Khalifa et Tu Shung Peng
Ils sont français, font du reggae et travaillent étroitement avec les Jamaïcains, sur des modes complémentaires. Quand Khalifa fait surfer ses textes sur les rythmiques millimétrées que Sly & Robbie ont posées à Kingston, Tu Shung Peng profite de la présence en France des chanteurs vétérans du reggae pour mettre des voix sur ses musiques aux saveurs vintage.
Echanges franco-jamaïcains
Ils sont français, font du reggae et travaillent étroitement avec les Jamaïcains, sur des modes complémentaires. Quand Khalifa fait surfer ses textes sur les rythmiques millimétrées que Sly & Robbie ont posées à Kingston, Tu Shung Peng profite de la présence en France des chanteurs vétérans du reggae pour mettre des voix sur ses musiques aux saveurs vintage.
Au culot. C’est avec cet état d’esprit que Khalifa s’est adressé directement, via Internet, à la paire jamaïcaine la plus sollicitée depuis trois décennies : le batteur Sly Dunbar et le bassiste Robbie Shakespeare. "Après tout, pourquoi pas ?", s’est dit le chanteur français, conscient qu’il était peut-être en train de “jeter une bouteille à la mer”.
Face à ces monuments du reggae dont la discographie s’étale sur des dizaines de pages, il savait qu’il ne pesait pas bien lourd avec à son actif les deux albums de son groupe Positive Radical Sound. Mais les deux musiciens de Kingston, curieux, ont vite fait savoir qu’ils étaient intéressés. "Ils travaillent avec beaucoup d’artistes. Moi, je ne suis qu’un de leurs collaborateurs, donc il n’était pas question d’aller prendre des cafés en Jamaïque pour discuter du projet", commente Khalifa.
Pour son premier album solo éponyme, tout se fera donc à distance, avec un disque dur qui traversera plusieurs fois l’Atlantique. La méthode convient parfaitement au Français, habitué à écrire en réaction aux musiques qu’il entend. Et celles que lui envoient ses prestigieux partenaires l’inspirent.
Avec Ségolène et Nicolas, il réussit haut la main son galop d’essai. Paru à quelques mois des élections présidentielles de 2007 en France, ce premier titre à l’humour aigre-doux fait un portrait au vitriol des deux principaux candidats. Effet immédiat : en dix jours, le site Internet sur lequel est diffusé le clip totalise plus de 30000 connexions ; le chanteur est invité sur les plateaux télés… "Ça a duré un mois. Ça m’a permis de rendre mon travail visible, d’avoir une tribune. Et après, de passer à autre chose", reconnaît Khalifa qui qualifie ce morceau d’"anecdotique".
Pourtant, ce que laissait deviner – sur la forme – Ségolène et Nicolas se confirme sur le reste de l’album, très différent des précédents faits avec son groupe. "L’idée de départ, c’était de m’ouvrir un espace artistique personnel", résume-t-il. "Lorsque j’emploie un style plus scandé, plus parlé, ça fait partie de mon projet de vouloir me détacher de ce que je faisais depuis des années, avec un désir profond et inassouvi de vouloir déclamer."
Du coup, sa façon d’écrire s’en trouve bouleversée : "J’ai moins voulu chercher la beauté dans la mélodie que dans les mots, dans le sens." La formule, au final, en rappelle une autre : au moment où démarrent les chœurs sur Mi Candela, ce sont ceux de Lola Rastaquouère de Serge Gainsbourg auxquels on s’attend. Inconsciemment. Le jeune chanteur acquiesce. Il s’en est rendu compte une fois la chanson achevée. "J’ai failli l’enlever parce que je trouvais ça too much, mais je l’ai assumée, parce que j’aime le texte." Si Gainsbourg reste le premier artiste de l’Hexagone à avoir tenté l’aventure avec Sly & Robbie pour Aux Armes, etc., Khalifa est en revanche le premier Français signé sur le label des deux maîtres jamaïcains. Dans le monde du reggae, ce soutien officiel n’est pas sans valeur.
Tu Shung Peng et ses 14 invités
Avec ses quatorze invités compatriotes de Bob Marley, l’album Trouble Time de Tu Shung Peng pourrait lui aussi se prévaloir de la caution des glorieux aînés : Michael Rose (ex-Black Uhuru), Clinton Fearon (ex-Gladiators), U Roy ou encore Prince Jazzbo et Tappa Zukie ont tous eu un premier ou second rôle dans le grand film de la musique jamaïcaine.
Que ces chanteurs et deejays se retrouvent sur l’album d’une formation française, cela ne suscite plus le même étonnement qu’il y a dix ans, la mondialisation est aussi passée par là. En revanche, rares sont les expériences alchimiques de ce type qui sont capables, en quelques mesures, de vous replonger au cœur du Kingston des années 1970.
Pourtant, le studio Wise des dix complices de Tu Shung Peng se situe en région parisienne, dans une usine désaffectée au bord de la voix ferrée. L’explication est ailleurs, à la fois chez les musiciens et dans le traitement du son. "Dès la troisième répétition, on avait l’essence de ce qu’on voulait faire : sonner comme le reggae des seventies. On a toujours été des amoureux de la production, aimé le grain un peu sale des anciennes machines", explique le guitariste Seb "Mellow Mood" Houot. "La seule chose qui soit numérique, chez nous, c’est certainement l’ordinateur qui remplace le magnéto à bandes. Sinon, on utilise beaucoup de matériel analogique, ce qui contribue au son Tu Shung Peng", poursuit Fred Dézé, le saxophoniste. Sans oublier l’apport de Fabrice, "ingénieur du son un peu fou, du genre à sauter, transpirer sur la console quand il mixe" sachant de quelle façon placer les micros pour obtenir ce qu’il souhaite.
Tout était réuni pour que la vieille garde du reggae se sente aussitôt rajeunir au contact de ces jeunes Français traquant le moindre détail. Les images et les émotions sont restées gravées dans les esprits des musiciens. "On ne reconnaît plus le studio quand U Roy ou Clinton Fearon sont là. Ils ont un bagage et une personnalité qui font que tout d’un coup l’ambiance change", souligne Seb. Les amoureux du reggae à l’ancienne peuvent être soulagés : la magie n’a pas disparu, il faut juste savoir la capturer.
Ecoutez un extrait de
par Khalifa
Ecoutez un extrait de
par Tu Shung Peng
Khalifa Khalifa (Taxi/Discograph) 2008
Tu Shung Peng Trouble Time (Makafresh/Pias) 2008