Les connexions de Gabacho Maroc

Le groupe Gabacho Maroc. © Polka Photos

Entre jazz et transe orientale, le groupe Gabacho Maroc, auteur d'un nouvel album intitulé Tawassol, tisse des territoires musicaux inédits, aussi festifs qu’exigeants. Tout commence par un voyage… Embarquement immédiat !

L’histoire, entre jazz et transes marocaines, commence en terres ibériques. Une bande de copains, alors étudiants au Conservatoire de San Sebastian, montent un groupe de jazz, autour du répertoire des compositeurs français – Henri Texier, Julien Lourau, etc. "Existait alors une frontière musicale, matérialisée par les Pyrénées, que seuls franchissaient des monuments, tels Paco de Lucia ou Édith Piaf", explique l’un des fondateurs, le batteur Vincent Thomas.

Potaches, les musiciens nomment leur formation Gabacho Connection. "Ça veut dire, en gros, 'sale français'. Soit l’équivalent de 'bougnoule', 'rosbif' ou 'portos'.", se marre Vincent. Si leur premier album  voit l’émergence de titres originaux, l’appel du large vient vite titiller leurs terres "jazz".

Un voyage initiatique

À la suite d’un camarade musicien, Vincent embarque pour le Maroc. Un périple sur les traces familiales : "Ma mère, née là-bas, y avait passé neuf ans. Chez nous, c’était couscous tous les dimanches !" Dès lors, il n’aura de cesse de sillonner le pays, au fil de cinq ou six séjours, d’Essaouira à Ouzoud, d’Agadir à Casablanca. "Dès mes premiers pas, je me suis pris un Boeing 737 en pleine tête : subjugué par la puissance et la richesse du folklore. Lors du festival des musiques gnaoua, des confréries, descendues des montagnes, jouaient des rythmes que je n’avais jamais entendus. Ça me rendait fou ! J’ai acheté une bonne cinquantaine de disques dans la rue !" 

"Déstabilisé" : dans les propos de Vincent, ce mot revient en boucle. "Dès qu’un musicien occidental débarque en Afrique, il se sent forcément paumé : la façon de placer le temps, de naviguer à l’intérieur, avec leurs rythmes ternaires ou leur manière d’accentuer la deuxième croche de triolet se révèle différente de nos pratiques… Difficile, parfois, même pour des musiciens aguerris, de trouver la pulsation !", explique-t-il. Qu’à cela ne tienne : le batteur s’initie à ces rythmes occultes, s’acharne sur ce nouveau langage…

Sur la trace d’une trompette

Et puis, comme dans toute histoire, survient, un jour, "la" rencontre décisive. Dans les rues de la cité d’El Jadida, une trompette résonne. Vincent suit la piste du son une vingtaine de minutes, avant de tomber sur une maison, volets clos. Le sortilège opère ; le batteur tambourine à la fenêtre. Un maâlem, maître gnaoua, lui ouvre. Dans la pièce ? Cinq musiciens. Au fond de la salle, une batterie.

Vincent s’enflamme : "Je connais votre musique, je peux jouer !". Armé de câbles électriques comme baguettes, le batteur déroule ses rythmes avec ses nouveaux camarades. La répétition dure de 14h00 à 6h00. À l’aube, le pacte se scelle : les deux groupes fusionneront. 

Devenu Gabacho "Maroconnection", le band oriente désormais toutes ses compositions vers les rythmes marocains. Après plusieurs résidences et deux tournées en prévision, le consulat espagnol refuse les visas pour les Marocains. "En larmes, nous avons dû nous séparer d’eux", déplore Vincent. Le groupe s’associe désormais à deux Marocains résidents en France : Hamid Moumen (chant, gumbri) et Aziz Fayet (chant, oud).

Dès leur premier opus "marocain", Bissara, la formation n’aura de cesse de forger sa signature, entre blue note et transe orientale, surfant sur ce fil ténu entre "couleurs festives", et arrangements élégants. "Sans être des intellos de la musique, nous recherchons la beauté, avec une certaine exigence", raconte le fondateur.

Le groupe s’est, depuis, produit au fil de 150 à 200 concerts de par le monde, de la France à l’Italie, du Maroc au Canada, de l’Inde au Chili, d’un show en Équateur au milieu de l’Amazonie, avec des enfants indigènes dansants sur les planches telles des anges, à une prestation sur la scène du prestigieux "Jazz à Montréal".

Si la route et l’expérience ont vu partir certains musiciens, le groupe s’est aussi ouvert à de nouveaux membres. Pour ce deuxième disque, le collectif, désormais intitulé "Gabacho Maroc" – "un nom pour chaque disque !", rigole Vincent – a donc forcément choisi pour titre le mot, essentiel dans la culture marocaine, de "tawassol", qui signifie "connexion".

Le disque accueille ainsi en son sein des invités tels la chanteuse chilienne Pascuala Llabaca ou le compositeur-arrangeur-pianiste, célèbre pour son travail auprès de nombreux musiciens africains – Youssou N’Dour, Salif Keita, etc. – Jean-Philippe Rykiel.

Un mot d’ordre guide Gabacho Maroc : la sincérité. "Entre notre culture et celle des Marocains, nous cherchons une vérité commune, sur laquelle chacun d’entre nous peut voyager…" résume Vincent. Pour son prochain disque, Gabacho prévoit déjà d’accoster des rivages électro : un groupe nomade et polymorphe, en quête incessante de rencontres et de nouveaux paysages.

Gabacho Maroc Tawassol (Cristal Records) 2018

Site officiel de Gabacho Maroc
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