Nahawa Doumbia
La reine du didadi vient de lâcher sa nouvelle galette dans les bacs. Une dizaine de titres mise en boîte sous le nom de Yaala (Colbalt/Mélodie), avec la complicité du guitariste jazz français Claude Barthélemy. Un album tout en finesse, maturité oblige. Extraits d’un entretien résalisé lors d'un récent passage à Paris.
Une diva malienne sous influence
La reine du didadi vient de lâcher sa nouvelle galette dans les bacs. Une dizaine de titres mise en boîte sous le nom de Yaala (Colbalt/Mélodie), avec la complicité du guitariste jazz français Claude Barthélemy. Un album tout en finesse, maturité oblige. Extraits d’un entretien résalisé lors d'un récent passage à Paris.
Nahawa est formelle : cet album incarne à lui seul tout le chemin parcouru jusqu’alors depuis l’époque bénie de son premier LP à cent pour cent didadi, rythme dansant issu du patrimoine de sa région natale, le Sikasso au Mali, et dont elle est devenue la star attitrée. Aide-soignante reconvertie dans la chanson par la force d’un destin très peu commun, suite à une prédiction maternelle qui fit couler pas mal d’encre dans la presse africaine il y a quelques années, cette ancienne "découverte" de la Biennale de Bamako n’a jamais eu au fond qu’un seul souhait à travers tout ce qu’elle entreprenait en musique : faire oeuvre de modernité. Non pas en bousculant l’héritage traditionnel de façon brutale, mais en épousant autant que se peut, les tendances nouvelles par souci de se renouveler et de ne pas répéter une geste ancestrale trop figée par le temps. Dit autrement, son ambition consiste à maintenir le cap identitaire (les sonorités du Sikasso sont assez singulières au reste de la musique mandingue), tout en essayant de nouvelles combinaisons ouvertes sur le monde à venir.
Peut-on espérer mieux pour un artiste ? En tous cas, la recette a porté ses fruits. Partout, où elle est passée, ce sens aigu de l’inédit lui a valu les applaudissements des professionnels et du public. Certes, les fidèles ont parfois tiqué sur certaines expériences. Mais avec les années, la reine du didadi a su convaincre, grâce au talent. Le sien et celui de ceux qui l’entourent. Le choix de s’engouffrer dans la vague acoustique par exemple avait surpris ses fans les plus immédiats - ceux qui s’arrachaient ses cassettes sur le marché de l’Afrique de l’Ouest. Mais elle a tenu bon. "Aujourd’hui, dit-elle, "ils sont les premiers à me remercier, à trouver que j’étais en avance par rapport à d’autres artistes". Ce choix, elle avoue volontiers l’avoir effectué sur les conseils de son producteur, Philippe Conrath, patron du label parisien Cobalt, qui accompagne la carrière de la fille du Wassoulou (disque, promo et tournée), en insistant beaucoup sur la nécessité de cibler un public plus large et sur l’intérêt d’orchestrer la musique avec plus d’ouverture. Finie l’époque où l’on ne devait satisfaire que son public "naturel", uniquement malien dans le cas de Nahawa.
C'est ainsi que ses mélodies de terroir se sont mises à faire du pied à d’autres sons à vocation planétaire. "La musique n’a pas de frontières. Des jazzmen américains, après m’avoir vue jouer aux Etats-Unis, se sont déplacés jusqu’au Mali pour me voir. Ils apprécient ce que je fais". C’est ainsi aussi qu’elle se retrouve aux côtés du Dj français Galliano. "Vous savez,... le didadi est dansant, les rythmes électroniques également. C’est pour ça qu’on s’est compris lui et moi. Dernièrement, on a joué à Seattle, le public a aimé le mélange des deux". Affaire de feeling. Elle ajoute néanmoins qu’il "ne faut pas dénaturer son art". Surtout pas n’importe quoi ! "Moi, j’ai su préserver le mien. C’est important". Avis donc à ceux qui l’accuseront de soumettre sa musique à des mariages contre-nature : à l’entendre, son authenticité est sauve. Par ailleurs, elle n’est pas dupe : "J’ai la possibilité de jouer différents répertoires pour satisfaire mes différents publics". Pourquoi se l’interdirait-elle ? "L’autre jour, on a joué à Barcelone pour un public mélangé, à la fois africain et espagnol. Au début, les Africains ont un peu hésité sur le côté acoustique. Puis, on a changé de répertoire, on a joué plus rythmé, ça leur a plu et les Espagnols ont suivi". De quoi réconcilier les communautés...
Autant dire que ce sont là quelques-uns des aspects qui ont attiré Claude Barthélemy dans l’univers de la diva malienne. "C’est après avoir écouté l’album Yankaw, qu’il a eu envie de travailler avec moi. On a commencé par faire des concerts ensembles. Ici, à Bamako... ça a marché. Le reste est allé tout seul". Affaire de feeling, on ne le répétera pas assez. "Quand il est venu avec nous, il n’a pas cherché non plus à nous imposer quelque chose. Il a tout de suite dit : "c’est votre musique, vous la connaissez mieux que moi. Si vous sentez que ce que je fais n’est pas bien, il faut me le dire. Ce n’est mon genre, ce n’est pas mon rythme. Jouez et je serais derrière vous"". Barthélemy n’a pas voulu jouer au saint connaisseur. Sans abonder dans la fausse modestie, lui aussi était là pour apprendre de ses hôtes maliens. Son influence discrète et sensible sur l'album est bénéfique à Nahawa, mais celle-ci a su lui rendre la pareille dans son jeu. Approche empirique, extrême attention. D’un côté, on joue. De l’autre, on suit. Et vice-versa.
Au final, s'instaure le dialogue. Captivant, le résultat sur le disque ne laisse aucun doute : il y a bien eu échanges de civilités. Avec toute la sincérité que suppose un tel exercice. La guitare acoustique dialogue sans heurt avec le kamalé n’goni, le balafon, et se met au service d’une voix au timbre inspiré par la foi en l’homme. Hymnes à la vie ou chanson en hommage aux proches disparus, chacun des titres témoigne en retour de cette rencontre mesurée mais pleinement réussie entre Nahawa et Barthélemy. Une rencontre qui donne tout son sens au titre choisi "Yaala signifie la promenade, synonyme de rencontre, d’enrichissement. Avec les voyages, j’ai noué beaucoup de relations avec des artistes. Des relations d’amitié et de travail. Claude Barthélemy en fait partie". L'album, sur lequel il n'y pas que du didadi d'ailleurs, dégage ce nouveau souffle, notamment apporté par la présence du guitariste sur l'ensemble. C’est surtout le signe d’une certaine maturité qui consiste à renforcer davantage l’esprit d’ouverture d’une dame à qui la légende prédisait plutôt un avenir conflictuel avec "Komo", fétiche familial jaloux de son succès futur. Le talent, lorsqu’il est bon, est semble-t-il au-dessus des mauvais présages. Pourvu que ça dure encore longtemps!