JE SUIS YURI BUENAVENTURA
Paris, le 11 avril 2001 - Le mois dernier, Yuri Buenaventura, ce Français d'adoption qui porte le nom de son île natale, présentait son dernier album Yo soy.
L'artiste colombien s'affirme dans un deuxième album
Paris, le 11 avril 2001 - Le mois dernier, Yuri Buenaventura, ce Français d'adoption qui porte le nom de son île natale, présentait son dernier album Yo soy.
Il est loin le temps où Yuri Buenaventura apparaissait sur scène en costume-cravate, le cheveu légèrement ondulé et gominé, enchaînant consciencieusement quelques pas de danse. Aujourd’hui, Yuri s’habille toujours de noir, mais il préfère le t-shirt-pantalon de toile. Il porte le cheveu ultra-court et ne cherche plus à cacher sa timidité derrière un regard de braise. Le 10 mars dernier, sur la scène de l'Usine à Istres, où le chanteur présente son nouvel album, ses pas de danse évoquent davantage les acrobaties d’un Johnny Clegg. Sa musique s’assaisonne d’impros et de solos. C’est comme si Yuri avait souhaité que les cuivres, toujours aussi tonitruants et aussi performants, brillent moins. Comme pour se rapprocher de l’essentiel : les racines de la salsa. «La salsa vient du son du tambour et de la soif de liberté des esclaves africains, nous raconte-t-il. Elle est née du chagrin des Africains, des génocides en Amérique, de la marginalité des Latinos aux USA. C‘est pour ça que la salsa est nécessairement « sociale ». Aujourd’hui, peut-être à cause de certains désirs commerciaux, elle perd son aspect social. Mais, à mon avis, c’est sa légitimité qu’elle risque surtout de perdre comme ça. Je n’ai rien contre Compay Segundo, par exemple, mais c’est seulement une toute petite partie de la culture cubaine. A Cuba, dans chaque village, tu peux rencontrer de grands musiciens qui déterminent chacun une part de cette culture. Si une grosse industrie du disque ou un grand cinéaste passe par-là, il crée un phénomène planétaire. Il faut écouter les choses pour ce qu’elles disent à notre cœur, découvrir ce qu’il y a à l’intérieur, pas parce qu’elles représentent un phénomène. »
Les congas, les trompettes, la voix percutent. C’est vrai que, à côté, Compay Segundo fait de la danse de salon. La surface du public ondule. Les bassins se balancent. Yuri sourit et les filles prennent chaud. On se croirait sur une plage au Brésil. On dirait une pub pour une boisson désaltérante, mais ça raconte l’histoire de José Molina, coupeur de canne à sucre qui se lève à quatre heure du matin pour rejoindre son champ. Yuri sourit et les messages passent. Dans un français latino-cabotin, le chanteur colombien invite les garçons à danser avec les filles, en expliquant qu’il faut « prendre une culture dans son entier ». Les cours de salsa de la région se déchaînent et l’un des agents de sécurité du concert décide d’initier sa voisine qui crie : « Quelle bonne aventure ! Quelle bonne aventure ! » au moment même où Buenaventura entonne le Ne me quitte pas qui l’a rendu célèbre en France. Quand on s’étonne de la tournure légère qu’il a fait prendre à la chanson de Brel, comme s’il lui tapait sur l’épaule en disant « Allez, Jacquot, c’est pas une raison pour faire la gueule ! », Yuri rétorque que c’est la salsa qui est comme ça. Elle positive, elle allège le chagrin. « Chanter en français, c’est montrer au public l’intimité qui me lie à la France. C’est d’abord dans les livres d’histoire que j’ai aimé votre pays : la Révolution française, les Droits de l’Homme, les conquêtes des femmes et cette espèce de vague, de souffle qui revient tout le temps chez vous, qui réclame la justice, l’équilibre, même si vous êtes également protagonistes de certaines tragédies comme l’esclavage. Ensuite, les liens, ce sont les beaux paysages de Bretagne, de Méditerranée, de Normandie. Ce sont ces choses très intimes que l’on partage avec la planète et qui nous y attachent. En France, je me sens respecté et aimé. »
Dans Yo soy, la France apparaît tout d’abord dans l’adaptation instrumentale de la musique des Demoiselles de Rochefort, film mythique des années soixante signé Jacques Demy et Michel Legrand pour la musique. « C’est un copain qui m’avait montré ce film à l’époque où je faisais la manche dans le métro parisien. J’ai adoré cette histoire légère et positive où la vie est fluide… ce qui est rare chez vous, les Français, qui mettez une grande dose de réflexion et de pessimisme dans tout ! » Deuxième évocation, indirecte cette fois, de la belle Catherine (Deneuve, co-héroïne des Demoiselles), la dédicace de l’album Yo Soy à Marianne, emblème de la France, représentée par le visage de l'actrice dans les années 90. « Tu sais, les maisons de disque, elles veulent toujours que tu remercies quelqu’un sur le livret. Moi, je dois dire merci à toi pour l’interview, à tous les publics qui sont venus me voir, à ceux qui m’ont donné des pièces dans le métro, aux contrôleurs qui ne m’ont pas donné d’amendes… c’est impossible ! Alors je le dédicace à Marianne : « A toi, sublime femme qui sème la Terre, guidée par un soleil qui se lève pour guider ton peuple ». Les gens croient peut-être que je le dédie à ma petite amie qui s’appellerait Marianne! Mais d’ailleurs, la Marianne de la France, c’est ma petite amie ! ».
Ultime clin d’œil à la France en forme de coup de chapeau déguisé à deux de ses meilleurs chanteurs actuels : un duo avec Faudel, Salsa Raï, et une reprise d’un titre de Manu Chao, Mala vida. « Avec Faudel, on s’est croisé un jour dans le couloir d’un studio. On a fusionné nos deux groupes pour improviser avec un piano, la percussion, un violon… Et, l’année dernière, on a décidé de mettre cette maquette chacun sur son dernier album. Pour Manu, c’est différent. Il a fait une chose fantastique pour l’Amérique latine il y a quelques années, environ quinze ans. A cette époque, en Colombie, il n’y avait presque pas de rock. Contrairement à la salsa qui se joue en frappant sur n’importe quoi et qui est donc très populaire, le rock demande du matériel électrique. C’était inaccessible pour la majorité des jeunes. En plus, on pensait que le rock ne pouvait se chanter qu’en anglais et beaucoup n’avait pas reçu cet enseignement-là. Et puis, Manu Chao est arrivé avec la Mano Negra et il a joué du très bon rock en chantant en espagnol. Il a vraiment fait naître les groupes de rock latino-américains. »
Et, si Elton John a droit également à sa reprise dans Yo soy, via Tu cancion alias Your song, c’est plutôt pour faire plaisir aux jeunes Colombiens qui adorent le chanteur anglais. Et leur donner envie d’écouter l’ensemble de l’album. Parce que, comme lorsqu’il interprète Ne me quitte pas de Brel ou Une belle histoire de Fugain, Yuri Buenaventura n’a finalement qu’un objectif : faire connaître au monde la culture et la situation politique de son pays. Il assume parfaitement son rôle de porte-drapeau de la cause latino-américaine : « Les artistes sont là pour apporter ce qui fera le poids contre les armes.»
Le tout, dans un français parfait, mais seulement lorsque Yuri est en coulisse. Car, dès qu’il se retrouve sur scène, le discours se fait trop rare et reste sur-teinté d’accents latino. Du coup, le public, s’il ne comprend pas les chansons en espagnol, passe à côté du « message social ». Ce soir-là, à la sortie de L'Usine, les danseurs de salsa semblaient davantage concernés par leur propre sueur que par celle des paysans colombiens coupeurs de canne à sucre.
Karine Bonjour
Yo Soy (Mercury).
L'Usine en ligne
La salsa en Provence Côte d'Azur