HARDCORE À LA FRANÇAISE
La famille Fait-du-bruit redonne de la voix au printemps. Tout d’abord, les Burning Heads avec leur septième album Taranto. Un condensé mature de punk rock nerveux et mélodique. Et, Watcha, jeune scarabée s’extirpant du carcan néo-métal grâce à Mutant, troisième réalisation ambitieuse qui accorde finesse et gros son.
La finesse du hardcore démontrée par Burning Heads et Watcha
La famille Fait-du-bruit redonne de la voix au printemps. Tout d’abord, les Burning Heads avec leur septième album Taranto. Un condensé mature de punk rock nerveux et mélodique. Et, Watcha, jeune scarabée s’extirpant du carcan néo-métal grâce à Mutant, troisième réalisation ambitieuse qui accorde finesse et gros son.
Burning Head
Ne les cherchez pas à la télé. Ils font rarement la Une des magazines, même spécialisés. Pourtant depuis 1988, les Burning Heads sont la preuve que l’on peut vivre sa musique en toute sincérité. Après cinq albums et plusieurs tournées européennes, leur réputation était assurée aux côtés des NOFX, Bad Religion et consorts. En 2001, les quatre Orléanais ont failli se mettre les puristes à dos en sortant Opposite, un opus entièrement reggae, revisité à la sauce Clash. 2003 signe le retour aux rages de jeunesse avec Taranto. Un album qui marque l’arrivée de Fonfon, ancien chanteur du groupe hardcore Hoax. Déjà un membre de la famille: "A la fac, Thomas (le batteur, ndlr) et moi, on passait notre temps à ne pas aller en cours ensemble!" Guitariste sur la précédente tournée, il participe pour la première fois à la composition: "J’ai amené des idées de titres, des riffs de guitares mais j’essayais aussi d’avoir un regard extérieur." Au final, entre brûlots hautement inflammables (Sit & Watch, Hard drive) et émotion contenue (Push me, Pense bête), le groupe continue à approfondir son style sans épate.
Ma petite entreprise
Loin du concept album, les dix-sept titres sont pourtant largement influencés par un passage dans la ville italienne de Tarente (Taranto selon l’appellation locale) : "C’est une ancienne cité de construction navale, explique Fonfon. Mais tout a été désaffecté. Lorsqu’on est arrivé, le soleil avait une teinte rouge en éclairant les grues. Il régnait une ambiance de fin du monde. Une ville où l’industrialisation et le capitalisme se sont servis puis s’en sont allés. On a du jouer dans un hangar, directement sur du béton parce que les organisateurs s’étaient fait piquer leur scène la veille. Au final, on garde un très bon souvenir du concert. Il y a des gens là-bas qui ne lâchent pas l’affaire." Pas de dénonciation à l’emporte-pièce, mais des textes intelligemment critiques.
En marge du marché de la musique, les Burning Heads s’épanouissent dans l’artisanat. L’album a été produit avec un vieil ami Fred Norguet. Si vous disposez d’un ordinateur, vous pourrez d’ailleurs découvrir le studio du Pressoir ainsi que quatre clips faits-maison. Après le succès d’une première tournée incluant des groupes de divers horizons, les Orléanais remettent le couvert. Ils ont invité Unlogistic, combo mélangeant guitares et machines, et Alif Sound System, formation jungle, pour une trentaine de dates.
Yelen, leur nouveau label depuis deux ans, leur laisse une grande liberté : "On n'a eu aucune contrainte pour l’enregistrement. On leur a présenté l’objet fini et ils le distribuent. Même si c’est une division de Sony, ils ont une certaine indépendance. On leur fait confiance." Une confiance également partagée par Watcha, autre signature de la structure.
Watcha : jeunes loups aux dents longues
Après six ans d’existence et deux albums brutaux, le groupe a mis de la finesse dans son jeu. Il ne quitte pas la case énergie, il sort simplement la carte mélodie. Le mur de guitare répond toujours présent mais ce qui attire l’oreille, sur ce Mutant de troisième album, c’est le chant d’El Butcho, Bob dans la vie civile: "Les autres se sont rendu compte qu’il y avait un vrai chanteur avec eux, alors ils ont décidé de s’en servir. Plus sérieusement, j’ai toujours été attiré par les mélodies et on en avait assez de jouer systématiquement la puissance." Clairement, la voix est mise en avant mais surtout son propriétaire sait s’en servir. On sort de la formule éculée "couplets râpés, refrain planant" pour savourer des lignes de chants travaillées.
Avec ses textes construits comme des scènes de cinéma, El Butcho excelle dans la mise en situation et l’interprétation de personnages. Un titre comme Dunk Barrow le baron, version 2003 des Trois petits cochons,reste un must dans le genre. Il surprend même en imitant – à s’y méprendre – un des rappers du groupe français Saïan Supa Crew: "J’adore ce qu’ils font. Cette recherche sur la voix. On les a invités sur l’album mais on n' a jamais eu de réponse…"
Producteurs de leur album, les Watcha n’ont pas chômé: le grain des guitares, les effets ajoutés, la voix systématiquement doublée, autant de prise de tête qui font que le groupe a maintenant sa propre identité. Ces arrangements sophistiqués s’agrippent agréablement aux tympans même s’ils risquent d’être difficile à restituer en concert. Bob a la parade: "On va adapter les morceaux pour la scène, en se servant plus de machines par exemple, et puis les autres vont travailler les chœurs !" Sûrs de leur fait, les Français se sont même offert le luxe de refuser le mastering du producteur Howie B en préférant celui d’un Parisien, Jean-Pierre Bouquet.
Le regard dirigé vers l’étranger
Le groupe s’est lancé un gros challenge: être grand public sans renier sa musique. Le tubesqueCoolavec son refrain racoleur à chanter sous la douche est une vraie perle, réfléchie pour gagner. En revanche, troquez la guitare de Narrow Minded contre un saxo et Ophélie Winter y retrouvera facilement ses petits : "Il n’y a que trois titres qui soient facilement accessibles à l’écoute, tous les autres sont trop bourrins!" Watcha cède également à la tentation de la reprise décalée, flirtant à la lisière du saugrenu avec le And the beat goes on des Whispers, tube de la fin des années 70, époque où la funk s’acoquine à la disco. "Quand je l’ai proposé aux autres, confie Bob, ils m’ont regardé avec de gros yeux. C’était la bonne blague puis on a essayé. Le riff de guitare est venu. Et au bout de deux heures, le morceau tournait vraiment bien. Je pense que ça pourrait faire un très bon single pour l’international."
Ce Mutant, les Watcha en sont fiers. Tellement qu’ils en ont une deuxième version, internationale, sous le coude. Les textes français ont été adaptés pour l’occasion et les larrons attendent une ouverture. Avec exactement le même album, un groupe anglo-saxon serait qualifié de génie et tournerait en boucle sur MTV. Le groupe s’est plongé entièrement dans l’aventure et cette volonté d’ouverture ne devrait nullement rebuter les fans. Espérons qu’elle attirera aussi les autres.
Burning Heads Taranto (Yelen) 2003
Watcha Mutant (Yelen) 2003
Cyrille Péguy