Entre le rythme et les harmonies, Mel Malonga ne choisit pas
Longtemps au service de son compatriote Zao, enrôlé récemment par Damon Albarn, le bassiste et chanteur congolais Mel Malonga est un musicien dont la cote montante se vérifie à travers le nombre de projets dans lesquels il est impliqué. Wâ, son deuxième album, répond à une prise de conscience.
À quoi reconnaît-on un musicien né ? À sa précocité à s'exprimer avec un instrument ? Alors Mel Malonga remplit les conditions, lui qui "avant de savoir lire et écrire" jouait déjà du ngongi, percussion traditionnelle, dans un de ces ensembles liés à une paroisse qu'on nomme "schola populaire" au Congo.
Ou alors est-ce à sa propension instinctive à savoir faire sonner tout ce qui est à sa portée, comme si les cordes, les touches, les pistons, les baguettes n'avaient aucun secret pour lui ? Là encore, notre homme coche cette case, lui qui brille aujourd'hui à la basse, mais est passé par la batterie, la trompette ou encore l'accordéon, dont il s'emparait malgré l'interdiction faite par son père dès que celui-ci s'absentait du domicile.
D'une phrase, l'intéressé balaye toute tentative d'explication complexe : pour lui, cette faculté semble être une conséquence naturelle sinon logique lorsqu'on grandit comme lui dans une famille de musiciens et chanteurs. En revanche, pour bien faire comprendre qu'il ne s'est pas contenté de ses prédispositions, il aime citer un adage de son pays : "Si tu profites de l'héritage, il va falloir le faire fructifier." La formule résume l'état d'esprit avec lequel il avance, fonceur, jamais rassasié. Et le message qu'il martèle auprès de ses jeunes compatriotes, admiratifs de son parcours et à qui il dispense ses conseils lorsqu'il revient régulièrement à Brazzaville.
Quand il est arrivé en France pour la première fois en 2013, c'était dans le cadre de deux spectacles présentés au Festival d'Avignon, l'un de danse et l'autre de théâtre, pour lesquels il avait écrit des musiques. Près de huit ans plus tard, il est à la fois enrôlé pour Le Vol du Boli, cet opéra créé par le musicien britannique Damon Albarn et le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako, impliqué en tant que directeur artistique dans le projet afro-électro des Mamans du Congo, et mène sa propre barque avec son nouvel album intitulé Wâ.
Héritage artistique
Si le précédent lui avait servi de carte de visite, celui-ci s'est imposé tout à coup, alors que d'autres maquettes étaient pourtant déjà bien avancées. "J'ai senti l'urgence de partager ce que nos ancêtres nous ont laissé et qui m'habite pour le pérenniser, parce que j'ai constaté qu'on est en train de perdre ces choses-là. Je voulais passer le relais, orienter la jeunesse qui n'a pas connu nos musiques enchantées d'avant", explique-t-il. En commençant par "aller à la source, à la racine de la rumba congolaise", et rendre hommage à l'une de ses figures, Léon Malonga (aucun lien de parenté), à travers la chanson Bole Bantu qui ouvre l'album.
Le bagage musical acquis par le quadragénaire, du registre traditionnel au jazz, s'entend dans ses arrangements, la richesse de son propos. Le terrain s'avère idéal pour Sylvain Luc, guitariste jazz de référence que Mel Malonga tenait à convier – il avait participé à un atelier du Français lors d'un festival organisé à Brazzaville il y a de nombreuses années.
Dans le chant, la couleur vocale, un lien évident de filiation avec Étienne Mbappé se fait jour. Rien de surprenant, assure le Congolais, car le bassiste camerounais qu'il lui arrivait de croiser au Baiser salé, club parisien incontournable, fait partie de ceux qu'il a abondamment écoutés (et même remplacé, lorsque Rido Bayonne est venu dans son pays natal) après être tombé amoureux de la basse.
À l'époque, âgé de 14 ans, il commence par reproduire les voix basses de ses interprétations de Haendel et Beethoven. "Je voulais trouver un instrument qui pouvait lier les harmonies et le rythme", justifie-t-il.
Collaboration avec Zao
Son rêve est alors d'accompagner "le grand Zao", artiste phare du Congo dont le titre Ancien Combattant a fait danser le continent. Une première opportunité se présente, lors d'un concert au Centre culturel français de Brazzaville. "Ce soir-là, j'ai mal joué", se souvient Mel Malonga. Mais son potentiel n'échappe pas au chanteur, qui le suit et le rappelle quelques années plus tard.
La collaboration entre les deux hommes s'inscrit cette fois dans la durée. Le bassiste a trouvé son "père spirituel", avec lequel il tourne dans toute l'Afrique à partir du milieu des années 90 et pendant plus d'une décennie, participant aussi au travail en studio.
Sur Wâ, il ne pouvait l'oublier et s'est donc attelé à revisiter Requiem, l'un des titres de son glorieux aîné, prétexte à "retracer musicalement le chemin qu'avait emprunté la musique congolaise lors du commerce triangulaire pendant la déportation du Congo à Cuba".
Du concept à la chanson, la transcription est un sentier que Mel Malonga arpente avec l'assurance de ceux qui maîtrisent leur environnement et savent exactement où ils vont.
Mel Malonga Wâ (Malonga Records) 2021