DENEZ PRIGENT

Après son aventure électro, Denez Prigent réalise avec son nouvel opus, Sarac’h - le bruissement du vent dans les feuillages -, un album de rencontres entre instruments bretons et ceux venus d’Orient dans lequel il a convié cinq femmes venues d’horizons variés (Australie, Laponie, Bulgarie, Ecosse et Bretagne). Un retour aux sources du chant.

Un barde bucolique

Après son aventure électro, Denez Prigent réalise avec son nouvel opus, Sarac’h - le bruissement du vent dans les feuillages -, un album de rencontres entre instruments bretons et ceux venus d’Orient dans lequel il a convié cinq femmes venues d’horizons variés (Australie, Laponie, Bulgarie, Ecosse et Bretagne). Un retour aux sources du chant.

Vous considérez-vous comme un chanteur breton ?
Tout d’abord, je ne me qualifie pas comme un chanteur breton, je suis un chanteur de chants, je n’ai pas à justifier ma langue, ni mon origine. Ma langue, c’est le breton, mon chant, c’est la gwerz ou le kan an diz kan. Si j’avais été kabyle, berbère ou tibétain, j’aurais eu exactement la même démarche. Plutôt que chanteur de chansons, je me sens chanteur de chants. Le chant parle plus de la communauté ; il aborde des thèmes plus universels que la chanson. Dans la chanson, on parle plus de soi. La gwerz est un chant qui aborde les grands thèmes, notamment celui de la mort qui est omniprésent. Il devient bien souvent un prétexte pour exorciser des tensions ou des peurs plus profondes.

Vous êtes plus Transmusicales, où vous allez à nouveau vous produire pour le 25ème anniversaire, ou Stade de France, où vous étiez ce printemps à l’occasion de la seconde Nuit celtique ?
J’aime bien tous les paris. Sur scène, ma philosophie, comme celle des musiciens qui m’accompagnent depuis des années, est de donner un maximum aux spectateurs. Je suis toujours admiratif envers ce public qui vient nous voir dans un monde qui ne s’y prête plus guère : ils font garder leurs enfants, le chien, il faut garer sa voiture, ils attendent parfois une heure avant que cela commence. C’est pour cela que quand nous sommes sur scène, on est là pour donner, pas pour prendre. Aussi que je sois sur scène au Stade de France devant 65.000 spectateurs ou aux Transmusicales, où j’ai débuté devant 400 personnes, je me dois d’être à 130 %.

Comment le fait de vouloir défolkloriser le chant breton est-il perçu en Bretagne ?
Je ne me suis pas trop posé la question. J’aime bien suivre mes envies. Voici dix ans, quand j’ai commencé à marier l’électronique avec les gwerz ou le kan an diz kan traditionnels, cela m’intéressait de créer ces rencontres avec l’électro, la musique de ma génération. Marier ces chants traditionnels, qui sont ma fibre, à ces nouvelles technologies était un véritable pari. Beaucoup de gens ont dit : "C’est de la gwerz techno". Je n’avais pas cette ambition, mais j’ai adapté avec l’aide de musiciens ces nouveaux instruments de musique que sont pour moi les samplers, les platines, les boîtes à rythme ou les ordinateurs.

Ce n’est pas difficile de chanter face à un public qui n’est pas initié ?
Dans le chant, au-delà des mots, le public capte une émotion qui réveille l’inconscient en lui et finalement, peu importe que ce soit du breton ou du tibétain, l’émotion passe malgré tout ; c’est la force du chant face à la chanson. Le chant passera plus facilement le temps et les frontières. Si on compare une chanson de Maurice Chevalier des années 30 à un enregistrement de la même époque des soeurs Goadec, on s’aperçoit que la chanson de Maurice Chevalier a quelque peu vieilli, là où les chants des soeurs Goadec restent totalement contemporains. C’est pour cette raison que le chant m’intéresse : il a ce côté universel, intemporel et sacré. Quand je chante des gwerz, j’ai l’impression que le temps s’arrête.

Sarac’h, votre nouvel opus, semble plus acoustique que votre précédent album. Vous avez changé ?
Sarac’h signifie "le bruissement du vent dans les feuillages". Le précédent Me’Zalc’h Ennon Ur Fulenn Aour, je l’avais enregistré à une période où j’habitais à Rennes, avec des sonorités électroniques qui correspondaient à mon mode de vie. Depuis trois ans, j’habite en pleine nature, à Lanvellec. Ici, le paysage a opéré sur moi et je suis revenu à quelque chose de plus acoustique, d’où ce titre très sensible Sarac’h, ce bruit du vent dans les feuillages qu’on entend si bien à la campagne. Il y a encore de l’électronique, mais elle est moins présente que sur le "disque jaune". Beaucoup de musiciens acoustiques sont présents sur cet album, Bretons ou non Bretons, comme Latif Khan aux tablas, Marcel Aubè au violon chinois, Farhat Bouallagui au violon arabe. Cet album est une fusion d’instruments orientaux et bretons : bombarde, flûte irlandaise, uilleann pipe, cornemuse écossaise.

C’est également un album de rencontres avec des voix féminines.
J’aime beaucoup les voix, plus encore les voix féminines, peut-être parce que je suis un homme, mais aussi parce que la première personne à m’avoir transmis cette passion du chant est ma grand-mère, puis les soeurs Goadec, qui ont été pour moi une révélation. La Bretagne est une société matriarcale, c’est pourquoi j’ai tenu à inviter cinq chanteuses. Il y a Yanka Rupkina, qui était la soliste du Mystère des voix bulgares et qui incarne le chant dans toute sa noblesse. Lisa Gérard a acceptée une seconde fois de chanter avec moi, une femme qui synthétise pour moi toutes les façons traditionnelles de chanter, plus universelle dans son approche du chant. Il y a Karen Matheson, ma cousine celtique, qui est écossaise et a une voix très pure, très douce, très éloignée de la mienne. Et une chanteuse lapone, Mari Boine que j’ai découvert lors d’un reportage à la télévision sur Arte. Enfin, Louise Ebrel, la seule chanteuse bretonne, qui est la fille d’Eugénie Goadec.

Vous considérez-vous comme un barde ?
Le barde à l’origine avait le temps d’observer, réfléchissait aux problèmes de son époque et quelque part, c’est naturellement que je le fais. J’aime bien analyser ce qui se passe dans le monde et avoir un regard critique. Je compose beaucoup sur cette société qui m’entoure. Le rôle du barde est de dire "faites attention". Cela peut paraître un peu prétentieux, mais quand à travers mes chants je peux amener les gens à une réflexion, j’essaie de le faire. En parlant dans mes textes des OGM comme dans Geotenn Ar Marv (l’herbe de la mort), de la guerre (E Garnison) ou de l’enfance meurtrie (Ar Vamm Lazherez), quelque part j’alerte pour que l’on se pose des questions. Peut-être en cela je perpétue la tradition bardique.

Denez Prigent Sarac’h (Barclay-Universal) 2003