Laurent Garnier et le Prix Electro

Il y a un mois, le duo russe Alexandroïd recevait le Prix RFI Electro 2003. A l'occasion de leur prestation ce soir à Moscou, et le 12 juillet à St Petersbourg, RFI Musique a questionné le président du jury qui les a élu : Laurent Garnier, star de l'électro française. L'occasion d'un petit bilan sur la mondialisation du son électro.

L'électro apatride ?

Il y a un mois, le duo russe Alexandroïd recevait le Prix RFI Electro 2003. A l'occasion de leur prestation ce soir à Moscou, et le 12 juillet à St Petersbourg, RFI Musique a questionné le président du jury qui les a élu : Laurent Garnier, star de l'électro française. L'occasion d'un petit bilan sur la mondialisation du son électro.


RFI Musique : Pourquoi avez vous accepté de présider ce jury ?
Laurent Garnier : Je ne suis pas un grand fan des concours mais je trouvais celui-là pertinent. Il permet d’aider un artiste concrètement, de pousser des musiciens inconnus sur le devant de la scène et croyez-moi il est extrêmement difficile aujourd’hui de se faire un nom dans la musique électronique.

Qu'avez-vous pensé du niveau artistique des dix finalistes ?
J’ai été touché par la qualité des albums. Il faut savoir que depuis trois ou quatre ans, les disques techno qui nous viennent d’Europe de l’Est sont de plus en plus nombreux. Quand je dis techno, je fais référence aux disques qui sont dévolus aux clubs, qui sont produits pour faire danser. Mais ce qui m’a surpris chez ces dix artistes et groupes c’est le peu de disques techno dans cette sélection. Seuls deux sont vraiment dansants, les autres sont plutôt lounge. C’est certainement dû au succès des compilations Costes et Ibiza dans ces pays-là.

Et en matière technique ?
Neuf sur dix peuvent sortir dans le commerce sans repasser entre les mains d’un ingénieur du son. La première fois que j’ai joué en Russie, il y a une petite dizaine d’années, les musiciens moscovites m’avaient donné des musiques sur des bandes Revox ; on se rend compte que cette époque est vraiment révolue. Je n’ai lu aucune biographie des artistes sélectionnés mais j’ai souvent eu l’impression d’écouter des productions américaines ou anglaises. Aujourd’hui il n’y a plus de barrières. On fait de la techno de Détroit à Paris ou de la House de Chicago en Australie. Cela dit, on entend parfaitement les influences des nominés : untel a beaucoup écouté Aphex Twin et les Daft Punk, tel autre est très influencé par la techno minimale berlinoise, mais il est impossible de deviner les pays d’origine.

Ne risque t’on pas une uniformisation du son électronique ?
Je ne pense pas. Il est de bon ton d’aduler le son de Détroit par exemple et détester la house new-yorkaise, d’aduler le hardcore allemand et de détester le hardcore belge... Il y a beaucoup, beaucoup de gens snobs dans l'électro, voilà pourquoi je trouve très sain que l’on n'arrive plus aujourd’hui à déterminer le pays par la musique. Grâce à cela, on va revenir à un truc essentiel dans la musique : est-ce bien ou pas? On se fout de savoir qui a composé, qui l’a pressé, quel label l’a sorti. C’est pour cela que j’ai toujours aimé les «white label» (disques vinyles sur lesquels ne figurent aucune indication, ndlr).
De toute façon, la musique appartient à tout le monde. Au début de l’histoire de la musique électronique, il y avait un son spécifique à chaque ville. Chicago avait son son, Détroit et New York aussi. A l’époque les gens ne voyageaient pas beaucoup, ils évoluaient dans un microcosme. Détroit a été influencé par la musique synthétique européenne de Kraftwerk et le P-Funk. Chicago a eu une énorme frustration par rapport au disco quand, à la fin des années 70, on brûlait les disques de disco dans les stades aux Etats-Unis. Ajoutée à cela l'influence du milieu black-gay, ça a donné la house de Chicago. A New York, on connaît l’histoire avec Mancuso, le propriétaire et légendaire DJ du club, le Loft… En Allemagne c’est bien sûr l’électro-pop avec Kraftwerk et en France, c’était un peu la culture du disco, car ce sont les seuls artistes à s’être exportés.
Donc au début, tu identifiais facilement la provenance d’un disque, aujourd’hui non. Pour une raison très simple : un DJ de Détroit va jouer plus souvent à Paris qu’aux Etats-Unis, un DJ de Chicago va jouer plus souvent à New York que chez lui. Aujourd’hui, les DJs voyagent aux quatre coins de la planète et les sons se mélangent : la musique n’est qu’un éternel recommencement. Je trouve ça très sain !