L'absurdité de Bertrand Betsch
C’est une des bonnes surprises de cette rentrée musicale, le retour au pays de la chanson française de Bertrand Betsch, outsider remarqué pour ses deux premiers disques par quelques critiques attentifs mais largement méconnu du grand public. Avec Pas De Bras, Pas De Chocolat, troisième album toujours aussi ambitieux par le fond mais plus immédiat par la forme, Bertrand Betsch a aujourd’hui toutes les cartes en main pour se faire une place entre le A de Dominique A et le D de Daniel Darc.
Tout s’est passé assez vite pour ce jeune auteur-compositeur préférant le travail en solitaire à la démocratie bavarde d’un groupe. A la fin des années 90, il envoie la seule et unique cassette de ses chansons au label Lithium et décroche son premier contrat d’enregistrement: "Lithium était à l’époque le seul label dans lequel je me reconnaissais. Vincent Chauvier, le directeur artistique, avait déjà signé Dominique A, Jérôme Minière, Mendelson... et il m’a appelé trois jours après avoir reçu ma maquette pour me rencontrer". Bertrand Betsch enregistrera pour le label Lithium deux albums : La Soupe à la grimace en 1997, disque bouillonnant et dérangeant ("je te ferai manger tes chairs, je te ferai rentrer tes airs...") et un projet très personnel en 2001, B.B. Sides dans lequel il reprend Leonard Cohen, Phil Spector, Dominique A (!) et met en musique des poèmes de Paul Eluard et Charles d’Orléans. Mais malgré une presse souvent élogieuse, la musique de Bertrand Betsch, réputée à tort ou à raison difficile voire déprimante, peine à trouver un public et le jeune chanteur quitte alors la scène.
Après la pluie, le beau temps
Trois ans plus tard, c’est un Bertrand Betsch rénové qui réapparaît avec un nouveau contrat discographique - son premier label Lithium a déposé le bilan - et un troisième album incroyablement riche, tracté par un mini tube rock et décalé Pas De Bras, Pas De Chocolat. Plus orchestré que les précédents, ce nouveau disque rayonne comme une éclaircie dans l’univers torturé de Bertrand Betsch. Loin du minimalisme musical auquel il nous avait habitué, Pas De Bras, Pas De Chocolat sinue entre reggae estampillé 80’s (Temps Beau), valse mélancolique (C’est plus pareil), glam-rock dutronnien (Les mots ont leur importance), jazz souffreteux (Les Petits Mammifères), fanfare (L’Important c’est de participer) et trip-hop rampant (Tout Vu).
"C’est vrai que grâce aux arrangements, ma musique s’est étoffée de nouveaux instruments comme l’accordéon, le melodica, les cuivres... En fait, j’ai eu plus de moyens techniques et financiers sur cet album ce qui m’a permis d’essayer artistiquement plus de choses. Je voulais aussi élargir mon public, donc écrire peut-être des titres plus légers, plus lumineux. Ça a été assez rapide à composer car faire des chansons pour moi n’est pas un problème. Je ne travaille jamais sur commande, je ne crois qu’à l’inspiration. Ce qui a été long, c’est le travail autour des arrangements, il y a eu beaucoup de versions différentes de chaque titre car on n’était jamais satisfait… Mais on n’a pas rechigné devant la tâche, on a cherché et on a fini par trouver."
Paradoxalement, ayant gagné en confiance en lui, Bertrand Betsch a réussi sur ce disque à travailler à plusieurs: "Sur l’album précédent, j’avais tout fait tout seul et sur celui-là, j’ai décidé de lâcher du lest, de m’en remettre aux autres. Ce sont les circonstances qui ont décidé de cela, j’ai travaillé avec des gens qui avaient de la personnalité, des choix artistiques et j’ai finalement accepté que cela devienne un travail de groupe". Un nom en particulier revient régulièrement, celui de Hervé Le Dorlot, recruté par petite annonce lors de La Soupe à la grimace pour accompagner Bertrand Betsch sur scène et responsable aujourd’hui d’une bonne partie des guitares et claviers de ce disque.
Chansons aigres-douces
Déjà remarquable à ses débuts par son aspect littéraire, l’écriture grinçante et poétique de Betsch s’est aussi bonifiée avec le tempsen gagnant en simplicité. "Elle est de plus en plus proche d’une réalité émotionnelle, plus véridique. Elle dit les choses de façon plus frontale mais toujours avec des notes de poésie". Impossible en écoutant des chansons comme L’Ancienne peau ou Les petits mammifères de ne pas penser à Dominique A, le chef de file de cette école existentialiste de la chanson française. Même sensibilité d’écorché vif, même musicalité des mots et pourtant quand on lui demande quelles ont été ses influences, Bertrand Betsch répond: "Gérard Manset car mon grand frère écoutait ça et j’ai tout de suite été frappé par sa voix immédiatement identifiable, ses textes très profonds, une évidence mélodique, musicale, compréhensible par tous. Ça a été plus un déclic qu’un modèle à proprement parler et il reste toujours comme une balise. Aujourd’hui, je ne peux pas dire que je subis une influence car j’ai développé mon style. Je fais parfois des emprunts, je sample, il y a des couleurs musicales comme le dub ou le reggae que j’ai beaucoup écouté il y a quelques temps et que l’on retrouve un peu sur cet album."
Même s’il aborde avec un sens de la dérision très personnel le sujet de la rupture amoureuse dans Pas de bras, pas de chocolat ou celui du plaisir physique dans Temps Beau, les thèmes de prédilection de Bertrand Betsch restent toujours l’angoisse du temps qui passe, l’absurdité de la vie et la difficulté des rapports humains : "J’aime tout particulièrement Des gens attendent car je suis arrivé à quelque chose d’à la fois poétique et qui pose les questions centrales: qu’est-ce qu’on fait de son existence ? Qu’est-ce qui se passe quand on arrive au mi-temps de sa vie et qu’on regarde derrière soi ? Les gens qui se lèvent tôt le matin pour aller travailler et qui rentrent crevés, tard le soir, l’abrutissement de notre condition... Moi, j’ai toujours eu le sentiment d’avoir quelque chose à faire de ma vie, j’ai toujours été tenaillé par ce besoin de laisser une trace même minime, de faire œuvre de quelque chose. Je parle un peu de tout ça dans ce disque".
Bertrand Betsch Pas De Bras, Pas De Chocolat (Labels/ EMI) 2004