Festival au désert

La quatrième édition du Festival au désert s’est déroulée du 9 au 11 janvier au nord du Mali, dans l’oasis d’Essakane, à deux jours de chameau de Tombouctou. En têtes d’affiche de ce festival: Amadou et Mariam, Oumou Sangaré, Manu Chao, le groupe touareg Tinariwen et Ali Farka Touré.

La fête world des Touaregs

La quatrième édition du Festival au désert s’est déroulée du 9 au 11 janvier au nord du Mali, dans l’oasis d’Essakane, à deux jours de chameau de Tombouctou. En têtes d’affiche de ce festival: Amadou et Mariam, Oumou Sangaré, Manu Chao, le groupe touareg Tinariwen et Ali Farka Touré.

Parvenir à Essakane se mérite. Il faut deux bonnes journées de 4x4 en venant de Bamako ou une grosse journée de pistes au départ de Mopti. Jean-Luc, agriculteur normand, a pris quinze jours de congés pour venir voir son idole, un autre paysan, Ali Farka Touré, qui cultive ses terres dans son village de Niafunké. El Hadj, écolier à Tombouctou, est venu, lui, avec une bande d’amis à Essakane, écouter Manu Chao dont il a entendu parler à la télévision.

Cette grande fête annuelle des Touaregs, initiée par les musiciens angevins de Lo’Jo et l’association Efès, leur permet de se retrouver lors de la première lune de l’année pour une foire, devenue en l’espace de deux ans, un rendez-vous prisé des férus de musiques du monde.

Après Robert Plant, l’an passé, Manu Chao était, cette année, la vedette européenne alors qu’il n’était venu que pour accompagner ses idoles du moment, Amadou et Mariam. Mettant à profit les deux jours de route séparant Bamako d’Essakane, il a tourné des images pour le DVD qui accompagnera l’album qu’il enregistre avec l’ex-"Couple aveugle du Mali", entre Paris et Bamako.

Pour son premier concert en Afrique, Manu Chao a été d’une étonnante discrétion. Venu accompagner à la guitare rythmique Amadou et Mariam, il ne chanta qu’un titre en solo, Kira, chanson qui porte le nom de son fils. Une heure durant, il s’éclata dans un coin de la scène, une caméra de télévision de la BBC constamment pointée à 50 cm sur lui, faisant les choeurs sans micro, pour "le plaisir de taper la planche", comme il dit.

Le groupe de musiciens touaregs Tinariwen, également à l’origine de ce festival, est sur les dunes d’Essakane la véritable tête d’affiche pour une bonne moitié des spectateurs, ces Touaregs venus des quatre coins du désert. Cette foire-forum-festival qui était initialement un rendez-vous annuel et itinérant de nomades à l’écart du public européen, a grandi trop vite suite au succès remporté par la précédente édition qui a fait l’objet d’un album live, permettant à un large public de découvrir la magie de ce mini-Woodstock des sables.

On est désormais bien loin de l’esprit pionnier de cette aventure qui est devenue un ersatz, dans le désert malien, de festival européen de world music. Une machine dirigée par les promoteurs allemands d’Africa festival, filmée par cinq caméras de la BBC et financée par la Communauté européenne, permettant ainsi de construire une scène en dur, des toilettes et des douches, mais qui ne serviront pas à l’avenir aux Touaregs qui font escale dans cette oasis.

Logé comme les spectateurs européens sous une tente touareg, la maison éphémère d’Ali Farka Touré ne désemplit pas. "C’est la gare de Lyonen plein désert", s’amuse-t-il. Et même Nick Gold, son producteur anglais venu discuter de l’enregistrement du nouvel album qu’ils réaliseront ensemble la semaine suivante au studio Bogolan de Bamako, doit patienter la matinée, pour être reçu. Programmé initialement à 2 heures du matin en clôture du festival, cette heure tardive ne convient guère à l’artiste, couche-tôt de nature, qui demande à passer à la tombée de la nuit.

Habillé en tissu bogolan, coiffé d’un chapeau de berger, Ali Farka Touré vient donner un de ses très rares concerts depuis qu’il a annoncé qu’il ne se produirait plus à l’étranger. Dos au public, il est contraint de faire sa balance sur scène, puis annonce que c’est parti pour une heure de concert: "J’ai trouvé le métro, ce n’est pas un petit bout de train." Dans le désert, ce blues chanté en français prend un sens incongru. Afel Bocoum, qui avait joué la veille en solo avec Damon Albarn en invité, assure impeccablement aux choeurs. Puis, au bout de quatre titres, le groupe électrogène rend brutalement l’âme, interrompant brusquement le spectacle, mais permettant au millier de spectateurs de découvrir la beauté de la voûte céleste. Ali Farka, toujours sur scène, allume une cigarette et improvise quelques notes d’un concert acoustique. Après vingt minutes d’expectative, l’électricité revient et les étoiles disparaissent, masquées par l’intensité des projecteurs. Les Touaregs en tenue d’apparat et les spectateurs européens assistent alors à un set tel qu’ils pourraient le voir en Europe, confortablement installés sur le sable blanc des dunes d’Essakane.

Une nouvelle forme de tourisme culturel où des touristes-spectateurs se déplacent dans des lieux féeriques, ne serait-elle pas en train d’être lancée grâce à ce festival, installé dans un lieu coupé de tout, trois cent soixante jours par an. Cette évolution inquiète les Touaregs pour qui ce rendez-vous était avant tout une rencontre avec des hommes venus partager des moments de fraternité.