Danse et indépendances

Depuis le début 2005, une série de rééditions vient rappeler à nos bons souvenirs le virage relevé des années 70, quand la nouvelle génération des musiciens africains prenait la tangente, entre influences psyché-funk et réminiscences de ses traditions. Des bandes vraiment originales en adéquation avec le contexte politique d’alors.

Quand un vent de liberté souffle sur la musique africaine

Depuis le début 2005, une série de rééditions vient rappeler à nos bons souvenirs le virage relevé des années 70, quand la nouvelle génération des musiciens africains prenait la tangente, entre influences psyché-funk et réminiscences de ses traditions. Des bandes vraiment originales en adéquation avec le contexte politique d’alors.

 

 Fidèle à son habitude thématique, la maison de disques NetWork propose sans doute la meilleure introduction au sujet avec le volume baptisé Golden Afrique, double album qui couvre la période 1971-1983. Au programme de cette sélection impeccable, certains artistes phares et d’autres plus rares, tous sortis du formidable creuset de l’Afrique de l’Ouest post-coloniale. Dès l’ouverture, Les Jaloux Saboteurs du chantre tchadien Maître Gazonga enregistré dans l’une des places fortes du marché africain d’alors, à Abidjan, le ton est donné : guitares éclectiques et rythmes magnétiques pour porter des paroles sarcastiques, voire engagées. Mais sans jamais oublier de faire danser le corps… Pour s’en convaincre, Amie en a fait suer des millions. C’est encore des studios de la capitale ivoirienne que ce titre sortit avant de faire chavirer la planète. La Guinée et le Sénégal étaient aussi très actifs, accueillant des musiciens exilés dont la diva sud-africaine Myriam Makeba et finançant surtout par le truchement de diverses institutions des orchestres, viviers de jeunes talents qui rassemblent tous ceux ou presque qui comptent depuis trente ans.

Son panafricain

Le Bembeya Jazz National, l’Orchestra Baobab, les Ambassadeurs du Motel, le Rail Band, l’Etoile de Dakar ou encore les Super Eagles sont les emblèmes d’un renouveau où l’électricité met le feu à la piste de danse, avec bien souvent pour sources d’inspiration des idiomes cousins américains dont ils offrent des versions tropicalisées. Tous sont là. Il y a aussi le superbe instrumental Kadia Blues de l’orchestre de la Paillote, du nom du lieu qui organisait les parties jusque tard dans la nuit, les Amazones de Guinée, ensemble 100% féminin dont l’album Au coeur de Paris est un classique plébiscité dans les chaudes soirées de la capitale… Ecoutez donc leur Samba qui n’a pas pris une ride. Il y a le Super Mama Djombo, héritier de l’indépendance de la Guinée-Bissau en 1974. Le parcours de ce groupe est emblématique des espoirs (bientôt déçus) de cette révolution en marche. On y clame en kriol local la réconciliation nationale. Et si les chanteurs font le show, ce sont les guitares qui font la fête, dans tous les sens, dans ces formations qui dépassent le cadre national, pour élaborer un son panafricain. L’heure n’est plus seulement aux louanges griotiques, mais à une réelle conscience politique, qui peut se lire entre les lignes de textes ancrés dans le quotidien. Un véritable âge d’or, comme l’indique le titre de cette compilation qui dresse un bon tour d’horizon du Nord au Sud, d’Ouest en Est, avant le plomb des années 80.

Bombes afro-funk

Tendance plus pointue et psyché, la compilation proposée par le label Luaka Bop (fondé par David Byrne, ex-leader de Talking Heads) devrait ravir les amateurs chevronnés. On y retrouve les Super Eagles pour un Love’s A Real Thing, inoxydable fusion d’afro funk. Manu Dibango et Sorry Bamba sont aussi là, mais c’est du côté des moins connus, ou disons plutôt des plus oubliés, qu’il faut se pencher. Enregistré à Abidjan en 1975, Keleya de Moussa Doumbia montre l’influence de James Brown dans la sous-région, rehaussée de claviers déjantés. Dans un registre plus caribéen, Guajira Van du Number One de Dakar accueille les sonorités traficotées de l’épique époque, guitares chaloupées et percussions façon clave. La palme revient néanmoins au Better Change Your Mind du Nigérian William Onyeabor et plus encore au prophétique Allah Wakbarr de Ofo & The Black Company. Des bombes d’afro-funk pour faire exploser la piste de danse, avec des paroles engagées qui annoncent les lendemains moins enchantant. Et toujours autant de guitares en furie ! Décidément, l’afrobeat de Fela n’était pas le seul à faire des étincelles dans ce chaudron. Un label anglais ressort ainsi de l’oubli les Béninois de l’Orchestre Poly-Rythmo, qui ouvrait la sélection de Luaka Bop. Sur The Kings Of Benin, fort justement sous-titré “Urban groove 1972-80”, les musiques traditionnelles telles que les gotahoun et gogbahoun sont traversées d’influences afro-américaines, funk et soul en tête, mais aussi d’accents plus latins. Francis Bebey l’érudit

Cette valorisation du matériau originel, transcendé à la faveur d’une ouverture aux courants majeurs du changement d’ère, marque les productions africaines qui vont résister à l’usure du temps. Un état d’esprit qui irrigue l’oeuvre du Camerounais Francis Bebey, auteur et compositeur mais aussi poète et conteur, dont la mémoire est honorée par le premier volet d’Original Masters. Cette sélection qui commence par le signifiant Stabat Mater Dolorosa souligne le point de vue de cet érudit, des sentiments partagés entre les rythmiques de Douala et les classiques de Paris, entre ses racines plantées dans son coeur et ses antennes branchées sur les mouvements du monde. Pas une fausse note, que des bémols (Si les Gaulois avaient su…, Travail au noir) avec des pointes d’humour et un savoir-faire danser (cette diablesse d’Agatha). Question danse, le mbalax sénégalais en a remué plus d’un. Youssou N’Dour en est la figure tutélaire, un talent dont témoigne le disque que lui dédie la collection Rough Guide. Sur cette compilation centrée sur le début des années 80, l’époque où il n’est pas encore la star planétaire mais la voix haut perchée de l’Etoile de Dakar, on l’y entend au sommet, porté par une section de cuivres, des tambours aux accents détonants et toujours ces guitares qui, nourries des sons de la radio nationale, concoctent des formules sans aucun équivalent.

Golden Afrique Vol. 1 (NetWork/Harmonia Mundi) 2005
World Psychedelic Classics 3 / Love’s A Real Thing (Luaka Bop/V2) 2005
TP Orchestre Poly-Rythmo The Kings Of Benin (Soundway/Nocturne) 2005
Youssou N’Dour & Étoile de Dakar Mbalax Roots (Rough Guide Music/Harmonia Mundi) 2005
Francis Bebey Original Masters Vol. 1 (Weedoo Music/Nocturne) 2005