Redécouvrir Boris Vian

Chaque mois, l’association le Hall de la chanson fait revivre le répertoire d’un artiste culte du patrimoine français. Après Serge Gainsbourg, en septembre, c’était cette fois-ci au tour de Boris Vian. Un artiste touche à tout qui n’en finit pas de détonner.

Conférence-concert à la Maroquinerie

Chaque mois, l’association le Hall de la chanson fait revivre le répertoire d’un artiste culte du patrimoine français. Après Serge Gainsbourg, en septembre, c’était cette fois-ci au tour de Boris Vian. Un artiste touche à tout qui n’en finit pas de détonner.

 

 Olivier Nuc, journaliste, débute sur des accords de JP Nataf, ex-Innocents : "Nous ne sommes pas en 2005 à la Maroquinerie mais en 1947, dans un club de Saint Germain des Près". D’autant plus crédible, que par moment l’endroit vibre au son d’une grosse caisse : le groupe Raoul Petite se prépare dans la salle du bas pour son concert qui débutera trois heures plus tard. La centaine de personnes présente n’en a cure. Voisins venus par curiosité, fans de l’auteur de J’suis Snob, amateurs plus large de chanson française, la foule est bigarrée et appliquée, certains prendront même des notes pendant toute la conférence.

Serge Hureau, directeur du Hall de la chanson est aux anges : "On s’est rendu compte il y a quelques années que l’on connaissait très peu l’univers de la chanson. On n’est pas très savant sur la musique dite populaire. Notre but est de créer un véritable lieu de référence avec des expos, des spectacles et des formules comme ça, des conférences-concerts. On n’entend pas assez les chansons du passé chantées par des gens contemporains, des artistes proches de nous." Pendant une heure et demie, le duo retrace la carrière de Boris Vian, météorite décédée avant ses 40 ans mais qui laissa entre 500 et 600 chansons. Olivier Nuc donne les références, JP Nataf rebondit. Une discussion, plus qu’un cours, s’installe entre les deux hommes.

"une star 20 ans plus tard"

 

    Pour le journaliste, ce fan de jazz était avant tout un romancier contrarié. A leur publication, L’écume des jours ou L’herbe rouge ne rencontrent que peu de succès. Pire, J’irai cracher sur vos tombes (pastiche de roman noir américain) crée scandale. Les ligues de vertus s’abattent sur l’auteur. Dépité, Vian décide alors de se replier vers la chanson qu’il pratiquait jusqu’alors en dilettante. A 31 ans, en 1951, il passe le concours de la Sacem. Trois ans plus tard, il s’attire à nouveau les foudres d’une société française qui n’imagine pas encore la décolonisation. Au moment de la guerre d’Indochine, il écrit le Déserteur. "Boris Vian n’était pas à proprement parlé antimilitariste, explique JP Nataf, mais violemment pro-civil." Pour preuve, il interprète son premier titre de la soirée : Le politique. Une chanson quelque peu oubliée du répertoire, un véritable "coup de gueule, écrit d’un jet, un court métrage en fait".

Grand découvreur de talents, Jacques Cannetti le pousse alors à interpréter ses propres titres sur scène. "Il était très statique, mal à l’aise sur scène, le public le trouvait agressif" commente Olivier Nuc. JP Nataf renchérit : "C’était un non-chanteur comme le sont Lou Reed ou Neil Young. Vingt ans plus tard, il aurait été une star. Je suis sûr qu’il avait même plus de bagage technique qu’Alain Souchon, mais à l’époque le secteur est dominé par de vrais interprètes". Il ne se produira que pendant quinze mois. Un oedème pulmonaire l’empêchera de continuer. Sa santé fragile l’avait déjà contraint à laisser de côté sa trompette.

L’inventeur du "tube"

 

 Sans jamais se décourager, Boris Vian se lance alors dans une vraie carrière de parolier, avec urgence, la plupart de ses chansons semblent crayonnées sur une nappe de restaurant. Beaucoup n’ont jamais été interprétées. JP Nataf exhume l’une d’entre elle : La ballade du lapin. Un titre caustique sur un repas gargantuesque à l’heure où l’abbé Pierre (déjà !) protestait contre l’indigence d’une partie de la population. "Il y a au moins quarante titres que j’aimerais reprendre dans ce répertoire vierge, avoue le guitariste chanteur. Il y a une telle musicalité, un tel swing. Vian ne s’attache pas forcément aux rimes mais le rythme est là, toujours."

En Parallèle, l’écrivain frustré se défoule dans les colonnes de Jazz Hot, il défend passionnément le be-bop, dénigré à l’époque, repère très tôt un jeune très prometteur, Serge Gainsbourg. Il va même modifier le vocabulaire en usage. Avant son passage, un succès public était un "saucisson" grâce à lui, nous parlerons maintenant de tube ! Avec son complice Henri Salvador, il va même être un des premiers a popularisé le rock’n’roll en France, mais à sa façon, tout en parodie et en humour.

JP Nataf conclue cet échange par un On est pas là pour s’faire engueuler fédérateur. Les réactions sont chaleureuses à la sortie. Carole, enthousiaste, a eu le plaisir de redécouvrir un auteur injustement délaissé. Christelle salue la prestation de l’ex-Innocent, son père ne tarit pas d’éloge sur le principe même de conférence-concert. Un exercice pas évident, mais bien maîtrisé par le duo. Serge Hureau l’a promis, vu le succès rencontré, la prochaine aura lieu dans une plus grande salle.