Thomas Fersen
Faire court, l'idée m'obsédait depuis le milieu de l'après-midi. Pourtant il fallait bien me résoudre à dompter des ardeurs littéraires que je prévoyais débordantes. C'est que le Parisien Thomas Fersen, avec ses allures de dandy moderne, à su m'attirer sur ses chemins de traverses dès l'écoute de ses premières chansons. En tournée au Québec tout au long du mois de février, il a fait escale le 10 dans la banlieue de Québec, à Lévis. Compte-rendu.
Un poète au Québec
Faire court, l'idée m'obsédait depuis le milieu de l'après-midi. Pourtant il fallait bien me résoudre à dompter des ardeurs littéraires que je prévoyais débordantes. C'est que le Parisien Thomas Fersen, avec ses allures de dandy moderne, à su m'attirer sur ses chemins de traverses dès l'écoute de ses premières chansons. En tournée au Québec tout au long du mois de février, il a fait escale le 10 dans la banlieue de Québec, à Lévis. Compte-rendu.
La poésie n'est plus dans l'air du temps. Il faut la courir comme on poursuit de son filet un papillon car elle se fait discrète mais sait toujours s'offrir aux plus persévérant de ses adorateurs. J'ai donc posé mon filet dans une petite église, l'Anglicanne, qui depuis 20 ans sert une messe d'un autre genre. Le traversier (bateau, ndlr) qui m'y emmena semblait planer sur les icebergs géants du fleuve Saint-Laurent, éclairés par les lumières du château Frontenac. C'est une ancienne église baptiste, les sièges y sont inconfortables mais avec un peu de poésie, ils semblent soudain moelleux.
Nous avons découvert Thomas Fersen, il y a six ans dans la minuscule salle du Grand Café, rue Saint-Denis et nous le retrouvons dans cette église tout aussi exiguë à Lévis. Les fidèles de la première heure québécoise sont là. Les complices de fraîche date comme moi, n'en finissent plus de se ronger les doigts car le poète est en retard. Soudain, un bonsoir à la "fronçaise" fait cesser la boucherie. Il est là, dans la pénombre, entouré de seulement trois musiciens et grattant son ukulélé comme un gamin coquin. Il s'interrompt un instant pour nous dire que "cet instrument rendu célèbre par Marilyn Monroe est à la guitare ce que le string est au caleçon".Avis aux amateurs…
La première pièce émerge des rires, un petit bijou précisément intitulé "Bijou". Avec "Bicéphale le cheval", il y va d'une petite danse à laquelle il ne manquait que le tutu pour se croire à l'opéra et on découvre un comique hilarant dont les gestes maladroits et les grimaces m'ont fait penser à Mr Bean, un autre observateur des petites choses de la vie. Un pickpocket dans le métro, une coquerelle (blatte) qu'il trouve plus grosse chez nous qu'à Paris, les horaires pas assez généreux des fleuristes, Fersen chante ce qu'il vit avec un peu de Gainsbourg, de Trenet, d'Higelin mais surtout beaucoup de lui-même. Le clown poète qui, depuis ses premières scènes québécoises a trouvé une assurance qui le rend plus irrésistible encore et plus complet, demande trois fois pardon avant de chanter une autre chanson peu convenable pour une église avant de se faire pardonner avec l'histoire de la chauve souris qui aimait un parapluie et de sa cousine québécoise qu'il a rencontrée à Montréal en buvant une "camomille" dans un bar branché avec son guitariste et qu'un policier écrase dans la neige. Ah les flics ! Une histoire vraie puisqu'il le dit.
Thomas Fersen jouit ici d'une couverture médiatique dont très peu de Français peuvent se targuer et les salles qu'il décore de son grand sourire, l'écoutent religieusement du début à la fin. Il est contagieux, le Fersen mais vous ne trouverez pas un seul Québécois dans la Belle Province qui s'en plaindra. Ce n'était pas vendredi, mais pourtant il a multiplié les poissons et la seconde partie de son spectacle est essentiellement composée de pièces plus récentes, tirées du dernier recueil de poésies urbaines. L'ensemble est bercé par une musique dont on ne finit pas de se délecter. Accompagné de Cyrille Wambergue, son pianiste, de Pierre Sangra à la guitare et de Jean-Luc Aramy à la contrebasse, Thomas Fersen nous entraîne dans le jazz, le tango, la valse, le ska, le swing et tous ces rythmes qui servent d'écrin à des textes drôles, carrément joyeux comme "Libertad" ou plus graves "Louise". Sa voix rauque laisse passer tristesse, cafard, lendemain de brosse (cuite, ndlr), humour sarcastique et pas une seule fausse note ne vient tacher une performance qui fait de "Fersen à l'Anglicanne" un show inoubliable même si certains ont regretté la formule acoustique et l'absence de musiciens comme Didier Lockwood qui ont apporté à l'univers de Fersen un son bien à lui, où les mélanges ne sont jamais indigestes. Au contraire.
J'ai repris mon traversier briseur de glaces éternelles en me demandant ce que le poète Fersen pourrait en écrire. Peut-être le saurais-je en écoutant son prochain album nourri certainement de ses voyages à travers le monde et un peu de ses 17 escapades dans notre beau coin de pays.
Dernier album Le Jour du Poisson (WEA) 1997