Jérémie Kisling, communiquer les émotions
Dès 2003 et la parution de son premier album, Monsieur Obsolète, nous disions de lui : "Jérémie Kisling, auteur-compositeur-interprète lausannois, semble bien décidé à jouer avec la musique et les mots pour attaquer en douce les consciences qui sommeillent." Treize ans et cinq albums plus tard, Jérémie Kisling tient cette ligne : voix superbe, légèreté, textes intimistes et foi désespérée en l’humanité. Tout se retrouve sur Malhabiles. Onze morceaux introspectifs et pop. Rencontre.
RFI Musique : Vous vous appelez Jérémie Tschanz, Kisling est le nom de jeune fille de votre mère. Pourquoi avoir changé ?
Jérémie Kisling : C’est un acte féministe ! Je trouve absurde, patriarcale, la règle du patronyme. Et puis, je n’aimais pas spécialement mon nom de famille… C’est un nom un peu abrupt, comme ça. Je voulais quelque chose de plus doux. Surtout pour les Français… Tschanz, il n’y a personne qui arrive à le prononcer normalement. (Rire)
Votre univers musical est marqué d’une grande retenue…
Ça vient de loin. Au fond de moi, je savais qu’il fallait que je fasse de la musique. Mais j’ai failli devenir enseignant parce que je cherchais quelque chose qui ne me déplaise pas trop… Je n’osais pas me laisser la permission de croire à la musique. J’ai eu une éducation protestante, calviniste du canton de Vaud… Profil bas. Pas trop de rêves. Pas trop d’espérances. Ne pas se faire remarquer. Ne pas faire de métier qui sorte de l’ordinaire. Ça a été difficile, pour moi, d’avoir la première impulsion, d’oser. Et ça l’est toujours aujourd’hui. Ce n’est pas dans ma culture d’être ambitieux.
Vous avez pourtant choisi la musique, les paillettes…
À l’origine, c’est pour communiquer… Dans ce métier, j’ai la chance de pouvoir communiquer mes émotions et faire s’exprimer celles des autres. L’artiste est là pour essayer de libérer les beaux sentiments des gens qui l’écoutent. J’ai toujours été assez éloigné de la musique intellectuelle, trop réfléchie. Mon plus grand plaisir, c’est d’écrire de belles mélodies et après, d’essayer d’écrire des textes avec le maximum de sensibilité, de compassion, de partage…
Une chanson doit d’abord être mélodiquement intéressante. La partie musicale est sa structure même. Je n’ai jamais été très fan de chanson française traditionnelle : même si un texte est beau, je peux trouver sa mélodie faible… C’est la musique qui fait passer l’émotion et les textes s’en nourrissent. La mélodie est liée à un besoin d’exprimer son âme. C’est assez mystique : j’ai l’impression que les choses ne viennent pas forcément de moi, mais des gens qui vivent autour de moi. Mon devoir d’artiste est ensuite d’en faire une belle chanson et de la rendre aux gens…
Vous aviez commencé à chanter en anglais. Comment êtes-vous revenu à la langue française ?
Je n’y suis pas revenu ! J’y suis venu. La musique telle que je l’écoutais était chantée en anglais : Queen, Weezer, les Beatles, tout le rock mélodique. À vingt ans, j’avais l’esprit rock : c’était aussi une manière de me protéger. Ma chanson Les courants d’air m’a fait venir au français, vers 2001. Je l’avais écrite en anglais et je l’ai traduite… Je me suis dit : "Essayons de voir ce que ça donne"… J’avais une peur bleue d’être trop naïf ou trop tendre en français ! C’est dur de monter sur scène dans cette langue…
Pourquoi ce titre, Malhabiles ?
Dans cet album, je parle de cette génération qui voudrait avoir des émotions plus pures, plus humaines, plus simples, mais qui est empêtrée dans ce que le monde demande d’efficacité, de force, de maîtrise… Au contraire, il faut revendiquer sa maladresse. Nous avons beaucoup de force en nous, mais la plupart des gens la mettent en dehors et gardent leur fragilité dedans. Alors que ça devrait être l’inverse…
On ne sait faire que danser est la chanson qui représente le mieux cette "génération de la photo de profil"… Sa mélodie est entrainante, légère, positive. Son refrain est en majeur pour apporter du lâcher-prise. Mais ses couplets, qui racontent le réel, sont en mineur… Je me souviens relève de la même démarche, en appelant à garder une connexion avec le monde de l’enfance. J’y ai mis des chœurs, des rires : c’est plus facile de rire quand on est un enfant. Tout est neuf, naturel, facile. Ça ne me suffit pas aussi est entrainante, j’espère, pour faire passer un message : l’homme a épuisé la terre, quand est-ce qu’on va ralentir ?
Une fois engagé dans la musique, en 2002, vous avez choisi un petit label français, Note A Bene. Quatorze ans après, c’est toujours le vôtre…
François Pinard, le patron de Note A Bene, est la première personne qui a vraiment cru en moi. Assez pour m’accompagner au long de cette route. Je suis quelqu’un d’extrêmement fidèle. Nous avons fait mes cinq albums ensemble parce que nous avons la même vision de ce qu’est la bonne musique, même si nous n’avons pas choisi les chemins les plus commerciaux… Nous avons cette fierté d’essayer de faire du beau tout en étant accessible et en touchant un public…
Jérémie Kisling Malhabiles (Note A Bene/ Wagram) 2016
Page Facebook de Jérémie Kisling
Jérémie Kisling en concert le 24 novembre à Paris, au Flow