Aldo Romano définitivement chanteur

Aldo Romano confirme sa vocation tardive mais sincère de chanteur, avec cette fois-ci un album, Etat de fait, où le batteur de jazz réputé devient auteur, compositeur et interprète de chansons solides et personnelles.

Un album de chansons

Aldo Romano confirme sa vocation tardive mais sincère de chanteur, avec cette fois-ci un album, Etat de fait, où le batteur de jazz réputé devient auteur, compositeur et interprète de chansons solides et personnelles.

De ses grands ancêtres qui inventèrent le genre, Aldo Romano a hérité aussi de l’élégance. Un caractère trop souvent absent chez les musiciens de jazz européens, mais que l’italo-français cultive, aussi bien dans son apparence physique recherchée que dans ses chansons, puisqu’il est désormais un chanteur complet. Après le galop d’essai Chante, en 2005, où il revisitait Trenet, Ferré, Cole Porter, Nougaro ou Gianni Esposito, Aldo Romano livre avec Etat de Fait dix chansons, dont neuf sont de sa plume. "Le premier album était plus une figure imposée. Aujourd’hui, il y a une volonté d’écriture, d’exprimer quelques idées. Ce n’est toujours pas quelque chose qui se voudrait une nouvelle direction, un nouveau statut, une nouvelle carrière… Tout cela fait juste partie d’un ensemble."

Le format est pourtant exigeant, et différent de la musique de jazz à laquelle le batteur compositeur se frotte depuis les années 1970. "C’est moins libre, quoique la notion de liberté est très vague. On n’est pas vraiment plus libre dans le jazz. Il y a des codes, une manière de jouer, de dialoguer ensemble. Il y a des lois dans tout. Le format "chanson" est plus réduit, mais aujourd’hui, avec l’exigence des radios, on entend rarement des morceaux de jazz qui dépassent les 4 minutes. Il y a du jazz dans cet album, on voit bien que ce sont des musiciens de jazz qui m’accompagnent, mais le propos était de faire ni vraiment du jazz, ni vraiment de la chanson. Il y a du texte, une couleur... Ça m’est difficile de définir ce que c’est."

Une filiation avec les crooners, peut-être, que la profonde gravité de la voix, ce débordement de testostérone, peut éventuellement tracer. Mais Aldo Romano s’en défend… "Ça vient d’une tradition, c’est vrai, mais je ne raconte pas des histoires de crooner : c’est plus féminin comme point de vue. Et quand une voix de femme intervient, c’est elle qui dirige. Aujourd’hui, il y a des présidentes de république partout ! Mais ce n’est pas pour ça : j’ai toujours estimé que les place de la femme était essentielle, sinon prépondérante, dans la vie, la famille…"

Cette femme qui duettise à deux occasions sur Etat de Fait, se nomme Ma. Chenka.

"Elle vous intéresse, hein ? C’est une amie qui est peintre au départ, puis photographe (elle a fait les photos du disque). C’est une autodidacte, elle pourrait d’ailleurs être chanteuse ou comédienne… Elle est douée pour ça, mais n’en fait pas son métier. Elle a une présence, même si elle est invisible. Je n’ai pas écrit en fonction d’elle, et puis je n’avais pas l’intention de faire des duos. C’est venu après, et elle était là."

Plongée dans l'écriture

Passer des baguettes au stylo est une autre gageure, un défi que l’homme relève brillamment, pour un néophyte supposé. "C’est une ancienne velléité, l’écriture, la poésie… Ça m’a toujours accompagné. On peut mettre du soi dans cette activité. Dans la musique aussi, mais c’est moins explicite. L’écriture, c’est immédiat. J’ai des paquets de carnets, des choses un peu finies. Je suis également sur un livre, mais on verra plus tard. Il y a toute une vie, je ne dis pas qu’elle est plus intéressante qu’une autre, mais voilà. Je me dis que le parcours d’un ouvrier rital, immigré, qui devient musicien, ça peut intéresser des gens. Il est inculte, puis il se plonge dans la littérature, et la dialectique en général. Ce n’est pas moi, c’est le “ça” qui fonctionne, comme dirait Groddeck. Ça se fabrique tout seul."

La seule reprise du disque (C’est mon cœur) est signée Nougaro, ce qui n’est pas un hasard."Il a accompagné un grand moment de ma vie, 25 ans. Cette chanson-là est peu connue, lui-même ne l’a jamais reprise, mais il est dedans, avec cette douleur quasi génétique. Il souffrait beaucoup, intrinsèquement. Il voulait savoir pourquoi il était dans une douleur comme ça. Il aurait dû creuser un peu, ça lui aurait sans doute rendu la vie plus légère, mais son talent en avait peut-être besoin. Quand je l’ai connu, c’était un moment particulier, où il était vraiment mal dans sa peau, avec des problèmes personnels, et aussi de création. Il a écrit ça dans un moment où il souffrait beaucoup, et je suis attaché à cette chanson."

De cette activité aujourd’hui établie, on peut se demander si elle est bien comprise par tous les éléments extérieurs d’une carrière d’artiste, si la perméabilité des genres est possible, dans une France attachée aux étiquettes…"Ça pose des problèmes, et ça m’intéresse que cela en pose. Ce n’est pas un choix facile que le mien. Je pourrais continuer à faire du jazz, monter des orchestres, faire l’accompagnateur. Mais ça serait trop simple ! C’est vrai que pour les décideurs, les organisateurs, ce n’est pas facile : ils se demandent où est ce type, et qu’est-ce qu’il fait ? Mon projet, s’il peut exister, c’est de mélanger tout ça sur scène. Je l’ai déjà fait en club, quelques fois aussi en salles, et ça fonctionne très bien. On n’a pas besoin de voir toute la soirée un type chanter, ou jouer de la batterie derrière des musiciens. Le public de jazz est assez fermé, même il s’est un peu ouvert ces derniers temps. Mais le public en général, il est prêt pour ça. Les agents, les médias, les radios, sont plus circonspects. Il faut essayer. Dans les pays anglo-saxons, les choses sont plus poreuses, on n’en veut pas à quelqu’un de pratiquer plusieurs disciplines à la fois. En France, c’est problématique."

Un peu de risque

Finalement, derrière le plaisir que l’on ressent à l’écoute de ces chansons de qualité, on devine l’excitation en filigrane d’une mise en danger, d’un inconfort. "Dans le jazz, il n’y a pas tellement de risque. C’est un lieu avec des codes, on connaît, on sait. Il n’y a pas de nouveautés extraordinaires, ce n’est pas une musique révolutionnaire aujourd’hui. On entend du jazz partout, dans les restaurants, les ascenseurs, c’est devenu une musique qui accompagne la vie. Je ne fais pas ce disque pour me mettre en danger, mais ça m’intéresse de sortir d’un ronron, d’un territoire balisé. Si ce que je fais n’est pas non plus révolutionnaire, le danger est ailleurs : faire quelque chose qu’on n’a pas l’habitude d’entendre de ma part. Je pense qu’il y a là-dedans quelque chose qui peut toucher un autre public. Il y a un peu plus de musique dans mes chansons que dans la chanson française d’aujourd’hui. Alors je croise les doigts et j’attends de voir, puisque c’est le public qui décide et qu’il a raison."

En concert à Paris au Sunside Jazz Club du 20 au 23 décembre 2007

Aldo Romano Etat de Fait (Dreyfus Music) 2007