Michel Sardou

Avec dix chansons dont les mélodies ont été écrites par Michel Fugain, Michel Sardou revient à la chanson après une année consacrée au théâtre. Depuis quelques jours sur les ondes françaises, Cette chanson-là, hymne sentimental adressé à un ancien amour, ouvre la voie à Français, un album (paru chez Trema) aux couleurs plus harmonieuses que les disques précédents de Sardou : l’imprécateur s’apaise, le misanthrope devient aimant.

Le misanthrope apaisé

Avec dix chansons dont les mélodies ont été écrites par Michel Fugain, Michel Sardou revient à la chanson après une année consacrée au théâtre. Depuis quelques jours sur les ondes françaises, Cette chanson-là, hymne sentimental adressé à un ancien amour, ouvre la voie à Français, un album (paru chez Trema) aux couleurs plus harmonieuses que les disques précédents de Sardou : l’imprécateur s’apaise, le misanthrope devient aimant.

Depuis quelques lustres, les disques de Michel Sardou apportent régulièrement au paysage musical français des turbulences en même temps qu’un calme impavide : prises de positions abruptes - et volontiers « scandaleuses » - sur la justice, l’enseignement ou la situation sociale du pays, et par ailleurs la permanence d’un genre de chanson sans surprise. Avec Français, son nouvel album, Sardou inverse l’effet avec un aggiornamento musical parfois surprenant et une modération nouvelle dans le ton. Écrit et réalisé avec Michel Fugain, Français montre un Sardou plus soucieux de ses ressemblances avec son environnement que de passion pour la dissidence, plus serein face à son époque, plus soucieux d’aimer que d’affronter. Le misanthrope de la chanson français apparaît moins solennel, moins noir et blanc, moins sévère.

Le père de La Maladie d’amour n’a pas, pour autant, cédé à la contagion actuelle du trip hop ou à la séduction de l’électronique, et on retrouve en maints passages de son nouveau disque son goût pour l’hymne, le chant de marche, l’expression galvanisée de convictions puissantes. Ainsi, la chanson Français, qui ouvre l’album et lui donne son titre, assène les certitudes du cœur de Sardou (« J’aime les Français/Tous les Français/Même les Français que je n’aime pas ») avec une grande fermeté de la voix et une architecture tout en volumes, en guitare électrique et en sonorités celtiques. Affirmation identitaire en majuscules mais sans la hargne qu’on a pu lui connaître sur ce thème (comme dans Les Ricains, par exemple), en même temps qu’une manière de rajeunissement dans la forme. Sardou a adopté un compromis habile en faisant appel à Michel Fugain : les deux chanteurs ont débuté à peu près à la même époque, dans la seconde moitié des années 60, mais l’ancien fondateur du Big Bazar a toujours été à l’affût de sonorités et de formes nouvelles : leur culture d’origine est fondamentalement la même, avec des nuances d’accent et de vocabulaire. Par exemple, Fugain apporte à Pense à l’Italie son habileté pour le vol vacances, en célébrant les charmes de la Péninsule avec des trompettes entre mariachi et calypso (elles ressemblent d’ailleurs beaucoup à celles du Late in the Evening de Paul Simon), ou la ductilité de sa plume à On se reverra, qui assume les clichés du tube pour bal populaire tout en les dépoussiérant rapidement...

Ainsi épaulé dans la construction d’un disque plus ouvert, Sardou peut lancer un grand hymne à la Corse qui préserve le caractère foncièrement continental et non-méditérranéen de son expression : çà et là quelques voix au timbre corse, et partout les manières cinématographiques qui ont fait la gloire, par exemple, des Lacs du Connemara. Et, malgré le contexte chargé, il ne s’accorde aucune petite phrase dérangeante, aucune allusion provocatrice. Corsica est alors facilement promis au succès, de même sans doute que La Bataille, qui devrait être l’apogée de ses concerts au Palais Omnisport de Paris-Bercy à partir du 2 janvier prochain : Sardou promet dans la presse du grand spectacle avec figurants, véhicules militaires sur scène et effets pyrotechniques. Si ce travelling historique manque de grâce (l’exercice mécanique des rimes en « aille » sous la plume de Didier Barbelivien leste gravement la chanson), il n’en est pas moins une des rares évocations dans la chanson moderne de la guerre de 1914-1918, avec le récit vu de l’intérieur des combats de Montmirail, tournant de la bataille de la Marne : humanisme ombrageux, drapeau bleu-blanc-rouge et respect dû aux anciens.

L’écriture mélodique de Fugain allège ces grands vaisseaux de voix et de verbe, les rapproche de notre temps avec une habileté confondante, cette même habileté qu’il y a à jouer de l’intemporel et du contemporain, du fugitif et du permanent dans L’avenir c’est toujours pour demain, construit à la manière sentencieuse du Sardou qui s’adresse à la jeunesse. Et il est flagrant que la maturité est moins assumée que désirée, réclamée, proclamée, avec la reprise par Sardou de Je n’aurai pas le temps, chanson écrite il y a plus de trente ans par un Pierre Delanoë pleinement adulte, et qui fit la première gloire du tout jeune Michel Fugain : en 2000, elle prend tout son sens chantée par un quinquagénaire qui en a oté les fameux envols juvéniles (il ne chante plus « J’ouvre tout grand mon cœur/J’aime de tous mes yeux », et a remplacé « Même en cent ans/Je n’aurai pas le temps » par « Même pour aimer/Je n’aurai pas le temps »).

Il y a un peu de la sagesse de l’aîné dans ce disque, de la sérénité retrouvée d’une sorte de patriarche qui peut n’avoir pas peur de « vivre avec son temps » - comme dit la télévision. Ces couleurs plus claires, plus vives, mieux accordées que dans ses quelques derniers disques, révèlent un Sardou sans angoisse et sans colère. Peut-être est-ce la puissance calme de l’artiste-businessman, ayant racheté il y a peu un grand théâtre parisien (le vénérable théâtre de la Porte-Saint-Martin) qui a trouvé à s’exprimer ici.

Michel Sardou Français (Trema) 2000