Le retour du Secteur Ä

Le Secteur Ä au grand complet. © Fifou

20 ans après leur mythique concert à l’Olympia, le 22 mai 1998, les membres du Secteur Ä, à nouveau réunis, enflammeront l’AccorHotels Arena à Paris. L’occasion de revenir, avec Pit Baccardi, sur l’épopée et la success story de ce collectif de rappeurs hors du commun.

C’était il y a 20 ans tout rond : 22 mai 1998, le jour de la commémoration des 150 ans de l’esclavage, un gang de rappeurs du 95, gonflés à bloc, embrasait l’Olympia de leurs lyrics à l’acide, de leurs punchlines telluriques. Secteur Ä – collectif mythique, dream team du hip hop français, réunion des éminents Passi, Stomy Bugsy, Ärsenik, Pit Baccardi, Doc Gyneco, Mc Janik, Singuila et Neg' Marrons.

Aujourd’hui encore, Kenzy, manageur du Ministère A.M.E.R. et créateur du mouvement, dans un documentaire "officiel" sur le groupe, décrit ce show par cette formule-choc : "C’était la première fois que 'dix petits nègres' faisaient l’Olympia". Le son des cités, le flow du ghetto dans le temple sacré de la musique française ?

Dans tout l’Hexagone, les échos de ce gig mythique se répandent comme une traînée de poudre. Dans la salle, un jeune rappeur, du nom de Pit Baccardi, qui rejoindra plus tard le crew, se souvient : "A l’époque, intégrer le Secteur Ä, c’était l’aboutissement logique pour tout rappeur qui se prétendait rappeur. Ce concert d’anthologie a vu la consécration des patrons du hip hop : un symbole fort, le jour-anniversaire de l’abolition de l’esclavage, qui honorait notre négritude. Le Secteur Ä, ça ne mentait pas."

Des visionnaires

Les chiffres, à eux seuls, donnent le tournis. De 1996 à 2001, le collectif explose tous les records : six millions d’albums vendus, 25 Disques d’or et de platine… Leurs tubes – Le Bilan, Sacrifice de poulets, Dans ma rue, Tout saigne, Boxe avec les mots, Viens voir le docteur, Mon papa à moi est un gangster – résonnent comme des classiques. Toujours percutants.

S’éloignant des majors, la bande révolutionne le business. En toute autonomie, le Secteur Ä, visionnaire, concocte sa formule inédite, à grands coups de marketing, pour sortir le rap des quartiers et des préjugés qui l’entravent. "Pour moi, le Secteur Ä a constitué une école, qui m’a permis, de ne plus me cantonner à l’underground et d’assumer le côté business" exprime Pit Baccardi. La success story s’essouffle pourtant au début des années 2000…

1998-2018 – 20 ans plus tard, interpelé par les succès de l’Âge d’or du rap français, et des reformations de NTM ou IAM, Secteur Ä effectue, à son tour, son grand comeback, avec pour apothéose le concert à l’AccorHotels Arena (Paris) le 22 mai. Après les dates de Rennes et d’Amnéville, Pit Baccardi explique cette reformation : "On est toujours aussi potes. On est parrains de nos enfants respectifs, cousins, cousins par alliance. On se croisait aux baptêmes, aux mariages, mais finalement, on ne se réunissait plus autour de notre plus grand kiff : jouer de la musique ensemble. L’idée flottait dans l’air. Jacky (Neg' Marrons, ndlr) m’a appelé alors que j’étais au bled, au Cameroun. J’ai débarqué direct."

Fonctionner en bande

Pas de doute, Secteur Ä la joue "collectif " : un équipage soudé. "Dans les cités, tu fonctionnes en bande, explique Pit Baccardi. S’associer nous permettait de gérer les studios, l’administratif. On mettait nos intelligences en commun, on cultivait nos arts du compromis, pour que nos œuvres respectives s’envolent le plus haut possible. Doc Gyneco, Passi, Stomy Bugsy ont ouvert les vannes du succès. Avec de bons albums et de bonnes attitudes, chacun d’entre nous réussissait, ensuite, dans leurs sillages".

Cette force de frappe a aussi permis à l’époque à leurs textes de bousculer la société, là où elle faisait mal : violences policières, injustices, racisme… Une contestation radicale avec un esprit positif. Si leurs lyrics sonnent toujours d’actualité ? "Affirmatif, déclare Baccardi. Je dirais même que la société a empiré. Les clivages se renforcent entre les religions. La discrimination raciale reste trop présente. Avant, pourtant, je ressentais une certaine liberté dans l’écriture. Aujourd’hui, on redoute tous de glisser sur une vanne mal amenée. On s’autocensure…"

Pour l’heure, le collectif savoure son émotion de partager à nouveau les planches. Dans le documentaire officiel, Singuila parle d’un "voyage émotionnel dans le temps". Pour Paris, à l’AccorHotels Arena, le collectif réserve à son public de sérieuses surprises : des classiques, des titres inattendus, du show, de l’énergie positive. "Une bonne grosse teuf à l’ancienne", résume Baccardi. La recette Secteur Ä !

Compilation Secteur Ä, best of 3CDs (Wagram Music) 2018