Mendelson, politiquement rock

Mendelson. © Fanchon Bilbille

Le groupe emmené par le chanteur Pascal Bouaziz publie un sixième album ombragé par une lumière noire. Imaginée autour d’adaptations libres de chansons anglo-saxonnes, cette balade du meilleur cru chez Leonard Cohen, Bruce Springsteen, Robert Wyatt, The Jam ou Sonic Youth, est un parcours dans l’arrière-boutique du rock politique. Si ces Sciences politiques très classes portent bien leur nom, c’est qu’il ne s’agit pas ici de simples traductions.

Il glisse cela au milieu de la conversation, mais ça sonne en réalité comme un préambule : "La chanson engagée n’est pas une chanson qui doute. Elle est sûre de ses idées, du public auquel elle s’adresse. Mon travail, c’est d’instiller du doute, pas de donner des certitudes. Si j’écoute un chanteur de gauche, pour me faire plaisir en tant que public de gauche, afin qu’on soit dans une connivence de gauche, cela ne me semble pas produire quelque chose d’intéressant." Pascal Bouaziz parle donc de "chanson politique" pour définir le territoire du sixième album de Mendelson, un disque d’écoutes et de lectures pas franchement de droite, faut dire. 

En cinquante-cinq minutes, Sciences politiques est un parcours très classe dans un rock pour le moins explicite. Il ne s’agit pas d’un album de reprises stricto sensu, mais d’adaptations en français de très grands et de monuments de la musique anglo-saxonne. Leonard Cohen, Sonic Youth, Robert Wyatt, et même Marvin Gaye…

Mendelson suit une ligne exigeante. "Je m’étais lancé dans la traduction de plein d’auteurs différents : Low, Townes Van Zant… J’accumulais des traductions de chansons que j’estimais mal comprises, mais je ne savais pas trop ce que je voulais en faire. Et puis, j’ai fait un atelier d’écriture dans une salle de spectacle à Bobigny, en banlieue parisienne. La rencontre des élèves, des profs, de la ville et de sa situation sociale, ont structuré ce disque", confie Pascal Bouaziz. 

Traduire et trahir

La sélection s’est donc faite sur des goûts, mais aussi sur la façon dont ce groupe de rock plutôt cérébral et assez sombre s’est approprié ces morceaux. Après avoir accumulé "beaucoup de matière", c’est plus d’une vingtaine d’artistes qui sont passés à cette moulinette, parmi lesquels Sly & the Family Stone, Curtis Mayfield ou Talking Heads.

"Ce que j’expliquais aux adolescents lors de ces ateliers d’écritures, c’est que les qualités sont souvent les mêmes, pas les défauts. Il y a des chansons qui sont tombées, parce qu’elles ne convenaient pas aux défauts de Mendelson. Je tenais beaucoup à une chanson de Talking Heads qui s’appelle The Big Country. Mais j’avais l’impression de l’avoir déjà chantée. Dans Sciences politiques, je voulais reprendre une chanson de Barbara ou de Jean Ferrat. Cependant, le fait de ne pas passer par la traduction et par mon écriture enlevait de la cohérence", poursuit le traducteur - adaptateur - interprète.

"Traduttore  taditore", dit l’expression italienne car traduire, c’est forcément trahir. Il a donc fallu assumer une part de traîtrise à la langue de Springsteen, pour que The ghost of Tom Joad, littéralement "Le fantôme de Tom Joad", devienne Le soulèvement. La référence au personnage principal du roman de John Steinbeck, Les raisins de la colère, se mue alors en idée politique de la révolte. Les rails sont des autoroutes, les soupes chaudes sont des boîtes de cassoulet froid et en déplaçant ce paysage, la situation des immigrés mexicains dans les années 90 aux États-Unis qui a inspiré le Boss pourrait être celle des camps de migrants de la région parisienne ou de Calais, dans le nord de la France.

Une certaine idée du rock

Du roman de John Steinbeck au film de John Ford, de Bruce Springsteen à la reprise surpuissante de Rage Against the Machine, puis à l’adaptation crépusculaire de Mendelson, c’est aussi une histoire d’héritage qui court entre les lignes de ces Sciences politiques : la transmission d’un répertoire défendu dans les émissions de radio de Bernard Lenoir sur les ondes de France Inter et d’une certaine idée du rock en France, tournée vers l’Angleterre de Public Image Limited (PIL) et The Jam, et l’Amérique destroy d’Iggy Pop & the Stooges.

À ce propos, Pascal Bouaziz note : "Je suis beaucoup plus un enfant de la country américaine que du rock français, des Inrockuptibles que du magazine Best. Le rock français ado, on est tous dans le camion, on joue des chansons de Téléphone, ça n’a jamais été mon truc. Alors que oui, une vision plus sérieuse, plus américaine et peut-être plus prétentieuse du rock, me semble plus poétique."

Les peuples, La nausée, La Liberté, Le capitalisme ou La dette, chaque plage est "le chapitre d’un livre qui s’appellerait Sciences politiques". Comme Les héritiers, qui revisite Men of good  fortune de Lou Reed en mettant en lumière son sous-texte social, Pascal Bouaziz opère dans des vidéos postées sur You Tube, les Extensions politiques, un lien entre ses chansons et le travail de philosophes, d’économistes et d’essayistes proches d’une pensée "critique", infusant la gauche de la gauche.

Le clin d’œil au livre fondateur Les Héritiers, des sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, traitant de la reproduction des élites en France, voisine donc avec un tas de références à l’actualité et déplace encore ce propos. Une démarche de passeur que le pince-sans-rire Pascal Bouaziz poursuit à quelques sauts de puces de la lumière noire de Mendelson, en solo ou avec Bruit Noir, des projets où le rapport à l’électricité varie passablement. Atmosphérique, le plus souvent, dissonant, ça dépend des jours.

Mendelson Sciences politiques (Rec-Son/Ici, d’Ailleurs…) 2017

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