Jean-Louis Murat
Avec Lilith, double-CD pêchu et poétique, Jean-Louis Murat réussit un retour éclatant, à peine un an et demi après Le Moujik et sa femme. Construit autour du trio qu’il forme avec le bassiste Fred Jimenez et le batteur Stéphane Reynaud, Lilith est à la fois diablement rock et heureux.
La colère et le bonheur
Avec Lilith, double-CD pêchu et poétique, Jean-Louis Murat réussit un retour éclatant, à peine un an et demi après Le Moujik et sa femme. Construit autour du trio qu’il forme avec le bassiste Fred Jimenez et le batteur Stéphane Reynaud, Lilith est à la fois diablement rock et heureux.
C’est toujours plaisant de rencontrer Jean-Louis Murat. Beaucoup de choses chez lui trahissent l’Auvergnat des dures et belles montagnes du Puy De Dôme : la cinglante franchise, l’inattention au superflu, l’offense préférée à l’ironie (l’ironie, c’est pour les marquis, pour les faiseurs, pour Paris)… D’entrée, il lâche : "Si je vends 50.000 exemplaires de celui-là, ça sera déjà beau. Avec une seule chanson pour Indochine, je gagne trois fois plus de pognon qu'avec mes disques."
Pourtant, Lilith devrait sans peine séduire. Double-CD à la fois terriblement énergique et infiniment poétique, le nouveau disque de Jean-Louis Murat cumule maintes qualités que l’on a parfois trouvées chez lui éparses : la vigueur électrique, la lisibilité morale et spirituelle, l’appétit de bonheur et la noirceur du regard, l’amour des images riches, l’insolence du propos, la rigueur d’écriture… On croirait parfois le Bob Dylan des premières guitares électriques rencontrant Cioran : "C’est l’absence de vie qui nous brise le coeur, ma/L’absence de vraie vie qui nous aura mis dans cet état/C’est nos absences à l’heure qui nous auront mené ici/C’est l’absence de vie qui nous brise le cœur, ma". Parfois, encore, ce serait un Georges Bataille dans la pop anglaise des années 90 : "Nous voilà lieutenant/C’est la sortie d’un bal/Brillante de cyprine/Dans son juste milieu/On trouve sa mortelle/Les lèvres distendues/Salive que nos mots/On veut se mettre aux anges".
Murat confirme volontiers la sensation de fa presto que donne ça et là l’album, avec ses chansons à cru comme maints albums de Neil Young. "Avec les musiciens, j’ai enregistré les vingt-trois titres en quatre jours, en finissant à 20 heures chaque soir. La moitié sont des premières prises. Je n'aime pas passer longtemps en studio alors je travaille chez moi au métronome, en cherchant mes sons de guitare. Au studio, je donne des indications précises aux musiciens et on va très vite. Je préfère ne pas dépenser trop d’argent en studio, et en mettre sur le mixage et la gravure". Et, même là, Murat est encore rapide : deux chansons mixées par jour, sans forcer non plus sur les horaires. Les nuits blanches en studio, les horaires déments ? "C’est bidon. Mais les studios y poussent. On loue les studios par tranche de vingt-quatre heures alors tout le monde se croit obligé d’y rester en permanence…" La façon dont on pratique le studio en France, ça l’énerve depuis longtemps : " Trouver en France un bon studio à 1.000 euros par jour, c’est difficile. Les Tindersticks ont fait les cordes sur trois chansons pour le prix auquel, en France, on ne fait que lancer un magnéto".
Le chanteur ne s’est jamais privé de brocarder les travers du milieu de la musique en France – et même, il y a quelques années, dans une belle polémique née dans Le Figaro et poursuivie dans Charlie Hebdo, le statut des intermittents du spectacle. Aujourd’hui, après un été culturel ravagé par les conséquences de l’accord Unedic du 26 juin, il lâche un constat très sombre : "Le problème, c’est que les gens ne veulent plus d’art. Le théâtre, le cinéma et le music-hall, ça ne les intéresse plus. Ils veulent bien se déplacer et payer une fortune pour ce qu’ils ont vu à TF1, mais pour aller voir les gars comme moi, les gens ne veulent pas dépenser d’argent".
Oui, Murat prophétise la mort de la chanson française "dans deux ou trois générations", mais cela ne l’empêche pas de cultiver son jardin, d’aiguiser toujours plus son écriture, de tenir fermement une ligne de création généreuse et exigeante, même s’il voit tout autour de lui que le monde y est de moins en moins sensible : "Le vocabulaire se réduit. Quand j’emploie le mot phacochère dans une chanson, je reçois des messages sur Internet me demandant ce qu’est un phacochère. A la fin, il faudra utiliser deux cents mots et basta."
Alors, il travaille avec passion "le bricolage de la poésie française", persuadé que si "la poire est blette, la société française est saisie par la mollesse, la vieillesse, l’impuissance", comme il le martèle de plus en plus fermement, "il y a un moment où, dans ce contexte, l’important est d’arriver à trouver assez de forces en soi pour être heureux, irradier et essayer de donner un peu de bonheur autour de soi". Et il peut chanter : "Alors fini grimaces, on sort de sa mélasse/On sourit/De se voir dans la glace nous met et ça/Agace/Fier d’être en vie". Que rajouter ?
Jean-Louis Murat Lilith (2 CD Labels-Virgin) 2003