Jean-Luc Ponty, Acatama Experience

A travers ce dernier album, Jean-Luc Ponty nous propose un périple musical  haut en couleurs, des rues de Bombay à celles de Paris, une escale en Irlande ou une peinture du désert. Derrière le périple, se devinent un bilan artistique du violoniste français, pionnier du jazz rock et l’accès à des questions essentielles comme le rapport humain à l’espace et au temps.

Une aventure cosmique

A travers ce dernier album, Jean-Luc Ponty nous propose un périple musical  haut en couleurs, des rues de Bombay à celles de Paris, une escale en Irlande ou une peinture du désert. Derrière le périple, se devinent un bilan artistique du violoniste français, pionnier du jazz rock et l’accès à des questions essentielles comme le rapport humain à l’espace et au temps.

Trente-quatre ans que le violoniste Jean-Luc Ponty, le plus international des jazzmen hexagonaux, s’est  installé aux Etats-Unis. Un eldorado musical où l’archer virtuose a su s’imposer aux côtés de légendes telles Frank Zappa ou John McLaughlin. Ses rares apparitions en France entraînent un constat un peu amer, un regret : « Nul n’est prophète en son pays ». Jean-Luc Ponty possède pourtant un pied-à-terre dans le dix-septième arrondissement. C’est dans un bar près du métro Courcelles qu’il accorde l’interview. L’un des pionniers du jazz rock et des expérimentations électriques au violon, y évoque son album aux contours impressionnistes : The Acatama Experience.

"Comme un écrivain"

Son dernier opus de création, Life Enigma,  remonte à 2001, suivi par un DVD live en 2004. Six ans, donc, que l’artiste n’a pas planché sur la composition d’un disque : "A mon âge -65 ans-, je n’éprouve pas de précipitation. J’attends d’avoir des choses à dire. Si le projet consiste seulement à ajouter un cd à la collection, ça ne sert à rien".

Avec Koch Records, il signe un contrat pour la parution d’un opus. Du Ponty pour plaire à ses fans, avec cette dimension supplémentaire : "rien de révolutionnaire" mais un art plus organique, plus acoustique, à l’électronique utilisée de façon sporadique. "J’ai fouillé mes tiroirs, ressorti des bribes  de thème. Je compose, j’imagine, comme un écrivain : les idées germent, sans projet en tête. Je note, j’enregistre, et lorsqu’ arrive l’urgence de l’album, je ne pars pas de zéro. Atteindre l’inspiration, la flamme, pour créer une œuvre originale, ne vient pas sur commande. Il faut être presque inconscient".

En 2006, Jean-Luc Ponty parcourt le monde avec son groupe : des concerts aux quatre coins du globe, qui retardent la composition. "Je revenais pourtant les oreilles fraîches. Les impressions de voyage ont mûri l’album, participé à son développement ". The Acatama Experience s’écoute lui-même comme un périple géographique, avec des escales au Chili, à Bombay, en Irlande, des peintures de lieux explorés, revisités en musique. Départ :

Paris, avec le standard de Bud Powell, Parisian Thoroughfare, arrangé par le pianiste Willliam Lecomte façon funky, seule reprise de l’album. Et un enregistrement inaugural des rues de la capitale avec sirènes de pompier et dialogues. Une première place qui ne relève pas du hasard : c’est bien ici que tout commence.

Temporalités

Dominent ensuite les déserts. Le violoniste ne se lasse pas d’évoquer l’Atacama dans le Nord du Chili, visité après un concert : l’étendue la plus aride du monde, surnommée "royaume du silence", lieu d’expérimentation pour la NASA, paysage lunaire où la vie se manifeste au travers de rares oiseaux. "Pour un musicien habitué au son, un tel silence trouble : une expérience magistrale ! Dans mon Ipod, j’écoutais des boucles électros que j’avais laissées en suspens dans les années 1980. A partir d’elles, j’ai essayé de peindre en musique l’atmosphère du désert". A noter qu'une petite erreur s'est glissée lors de la fabrication de la pochette et le disque s'intitule singulièrement The Acatama experience !

Dans Desert Crossing, la traversée relève du symbole: le tout premier solo de violon enregistré à nu, sans machine, ni effet. Un acte héroïque pour son protagoniste ! Il y a aussi Celtic Steps, arrêt en Irlande. Un clin d’œil à Dizzy Gillespie qui avait dit au jeune Français fraîchement débarqué aux States : "Tu joues bien, mais tu devrais interpréter de la country ! ". Ponty n’avait alors pas saisi sa filiation avec le jazz, si évidente au violon. Et puis : On My Way To Bombay, réminiscence de la musique indienne jouée avec le Mahavishnu Orchestra de McLaughlin. Un contraste de plus : l’auditeur imagine aisément les rues grouillantes de la mégapole indienne, en opposition à l’étendue désertique. Un album de reliefs, en plans, en bosses, en creux, en couleur.

Le voyage s’inscrit aussi sur un axe temporel : le futur, avec Premonition, et le passé, avec des titres à la tendre nostalgie tels Back In The 60’s, Without Regrets, Last Memories Of Her : "A mon âge, c’est normal : je vis dans le présent, mais tissé de souvenirs, de branches musicales, de racines". Le périple s’arrête un moment pour décrire des états, des émotions, aventures intérieures : Still in love ou Euphoria. Arrive à son point de non retour- Point Of No Return. "Je n’ai pas le désir de reproduire musicalement ce qui a déjà été fait, aucune nostalgie". Avant de terminer par une hésitation finale, To and Fro. "On va, on vient. Il s’agit d’un mouvement limité entre deux points, un certain  moment du temps qui n’avance pas". Difficile gageure que de titrer un morceau instrumental, de coller avec précision au sentiment désiré, à l’émotion initiale. Jean-Luc Ponty y parvient.

Album studio

Autre tour de force : l’unité d’un album fusionnel, enregistré en studio comme en live, avec très peu de post-production. Le JLP Band se gère comme un groupe de rock, une famille : "Je joue avec le bassiste Guy Nsangué Akwa et le percussionniste Taffa Cissé depuis le projet africain il y a seize ans. Avec le batteur Thierry Arpino et William Lecomte depuis huit. Nous avons vécu ensemble beaucoup d’aventures musicales, dans toutes les conditions possibles : des grandioses aux plus scabreuses. Ce qui a forgé solidité et entente". A cette harmonie, Jean-Luc Ponty ajoute deux invités prestigieux : les guitar heros Allan Holdsworth et Philipp Catherine, deux complices de longue date. "Depuis le projet africain, j’avais abandonné la guitare au profit des percussions. Je la jugeais, sur cet album, indispensable".

Entre jazz plus classique, jazz rock, échappées électros, virées en solitaire, The Acatama Experience établit un bilan des périodes musicales de Ponty : « C’est un patchwork musical inconscient du musicien que je suis devenu". Un homme qui se positionne dans le temps et dans l’espace, questionne, de son violon, le cosmos. Un tout petit point à l’échelle de l’univers et du désert, mais un grand artiste qui parvient, en musique, à donner vie aux  questions essentielles.

Jean-Luc Ponty The Acatama Experience (Koch Records/ Universal Music France) juin 2007
En trio avec Al di Meola et Stanley Clarke le 30 juillet à Marciac (autre formation