HIP HOP ALGÉROIS

Paris, le 11 juin 2002 – Moins de deux cent cinquante personnes pour un set de rap algérien à la Cité de la Musique à Paris, à l’occasion du festival Latitudes Villette Maghreb. Malgré la présence des ténors du genre (Hamma, Intik, MBS), le public a fait la fine bouche. C’était l’occasion pourtant de faire le point sur une scène alternative qui se cherche encore, loin de sa terre natale.

La rage demeure intacte

Paris, le 11 juin 2002 – Moins de deux cent cinquante personnes pour un set de rap algérien à la Cité de la Musique à Paris, à l’occasion du festival Latitudes Villette Maghreb. Malgré la présence des ténors du genre (Hamma, Intik, MBS), le public a fait la fine bouche. C’était l’occasion pourtant de faire le point sur une scène alternative qui se cherche encore, loin de sa terre natale.

On en conviendra… Le public est souvent la jauge qui permet d’identifier les tendances du moment. Le rap algérien intéresse-t-il le fan de base du hip hop en région parisienne ? Paris étant la capitale autoproclamée des sonorités mondiales, s’y produire devient vite un challenge nécessaire pour confirmer un succès annoncé ou pour créer un buzz ponctuel. Or, l’affluence était plutôt à revoir à la baisse vendredi dernier. Pourtant, il s’agissait là d’une des dates les plus importantes d’un festival donné pour «réussi», avant même d’avoir investi les lieux. Grâce - espérait-on - à la communauté maghrébine, qui paraît toujours prête à défendre ses couleurs. Grâce aussi à l’enthousiasme suscité en France par les musiques du Maghreb depuis bientôt dix ans. Grâce à la tournure world, négociée avec succès par le rap français lui-même, il y a plus de deux ans avec les allumés du Bisso na Bisso.

Une affluence minime

Mais il ne suffit pas d’aligner les bons arguments pour remplir une salle. Jeudi 6 juin déjà, Khaled s’était pris une gamelle de taille. La star la plus vendue du raï avait fait 2000 entrées, au lieu des 4000 espérées - dit-on - par l’organisation du festival au Zénith. Une vraie catastrophe. Un membre du staff de la Cité de la Musique, déclarait sur fond de déception : «Il faudra analyser ce bide. Peut-être que les Maghrébins ne sont pas venus en nombre, à cause du 21 avril (ndlr : premier tour des élections présidentielles en France). Pour montrer qu’ils sont contre la lepénisation actuelle des esprits. Peut-être que le public non-communautaire, lui, n’est pas venu à cause du 11 septembre. On a tendance à rejeter tout ce qui est connoté arabe depuis Ben Laden». L’un de ses collègues renchérit : «Le festival a déjà programmé le Brésil. C’était un succès. Avec un thème aussi proche de la France que le Maghreb, on se serait attendu à plus de monde qu’avec les Brésiliens. Je n’arrive pas à comprendre». Pendant qu’on parle, un écran déroule en instantané le concert en cours. Nous sommes dans les coulisses. Ce sont les Hamma qui sont sur la scène.

Tchatche et groove au rendez-vous, ils sautent, jouent, se lâchent et remplissent la scène de leur rage. Au mieux de leur forme, ils assurent comme si leur vie en dépendait. Peu de monde dans la salle ? Ce n’est pas grave. Ils savent qu’ils ne sont pas en pays conquis. Il leur faudra toujours, même s’ils ne se sentent nullement obligés par les discours marketing en vogue, «prouver quelque chose». Ils auront beau rechigner à la tâche. Ils n’y couperont pas. Ce soir, il s’agit cependant de dialoguer avec les quelques spectateurs qui se sont déplacés, pour montrer qu’ils ne sont pas venus pour rien. Enfants terribles du rap algérois, les Hamma n’ont pas encore signé, à l’instar de leurs autres camarades programmés ce soir-là, dans une maison de disques.

Hamma sur scène

La scène est un véritable lieu de combat pour eux. Un combat qu’ils mettent un point d’honneur à remporter. Afin de convaincre les plus réticents des mélomanes du rap hardcore. Leur séjour en France pour l’instant a correspondu plus à une sorte d’apprentissage du métier. Le son sous toutes ses coutures, pour se changer des enregistrements à effets limités du bled. Le recul face à la réalité chaude du pays d’origine, pour mieux poser les mots de la révolte. Une plus grande maturité dans le ton et moins d’illusions sur le marché du disque. Rater une scène, c’est donc desservir la dynamique à venir. Car ils sont en train de préparer la sortie d’un album. Avec qui ? Certains murmurent le nom du label Esengo, un indépendant marseillais, sans confirmer. En attendant, on ne peut que leur prédire un succès éventuel.

Mais le succès est un bien vain mot dans le hip hop algérien. Les Hamma, comme leurs compères des groupes Intik et MBS, sont pionniers du genre. Longtemps, ils ont dû batailler pour imposer la donne dans leur propre pays. Aujourd’hui, des petits frères suivent leurs traces et multiplient les créations de possee. Mais la radio, la télé et la presse continuent de façon générale à les toiser du regard.

Musique arrivée sous le ciel national via paraboles et satellites, le rap dérange les aînés par ses origines, occidentales, ou encore par son discours, peu poli, dans tous les sens du terme. Poésie salvatrice ou militante, la vague rap au pays du raï est vite apparue comme une forme d’anti-discours établi au sein du paysage musical. «Qui sont ces jeunes qui braillent des trucs d’étrangers ?» entendait-on dire, alors même que leurs textes et leurs mélanges sonores semblent ancrés dans leur vécu. En parole, ils racontent leur quotidien. Avoir 20 ans en pleine guerre civile n’a pas été le plus simple à écrire. En musique, ils puisent dans le patrimoine. Chaâbi et mélodies arabes pour charger le flow. Ils ont su se réapproprier le langage de l’international du rap, en y instillant une verve purement locale. Mais comment veux-tu convaincre les oreilles formatées des compatriotes, plutôt tentés par le conservatisme du son ? Il n’y a rien de plus difficile à combattre que les habitudes prétendument séculaires.

Convaincre sur une scène à Paris leur rappelle par conséquent les histoires du pays d’origine. Quand il a fallu, au sortir des émeutes de rue de la fin des années 80, se faire entendre de la population. Heureusement, le bouche à oreille leur a un peu servi. Et s’ils ne vendent pas, ils auront au moins eu l’estime du peuple algérien. Un respect qui commence à peser dans la balance depuis que ces ténors du rap algérois ont investi le paysage audiovisuel français, sur lequel les Algériens sont connectés matin et soir. «Paris reste le meilleur vecteur pour faire passer des choses chez nous», explique l’un des membres du groupe Intik, qui en est à son deuxième album chez Saint George (Sony). Avec une vente assurée de 20.000 unités par album : un chiffre qui paraît plutôt digne d’un indépendant. Mais il faudra probablement plus de temps pour que «les choses se fassent». Eux, ils apprécient pour le moment d’avoir les moyens pour parfaire le son dont ils rêvaient jusqu’alors.

Un rêve qu’ils n’auraient jamais pu réaliser sans le soutien de la major, n’en déplaise aux détracteurs qui les trouvent «un peu trop commerciaux». Un point de vue à moitié partagé par leurs amis de MBS, jadis annoncé comme leur concurrent par les médias français. «Sans les majors qui nous ont signé au départ, on aurait eu du mal à percer. Rien ne nous empêche à présent de faire autre chose, si nous le voulons». Sur scène, les deux groupes se lâchent à un rythme d’enfer, eux aussi. La devise est toujours la même pour tous. Aucune concession dans le flow, dans les textes ou même dans le geste. «On dit ce qu’on subit, on dit ce que le peuple algérien subit et on dit ce qu’il faut faire pour ne plus subir». Et tant pis pour ceux qui ne sont pas venus les applaudir ce vendredi soir. La rage demeure intacte.

Soeuf Elbadawi

Intik La victoire (Saint georges/ Sony Music) 2002
MBS Le Micro brise le silence (Island/ Universal) 1999