussi bien que la variété.
Dans Si peu comprennent, vous proclamez : "Vous comprendrez donc que j’ai d’autres ambitions que de jouer au rappeur voyou ou repenti, reconverti en bon bougre ; pas le temps non plus de faire peur de par un exotisme banlieusard". Vous allez encore vous faire des amis...
Les gens adorent qu’on les critique et qu’on ne les caresse pas dans le sens du poil. Ce titre vient de ce que j’avais besoin d’enlever ce qui me pèse. Après Identité en crescendo, où j’ai essayé de rassembler les mondes, je me suis rendu compte que je n’avais pas réussi à changer les mentalités – ce qui est d’une prétention immense, mais je ne m’attendais pas vraiment à réussir – et il fallait tourner la page. Hélas en France, on ne vous juge pas sur la musique mais sur autre chose. Il faut montrer sa carte d’identité d’artiste…
Pourquoi cette remarque, dans le même titre : "Je suis un des seuls trentenaires à rapper comme un adulte" ?
Le monde du rap est de plus en plus ghettoïsé, avec un public de plus en plus jeune et des rappeurs de plus en plus décalés par rapport à leur public. Ils ne croient plus à ce qu’ils disent, c’est le Club Dorothée. Ce n’est pas là que je trouve un exemple. En revanche, encore une fois, quand je vois un homme comme Archie Shepp, qui approche des quatre-vingt ans et ne se pose plus ces questions-là dans le jazz…
Pourquoi reprenez-vous cette chanson de Jacques Brel, Les Singes ?
Il y a beaucoup de gens qui aiment Brel, mais beaucoup qui ne connaissent pas ce titre-là. Je trouvais ça dommage et même si ce n’est pas facile de reprendre Brel, j’ai décidé d’enregistrer Les Singes. Ce qui m’a motivé, c’est aussi que cette chanson aurait pu être écrite aujourd’hui. Je lui ai donc donné une musique hip hop électro très actuelle.
Vous commencez votre tournée peu après la sortie de l’album. Comment allez-vous le transcrire sur scène ? Je serai avec un DJ et un bassiste – le côté rap, le côté instrumental. Cette formation permet une très grande liberté, pour eux comme pour moi. Ils ont beaucoup de solos, beaucoup d’impro. Ainsi, le DJ et le bassiste vont chacun au bout de leur fonction.
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L'Etre humain et le Réverbère
Rocé L'Etre humain et le Réverbère (M2o Solutions/Big Cheese Records) 2010
En concert au Nouveau Casino à Paris le 18 mars