LES CAURIS DE LA MUSIQUE TOGOLAISE

Alors que se déroulait au Zénith de Paris la cérémonie des Victoires de la musique, Lomé, la capitale du Togo, se passionnait pour la première édition des Cauris. L’occasion de découvrir les meilleurs artistes du plus petit pays d’Afrique de l’Ouest.

Les artistes togolais récompensés

Alors que se déroulait au Zénith de Paris la cérémonie des Victoires de la musique, Lomé, la capitale du Togo, se passionnait pour la première édition des Cauris. L’occasion de découvrir les meilleurs artistes du plus petit pays d’Afrique de l’Ouest.

Elle n’était pas montée sur scène à Lomé depuis dix ans: Adjobi Dossou attendait avec impatience le retour d’Afia Mala, qui profitait de ce premier gala de la musique togolaise pour présenter au public son nouvel album, Plaisir, sorti voici une quinzaine jours à Paris. L’occasion également de découvrir des artistes, qui, à l’instar de leurs voisins béninois, ont peu d’échos dans le grand concert de la «sono mondiale».

Cinquante kilomètres séparent les deux extrêmes de la façade maritime de ce pays de 3,5 millions d’habitants. A 500 mètres de la frontière avec le Ghana, se dresse l’hôtel du 2 Février. Au 36e étage de cette tour, la plus haute d’Afrique de l’Ouest, sont installés les plateaux de TV2, nouvelle chaîne de télévision privée. Au 2e étage, dans le salon Fazao qui a accueilli le sommet France-Afrique en 1986 et celui de l’Union africaine en l’an 2000, Hervé Pana a organisé cette première édition des Cauris.

Clin d’oeil involontaire, cette manifestation se déroule au même moment que les Victoires de la musique à Paris. Et, comme à Paris, les médias nationaux sont mobilisés pour retransmettre l’événement. Ici, France 2 s’appelle TVT (Télévision togolaise); France Inter, Zéphyr FM dont le site Internet relaie la soirée en direct. Mais, contrairement au Zénith où le public est essentiellement composé de professionnels, on a assisté à un grand dîner de gala, à 30 euros l’entrée, soit deux semaines de salaire au Togo.

Trois invitées d'honneur ont fait le déplacement de Paris. Afia Mala, la «princesse de Vogan», qui fait son grand retour au pays, Monique Seka, reine ivoirienne de l'Afro-zouk, dont le Missouwa a fait danser tout le continent voici une dizaine d'années, et 'Sheila', ou plutôt Cheela, une jeune métisse indo-zaïroise dont le premier opus, sorti voici deux ans, Elu Palala, a révélé aux amateurs de déhanchements suggestifs que Tshala Muana, la reine du mutuashi, avait enfin trouvé une digne héritière.

Ces trois «Drôles de dames» ont rythmé une soirée qui traînait quelque peu en longueur, défaut inhérent à toute cérémonie de ce genre. 21h45: A Paris, Lynda Lemay reçoit pour sa quatrième nomination le prix de la meilleure interprète de l’année. Au même moment, à Lomé, il est 20h45 et les Cauris devraient démarrer. En fait, c’est plutôt l’heure de servir les entrées. Car la télévision, sensée prendre l’antenne à ce moment-là pour trois heures de retransmission, diffuse un vieux concert de Michel Sardou avant de lancer le direct. A Lomé, c’est le promoteur qui paye pour la retransmission et non le contraire comme en France. Mais comme le car régie de la télévision connaît des problèmes techniques, l’organisateur fait patienter les convives et meuble comme il peut. Finalement, c’est avec une heure de retard que démarrent les Cauris.
C’est avec un seul PC que toute la cérémonie est pilotée. Les enchaînements vidéos ont été réalisés avec cet ordinateur et la télévision nationale s’y est connectée afin de capter le signal et retransmettre les images numérisées par les promoteurs de Cauri Consulting. Musique générique, présentation des trophées, mot de bienvenue, discours du ministre de la Culture, remise d’un premier prix aux Kara Boys (celui du meilleur groupe chorégraphique), d’un second, à l’église St-Jean de Dieu comme meilleur groupe de chorale, avant d’arriver après une heure à l’incontournable trophée d’hommage. Alors qu’à Paris, il est attribué à Serge Reggiani, à Lomé, il revient à Aho Adetsi Amegan (un homme de 80 ans, qui lui aussi se déplace avec difficultés) pour les 300 chansons qu’il a écrites. La jeune Cheela, elle, est «Très fâchée». Reprenant un tube des années 8O de sa compatriote Abeti Masikini, elle interprète en avant-première le titre phare de son prochain album, réalisé à nouveau par Alain Kounkou.
Jimmy Hope, le Johnny Hallyday national, arrive sur scène en jean et «santiags» avec son éternel chapeau de cow-boy. Avec son groupe (un classique combo basse, guitare, batterie), il enchaîne les légendaires What I Said, Knocking on Heaven’s Door et fait monter la tension dans une salle de VIP’s qui retrouvent la ferveur de leur jeunesse, dans les années 60.

Alors que Tiken Jah Fakoly recevait la Victoire de l’album reggae/ragga/world, son «petit frère» Ras Ly, rencontré chez lui à Odienné, en Côte d’Ivoire, était le grand vainqueur de cette soirée. Même coiffure que Tiken Jah à ses débuts avec de courtes dreadlocks, même tenue vestimentaire en bogolan, un tissu du nord de la Côte d’Ivoire, et mêmes textes virulents contre le pouvoir en place. Comme Tiken Jah, Ras Ly est la voix des sans-voix. Meilleur espoir de l’année, tube de l’année avec sa chanson Agbetiko, Ras Ly s’est ainsi vu récompensé après avoir été empêché de se produire le 20 décembre dernier dans la ville natale du président Eyadema. Ce soir-là, ses deux Cauris avaient un goût de revanche.
«Je suis tellement enjaillé, encheketé, il faut laisser parler librement l’artiste». La joie sincère de Ras Ly faisait plaisir à voir.
En ces temps où le mot Paix est au centre de toutes les préoccupations en Afrique de l’Ouest, cette consécration n’avait rien d’anodine.