MIDEM 2001 : TOUT POUR LA MUSIQUE

Cannes, le 22 janvier 2001-Alors que nous vous parlons du MIDEM depuis plusieurs jours déjà, comment expliquer que voici maintenant le compte-rendu de la soirée d’ouverture ? A vrai dire, pas facile. Disons que le MIDEM-NET, qui avait lieu samedi, est distinct du MIDEM qui commence le dimanche. Et comme la soirée du samedi est, depuis deux ans, consacrée à une manifestation radio-télévisuelle (elle aussi indépendante du MIDEM bien qu’en son sein), on inaugure donc 48 heures après l’ouverture…

Les musiques hexagonales en représentation.

Cannes, le 22 janvier 2001-Alors que nous vous parlons du MIDEM depuis plusieurs jours déjà, comment expliquer que voici maintenant le compte-rendu de la soirée d’ouverture ? A vrai dire, pas facile. Disons que le MIDEM-NET, qui avait lieu samedi, est distinct du MIDEM qui commence le dimanche. Et comme la soirée du samedi est, depuis deux ans, consacrée à une manifestation radio-télévisuelle (elle aussi indépendante du MIDEM bien qu’en son sein), on inaugure donc 48 heures après l’ouverture…

Or deux jours, dans la vie d’un midemiste, c’est quasiment 48 heures de présence effective ; le jour dans le bunker, la nuit dans les concerts. D’où cette curieuse impression de vous parler d’une soirée d’ouverture-clôture. Encore un petit effort, et on pourra coupler la soirée d’ouverture du MIDEM avec celle du festival cinématographique !
Toujours est-il que la soirée inaugurale du MIDEM, il ne faut pas la rater. Elle est unique en son genre. Tout anthropologue curieux devrait y faire un tour. Dans le béton chaleureux du « palais », on a planté ça et là des cloisons délimitant de vagues espaces aux noms pompeux : salon des Ambassadeurs, salon Méditerranée… De longs couloirs pleins d’escalators et d’escaliers où il est interdit de s’asseoir, sous peine d’un sévère rappel à l’ordre de la part de vigiles intraitables (ils vérifient vos badges jusqu’à l’entrée des toilettes) voient défiler une foule cosmopolite et colorée.
On y croise des néo-punkettes en slip rouge, des types en pataugas, percés de partout ; quelques saris indiens et gandouras africaines. Et puis aussi des gus en smoking et des femmes en robes longues. Ces derniers sont à coup sûr des novices qui ont cru que leur carton d’invitation leur donnait réellement droit à une soirée chic. Ils sont en fait quelques dix mille à errer d’une salle à l’autre, buvant du coca chaud et du champagne tiède, et jouant des coudes pour grappiller quelques petits fours.
Quant aux musiciens, il leur faut une sacrée abnégation pour jouer devant un parterre aussi distrait. Tous vous diront qu’il n’y a rien de pire qu’un public de professionnels, se retrouvant après un an d’absence, et plus intéressé à vendre sa camelote qu’à écouter celle du voisin. Pourtant, ils s’y pressent tous, les musiciens, à cette soirée. Presque sans cachet et sans défraiement. Parce que, paraît-il, il faut se montrer, pour aider les forces de vente à… vendre. Alors, forcément, on garde rarement le souvenir d’un concert mémorable à Cannes. Et il serait très injuste de juger tel groupe ou artiste sur une seule prestation cannoise. Mais enfin, on peut se faire sa petite idée…

C’est Anggun qui inaugure le bal, et on comprend mieux aujourd’hui qu’elle réalise 70 % de ses ventes à l’étranger. Car on a réussi à parfaitement aseptiser la jolie indonésienne, en lui fournissant une pop passe-partout totalement insipide. En France, où l’on est désormais des consommateurs avertis de musiques du monde, on serait sans doute plus curieux d’une Anggun à la mode dangdut, chantant dans cette jolie langue qu'est le bahasa indonesia. Un jour, peut-être…
Quelques petits fours plus loin, Tahiti 80 attaque de vaillants riffs de guitare. Voici donc enfin le phénomène Tahiti, l’un des emblèmes de cette percée française à l’étranger tant vantée cette année sur la Croisette. Et c’est en effet un petit rock sympa et très propre, avec emprunts clairement assumés aux sixties, et en particulier aux Kinks. On comprend que ça ait bien marché au Japon.
Enjambant un batave surpris par les effets du Bandol rosé, on retourne vers la grande scène où les Nubians ont succédé à Anggun. Elles sont sympa, les deux jolies camerounaises. Et on aimerait dire que leur set a conquis les mangeurs-mélomanes. Mais force est de constater que le courant ne passe pas. Les voix sont belles, cependant. Mais était-il judicieux d’articuler cette courte représentation autour d’une adaptation du « Sweetest Tabou » de Sade ? A revoir, dans de meilleures conditions.
Et voici Ishtar, « la voix d’Alabina » comme dit la pub. La fantôme de Dalida circule dans les esprits. Elle est grande, elle est blonde-Loréal, elle a ce charme oriental un chouia tapageur qu’on retrouve aussi bien dans les boîtes de Beyrouth que de Tel-Aviv. Derrière soi fuse un « Y’a un créneau, là, Coco ». Et c’est vrai qu’on entend moins de fourchettes, ça fonctionne. En tout cas Ishtar a sur scène tout ce que son disque calamiteux ne laisse même pas entrevoir.
Dans la petite salle, Benjamin Diamond a pris la place de Tahiti 80. Le bougre doit être drôlement bon, car on ne mettrait plus une aiguille dans la foule compactée. En tout cas les vigiles sont formels : pas possible d’y mettre un bipède de plus, quand bien même il s’agirait d’un avorton plumitif, de la race de ceux qui font la pub des artistes dans les gazettes. Bon, à une prochaine fois, Benjamin.
Patience, Taha arrive. Et, en quelque sorte, la soirée commence. Un set de trente minutes, pour lui, c’est des extraits. Etonnant d’ailleurs de trouver Rachid en un tel endroit. Il a dû finir par s’assagir, et accepter les nécessités de la promotion. Et il n’ a même pas l’air de s’ennuyer ! Le public non plus, qui en oublie ses assiettes sales un peu partout. La demi-heure passe en trois secondes, et l’on se retrouve tout en sueur, et tout étonné d’avoir pris son pied ici. Rachid Taha, ce sera l’homme de l’année. Et il faudra suivre attentivement cette grande tournée internationale qu’il commencera cet été. Comptez sur nous.

Changement de décor. Après 23 heures, les concerts émigrent au Martinez, l’un des grands hôtels de La Croisette. C’est très curieux, le phénomène Martinez. D’une année sur l’autre il se reproduit de manière immuable. Dès les abords de l’hôtel, dans la rue, des grappes d’individus, tout de noir vêtus et un grand verre de bière à la main, se tiennent debout, quel que soit le temps, de 22 heures à tard dans la nuit. Ils sont tous anglais, allemands, hollandais, ou scandinaves. Dans le hall le phénomène se prolonge, en groupes plus serrés. Pour accéder à la salle de concert, tout au fond, il faut se frayer un passage dans le magma noir et compact, et culminant à plusieurs têtes de vous (les nordiques sont grands).
Au début on s’énerve mais, au bout de quelques années, on trouve la méthode. Il ne sert à rien de bousculer en maugréant « Sorry » ; ces menhirs sont inamovibles. Il faut avancer par petites étapes, en profitant de chaque petite brèche pour reprendre sa lente progression vers le nirvana. Cela dit, après ces longues minutes de reptation rusée, le concert a intérêt d’être bon !

Il le sera. Lo’Jo est décidément l’un des phénomènes les plus étonnants de cette musique métissée qui est maintenant devenue en France une évidence. Tout ici est original, du mélange des violons tziganes avec la cora ou le mélotron à bouche ( ?). La gestuelle aussi est totalement déconcertante, plus proche du mime que du rock. La langue chantée est souvent imaginaire, une sorte d’espéranto où la voix devient plus que jamais instrument. Mais, surtout, cette alchimie qui pourrait être parfaitement artificielle et gonflante, genre musique sérielle, garde ici tout son rythme et sa joie de vivre. Et puis, on aime ou on déteste, mais on est loin ici de toutes ces mièvreries binaires qui ont envahi les ondes.
Après Lo’Jo, un type en noir, un casque sur l’oreille, se plante face à des zinzins tout noirs aussi, d’où s’échappe un marteau-piqueur incontrôlable. On se dit que les musicos doivent être en grève, ou quelque chose comme ça. De toutes façons, il est temps d’aller faire dodo.

Jean-Jacques Dufayet