L’héritage d’Ali Farka Touré

Il y a une année, le 7 mars 2006, disparaissait le guitar hero malien, Ali Farka Touré. Dans la petite ville de Niafunké, dans la région de Tombouctou, Ali Farka Touré était plus qu’un musicien. Maire, notable, cultivateur, bienfaiteur, il a aussi redonné aux jeunes la fierté d’appartenir à cette région aride et enclavée. Reportage.

Anniversaire

Il y a une année, le 7 mars 2006, disparaissait le guitar hero malien, Ali Farka Touré. Dans la petite ville de Niafunké, dans la région de Tombouctou, Ali Farka Touré était plus qu’un musicien. Maire, notable, cultivateur, bienfaiteur, il a aussi redonné aux jeunes la fierté d’appartenir à cette région aride et enclavée. Reportage.

Après une traversée de plus de 24 heures en pinasse, les grosses pirogues du fleuve Niger, Niafunké apparaît enfin, modestement calée entre les eaux grises du fleuve et le vert clinquant des rizières alentour. Située à 200km au sud de Tombouctou, au Mali, Niafunké, la ville du guitariste Ali Farka Touré est manifestement enclavée. Aucune route fiable, des trajets hasardeux en bateau et de toute façon, des heures de trajet pour y arriver et en repartir. La ville est faite de sable, de soleil et de vent. De musique aussi.

Attaches fortes

Ali Farka Touré s’y sentait chez lui et n’a jamais souhaité s’installer à Bamako. Lui qui avait inscrit sur sa carte de visite "musicien-cultivateur" est effectivement connu ici pour ses centaines de têtes de bétail (bœufs, moutons, chèvres…), ses hectares cultivés, ses rizières et ses arbres fruitiers. Aujourd’hui, Bila, l’aîné de la descendance d’Ali Farka, gère ce patrimoine. Dans cette région songhaï et peule, le bétail et les terres représentent richesse et influence.

Dans la cour de la maison familiale, à Niafunké, Bila, entouré des "jeunes de la maison", pris en charge par la concession d’Ali Farka, boivent le thé. Ils répètent l’amour d’Ali pour Niafunké : "Il n’a jamais souhaité aller vivre à Bamako, il a préféré vivre ici en famille. Tous ses enfants étaient à l’école locale de Niafunké. La culture des trente hectares de riz permet une embauche locale". Ce choix de vie, ainsi que l’aura de sagesse et de simplicité d’Ali Farka, lui confèrent une image bien particulière dans la région.

Au cours de l’année 2004, les citoyens de Niafunké ont poussé le "musicien-cultivateur" à devenir maire de cette commune de 30000 habitants.

Une tâche qu’il a accomplie pendant vingt mois, du 7 juillet 2004 au 7 mars 2006, date de son décès à Bamako. Le nouveau maire, Samba Bâh, dresse la liste des actions sociales d’Ali Farka : "Il voulait faire de Niafunké la Suisse de l’Afrique. Il a donc activement œuvré au reboisement de la ville et planté plus de 13000 jeunes arbres, mais aussi favorisé l’irrigation, l’assainissement, appuyé les associations de femmes, de jeunes…Mais la suite est difficile, car nous n’avons pas les mêmes moyens. Quand il voulait quelque chose pour Niafunké, il mettait la main à la poche, sans hésiter. Dans toutes ses actions, le social primait".  En effet, même chez lui, Ali Farka a mis à profit la tradition ouest-africaine qui encourage celui qui a réussi, à prendre en charge la scolarité de jeunes de la famille ou du quartier. Ainsi, chaque soir dans la cour familiale, des petits font leurs devoirs et des lycéens travaillent sur un tableau noir leurs équations mathématiques à la lumière d’un néon.

Fierté

Plusieurs jeunes insistent sur le rôle de "modèle" d’Ali Farka pour la ville de Niafunké. Car au-delà de son aura, Ali Farka, par sa renommée internationale, a donné une existence à cette ville perdue au milieu du Sahel. "Ali Farka a apporté la fierté à Niafunké. Il nous a permis d’exister, d’être fier de notre région, de ses richesses naturelles et culturelles" raconte Aly Magassa, musicien d’Ali Farka, confortablement installé chez lui, sur une natte multicolore. En effet, en explorant avec sa guitare les rythmes traditionnels du répertoire Songhaï, Peul, Touareg, ou ceux de la musique des génies du fleuve, le Ghimbala, Ali Farka a ré-ouvert une voie musicale infinie, celle de la tradition.

Chaque soir, à 18 heures, après le travail aux champs, les jeunes générations de "musiciens-cultivateurs" se retrouvent sur le parvis de l’ancienne maison d’Ali Farka Touré, face au fleuve Niger. Ils y jouent des morceaux appris par le grand frère Afel Bocoum, neveu d’Ali Farka et désigné comme le successeur du guitar hero.

"Afel a été formé par Ali Farka et Afel nous a lui-même formé à la guitare et à la calebasse. Il est aussi exigeant avec nous qu’Ali pouvait l’être avec lui. Mais de cette façon, lorsqu’il est en tournée, Afel est quand même-là et nous jouons à sa place".

La formation "Alkibar Junior", prend ainsi la relève d’"Alkibar", le groupe d’Afel Bocoum. Tous les jeunes musiciens de Niafunké insistent sur leur profond désir de prolonger l’œuvre d’Ali Farka Touré, et "d’aller plus loin encore", afin de faire connaître les rythmes du fleuve et ceux du désert au reste du Mali et du monde.

Plus tard, le jour baisse sur "le jardin" d’Ali Farka, les jeunes musiciens se dispersent dans une ambiance bon enfant. L’un d’eux traduit une blague bien connue ici, et explique, hilare : "On ne peut pas mourir à Niafunké. Il y a le fleuve Niger qui te donne le bon poisson, le bon riz, il y a la bonne musique, il y a tout ici, on ne meurt pas, là !" Ali Farka Touré, dont l’esprit n’a pas voulu quitter Niafunké, rigole bien aussi.