Le rêve de Django

Pour la première fois, l’œuvre de Django Reinhardt était interprétée par un orchestre lors d'un concert unique organisé vendredi 14 septembre 2007 au Théâtre des Champs-Elysées à Paris. Un projet fou monté par le Norvégien Jon Larsen, inconditionnel du jazz manouche, joué par le Kristiansand Symfoniorkester et avec Florin Nicolescu, Biréli Lagrène et Christian Escoudé dans le rôle des solistes.

Et la guitare devint symphonique

Pour la première fois, l’œuvre de Django Reinhardt était interprétée par un orchestre lors d'un concert unique organisé vendredi 14 septembre 2007 au Théâtre des Champs-Elysées à Paris. Un projet fou monté par le Norvégien Jon Larsen, inconditionnel du jazz manouche, joué par le Kristiansand Symfoniorkester et avec Florin Nicolescu, Biréli Lagrène et Christian Escoudé dans le rôle des solistes.

Dans les coulisses du prestigieux Théâtre des Champs-Elysées, les crins s’échauffent, les clarinettes poussent leurs cris de velours, les notes essoufflées parcourent les tuyaux des cors. Dans ce tintamarre à la recherche du son et du la, les langues, bavardes, constituent un contrepoint à la cacophonie, un discours étranger à la langue de Molière : du norvégien.

En rang d’oignon, les instrumentistes montent sur scène : un cortège interminable compose le Kristiansand Symfoniorkester. Silence. Un géant roumain apparaît, en veste grise qu’il aura préférée à la noire, stature imposante terminée par un violon, son attribut, dont il joue à merveille : le public, jusque-là paisible, acclame Florin Nicolescu. L’ovation se poursuit lors du débarquement d’un extra-terrestre à quarante doigts, le guitariste manouche Biréli Lagrène.

Les premières notes fusent, virtuoses, et l’esprit de Django Reinhardt ressuscite. Suspendu au riche plafond, il rigole, et subjugue le public. Aux envolées espiègles des guitares répondent les mélopées des cordes ; aux improvisations exaltées, les nappes romantiques et cuivrées constituent un riche écrin. Ce projet fou et unique prend vie dans les oreilles avides des spectateurs : l’œuvre du plus grand guitariste manouche de tous les temps, jouée par un orchestre symphonique.

L'influence des big bands

Alors que les pièces défilent – Djangology, Nuages, Place de Brouckère, Manoir de mes rêves –, l’un des guitaristes solistes veille d’un œil scrupuleux sur le déroulement du concert. C’est Jon Larsen, l’instigateur de cette utopie. Depuis les années 1970, il "vit" Django. Une obsession. D’abord à la tête du Hot Club de Norvège, il sillonne le monde de la musique gipsy, produit des artistes manouches et assiste à l’émergence d’un curieux raz-de-marée :

“En vingt ans, l’égérie d’une culture française underground est devenue un phénomène mondial !” Il y a quinze ans, il commence à composer, à combiner la musique de son idole avec un quartet à cordes classique. Alors, quand le Kristiansand Symfoniorkester lui demande quel serait le projet idéal sur Django, il voit les choses en grand. Ce soir, deux rêves se concrétisent : celui de Django, mort trop tôt pour voir sa musique orchestrée, et celui de Jon Larsen, fruit de trente ans de travail. Dans la loge, l’ampleur de l’enjeu invite le trac : “Ce concert unique ne pouvait se dérouler ailleurs qu’à Paris. J’appréhende la réaction du public hexagonal, devant l’interprétation norvégienne d’une musique qui lui appartient !”Le choix des dix morceaux s’impose : ceux qui représentent le plus beau challenge et révèlent des possibilités d’arrangement prometteuses. Diminishing Blackness, appelé à l’origine Go Tell Mozart, devait être la première symphonie de Django. Il ne savait pas écrire la musique et je le suppose frustré de n’avoir pu donner corps à ce qu’il entendait!”, poursuit Larsen. Cette dimension orchestrale, Florin Nicolescu, digne héritier de Stéphane Grapelli, l’explique : “Les structures et les intentions des morceaux se prêtent à 100% à l’orchestration. A l’époque, il subissait l’influence des big bands des années 1930-1940.” “Django composait en tant que musicien et non en tant que guitariste. Ce qu’il entendait allait bien au-delà de son instrument”, renchérit Biréli Lagrène. “Il m’étonne toujours, il dépasse les modes !”, ajoute le guitariste Christian Escoudé, autre invité de marque à cette soirée.

Joute musicale

Sur scène, l’atmosphère se détend. Christian Escoudé rejoint ses deux amis. Le chef d’orchestre swingue et claque des doigts ; les instrumentistes applaudissent à tout rompre les soli. Les cordes pincées, mutines, taquinent les arabesques des cordes frottées, lorsque se produit le duel : un duo post-moderne entre Florin et Biréli. Grincements suraigus contre guitare rageuse, concours de vitesse pour tenter de perdre l’autre : la mascarade s’achève sur un grand éclat de rire et une accolade. “Les Américains appellent cela un challenge. Mais ça reste sain !”, note Christian Escoudé à propos de la complicité qui unit les trois solistes, un trio indiscipliné qui se chuchote des blagues à l’oreille. Des copains qui finissent par inclure dans leurs jeux deux guitaristes norvégiens : Jon Larsen et Andreas Oberg. Derrière, les roulements des tambours grondent, les cuivres s’enflamment, les archets tourbillonnent. Le concert s’achève en apothéose, en embrassades et en émotion. Jon Larsen brandit sa guitare en triomphe. Le rêve est devenu réalité. Dans le cœur de chaque spectateur : un petit bout de l’âme de Django.