Florent Pagny
Châtelet-Les Halles est, en plein centre de Paris, une des plus grandes stations de métro : trois lignes de RER et quatre lignes de métro qui donnent sur un immense centre commercial souterrain. Grouillant d’humanité et parfaitement inhumain, carrefour de détresses, d’ennui, de solitude et de consommation effrénée, c’est aussi le centre - et le titre - du nouvel album de Florent Pagny, deux ans après Récréation et trois ans après Savoir aimer. Disque carrefour, aussi, avec le ban et l’arrière-ban de la jeune variété française à succès.
Entre métro et grands sentiments
Châtelet-Les Halles est, en plein centre de Paris, une des plus grandes stations de métro : trois lignes de RER et quatre lignes de métro qui donnent sur un immense centre commercial souterrain. Grouillant d’humanité et parfaitement inhumain, carrefour de détresses, d’ennui, de solitude et de consommation effrénée, c’est aussi le centre - et le titre - du nouvel album de Florent Pagny, deux ans après Récréation et trois ans après Savoir aimer. Disque carrefour, aussi, avec le ban et l’arrière-ban de la jeune variété française à succès.
Au centre du livret, il y a une sorte de plan du métro (assez ingénieux, d’ailleurs) pour indiquer, chanson par chanson, qui sont les musiciens et producteurs de Châtelet-Les Halles. Ça ressemble au Who’s who des musiciens de studio français : Laurent Vernerey, Olivier Schultheis, Didier Bennarosh, Arnaud Dunoyer de Segonzac, Jean-Yves d’Angelo... Quant à la liste des auteurs et compositeurs de ce disque, elle est impressionnante : Pascal Obispo, David Hallyday, Art Mengo, Lionel Florence, Gérard Presgurvic, Didier Golemanas... Cela ressemble à un panoramique sur les puissants de la variété d’aujourd’hui, nés entre le cuir de Johnny et le lyrisme de Queen.
On comprend donc qu’avec le soutien de tous ces peintres en majuscules, le nouvel album de Florent Pagny n’est pas précisément un recueil de miniatures. Ainsi, il pousse de sa voix forte de variété française post-hallydesque pour célébrer La Légende de Carlos Gardel (avec une guitare flamenca un peu incongrue) ou sature le ciel de grands cris humanistes pour Un mot de Prévert. C’est cueillir la pâquerette à la tracto-pelle, allumer un cierge au lance-flamme : inattendu mais efficace, pertinent par outrance. Car Florent Pagny, tout auréolé de sa gloire de « meilleur chanteur français » (comprenez : qui chante très fort et très juste), a perdu l’habitude de murmurer, de s’épancher avec discrétion. Il y a chez lui une passion du grandiose et, dans les instants les plus modestes, du grand, tout simplement.
Châtelet-Les Halles est donc un album de puissance. Ce n’est pas, comme chez Johnny, une affaire de muscles et de sueur, mais plutôt une question d’estomac et de poitrail : une force têtue, opiniâtre, qui affirme sans doute plus que la seule passion de la liberté et des sentiments vigoureux. Il y a aussi chez Pagny des cicatrices affichées, des vieilles douleurs avouées, de lentes rancunes. Alors, il chante ce qu’est être enfermé, être seul, être trahi, être méprisé, avec la conscience valeureuse d’être malgré tout debout. A trente-neuf ans à peine, il chante en aîné, comme Reggiani à cinquante ans ou Ferré à soixante, persuadé de n’être survivant que parce que son cœur a continué à vouloir aimer. Le personnage que lui construisent ses paroliers n’embrasse pas le mythe, au contraire de Johnny qui se donne de la Harley Davidson ou de la mystérieuse amante étrangère dans ses clips pour parler les douleurs du quinquagénaire ordinaire. Pagny chante avec le regard des héros à la dernière image des films de Ridley Scott, plus hallucinés d’être encore debout que des dangers traversés - héros qui n’affirment jamais la conscience d’être héroïques.
Ce nouveau disque se consacre donc à des sentiments musqués, à des valeurs fermement affirmées : énième chanson française intitulée La Solitude (et une des plus dignes), Comment je saurai qui avoue une courte parenté avec Goldman, L’Air du temps avec son grand mouvement romanesque à l’italienne, Dix choses qui sonne étrangement badin après « trois choses que j’aime, une que je crains » de Le Forestier sur son nouvel album (dans la chanson Les Chevaux rebelles, écrite par Jean-François Deniau)...
La voix de plus en plus soigneusement éraillée de Florent Pagny est mise en scène avec une grande diversité de couleurs et de climats, dans des teintes toujours actuelles : un peu d’électronique ici, une guitare acoustique très entourée là, des cordes éparpillées çà et là... Album de maturité trois ans après Savoir aimer, Châtelet-Les Halles est riche des atouts évidents pour atteindre au succès, mais sans l’insolence vaguement nouveau riche que prennent parfois les disques taillés pour la réussite (comme chez Obispo ou Zazie). Affirmation de force et de compassion à la fois, soucieux des blessures du monde autant que d’introspection, ce disque se rêve immense. C’est peut-être trop d’ambition affichée (il y a tant de personnalités et d’ego au générique) mais il y a quand même là un très bon disque de variétés.
Florent Pagny, Châtelet Les Halles (Mercury-Universal) 2000