Le son brut de Fred Fortin
Aux antipodes des "québécoiseries" sirupeuses qui désinforment les Français sur la réalité musicale de la Belle Province, il y a Fred Fortin. Parfait mariage entre Chuck Berry et Kurt Cobain, il nous balance un rock brut et universel, crasseux et brillant. Et en français. Nous l'avons croisé lors du dernier Festival d'été de Québec.
Ou l'autre Québec…
Aux antipodes des "québécoiseries" sirupeuses qui désinforment les Français sur la réalité musicale de la Belle Province, il y a Fred Fortin. Parfait mariage entre Chuck Berry et Kurt Cobain, il nous balance un rock brut et universel, crasseux et brillant. Et en français. Nous l'avons croisé lors du dernier Festival d'été de Québec.
Quand on lit la presse québécoise, on réalise que même là-bas, Fred Fortin est un ovni. Qualifié à la fois de «négatif total de Bruno Pelletier»¹ ou de «figure la plus marquante du rock québécois de ce début de millénaire»², le bonhomme attise la curiosité. De plus, le terme 'marginal' est souvent employé à son propos pour cause de totale indifférence envers les ors de la réussite.
La médiatisation n'a aucune prise sur lui. Passer en radio, formater ses titres, poser en couverture des magazines, même vivre à Montréal, Fortin n'est pas prêt de céder aux compromis que requière une "carrière" : «Les gens se font une certaine image de ce qu’est une carrière mais moi je fais ce que j’aime, nous raconte-t’il, c’est peut-être pour ça que ça cadre moins mais c’est une autre chemin. Je veux en vivre évidemment mais c’est un drôle de métier, j’aime autant ne pas voir ça comme ça, ça down (c’est déprimant, ndlr). Les maisons commerciales (maisons de disques, ndlr), elles voient que je ne suis pas dans le coup. Ma façon de faire de la musique n’est pas en rapport avec l’industrie. Si ça ne marche pas, je ferai autre chose.»
Comme à la maison
Résident de St Félicien dans la région du Lac St Jean entre Québec et Montréal, le musicien vit dans un chalet qui appartenait à son père, au milieu des bois. Son studio-maison est une petite cabane verte et bleue qui, l'hiver, a les pieds dans la neige. Chez les Fortin, la musique est une affaire de gènes : son frère l'accompagne sur scène, sa mère chante à l'occasion et on voit parfois son père faire sa première partie avec un groupe country, le El Gun Show.
Le destin bien étrange fait que c'est un autre Fortin, Dédé, chanteur des Colocs, disparu prématurément en 2000, qui découvre Fred dans les années 90. En 96, premier album solo, Joseph Antoine Frédéric Fortin Perron, enregistré après maintes négociations dans un studio indépendant au lac Etchemin. Puis, il monte le groupe Gros Méné en 99 (avec le guitariste Olivier Langevin, collaborateur de Mara Tremblay, et Michel Dufour, batteur des Colocs). Ensemble, ils écument la Province et sortent Tue ce drum Pierre Bouchard en 1999.
Succès critique indéniable et grosse impression sur le public. Et ce n'est pas son dernier album, Le Plancher des vaches qui dément cette réussite : onze titres à l'odeur tenace et à la poésie… comment dire… nature. On y croise une pléiade de petits personnages inattendus (des "crottes", un "morpion" ou une "horrible mouche noire") qui ponctuent des histoires touchantes et surréalistes même si le quotidien est de toute évidence son puit d'inspiration.
One-man band
En 2000 et 2002, il remporte le Prix Miroir de la chanson d'expression française au Festival d'été de Québec "pour ses compositions au style très personnel, sa performance et son contact avec le public" dixit le jury de cette année. Effectivement, c'est sur scène que Fred Fortin impressionne le plus. Habitué aux expériences de groupe, il tourne seul ces derniers temps. Vraiment seul, batterie aux pieds, guitare en main, harmonica en bouche. Un vrai one-man-band.
Et le son produit est celui d’un groupe : blues-rock au son lourd, voire un blue-grass pur et artisanal comme on n’en entend plus et qui remue les tripes. Lors de son passage sur la scène de la Francophonie du Festival de Québec, une voix dans le public lance : «C’est agréable de voir des gens qui ont encore l’essence du rock en eux !»³
Il conte des histoires de sa vie : «Ça me fait composer des tounes (chansons, ndlr) bizarres. J’écris pas mon autobiographie mais parfois tu te retrouves dans les textes sans t’en rendre compte.»
Il passe d’un hommage très perso à Ozzy Osbourne à une ballade émouvante sur la mort («J’y pense pas trop, ça m’lève le poil»). Et chez Fortin, tout est en français, un français joual, mêlé d'anglicismes et d'argot québécois, souvent mystérieux pour les Hexagonaux : «Le français, c’est ma culture et comme québécois, c’est assumer qui on est, un petit peuple en Amérique qui ne lèche pas le cul des Américains. C’est un privilège cette langue.» Les organisateurs de la 8ème édition des Francouvertes, grand concours de la relève musicale francophone, ne s'y sont pas trompés en conviant Fortin à être le porte-parole de la manifestation lors du concert d'ouverture le 4 novembre.
Il y a quelques mois, Fred Fortin a tourné en France en tant que batteur de la chanteuse Mara Tremblay : «C’est sûr que c’est loin, la France.» Quand on lui demande s’il y a remarqué des artistes, il lance : «Les Français sont ben électroniques en ce moment, c’est ce que j’ai pu voir. Ça m’intéresse mais je viens juste de finir de payer mes guitares… Mais, je suis ouvert à tout.. Quand c’est fait humainement, c’est bon.» Il cite Jérôme Minière, Orléanais, résident québécois depuis quelques années et auteur d’un joli répertoire électro-chanson. Puis Noir Désir. Sensible à l’anti-mondialisation, porteur d’un rock plus universel parce que dénué de variété, nature jusqu’au bout des ongles, Fred Fortin a peut-être des atouts pour séduire un public français.
¹ La Presse de Montréal, 15 juillet 2000.
² Voir, février 2000.
³ Merci Laura...